De façon très régulière, et depuis maintenant deux années, Hervé Poncharal nous fait l’honneur de nous partager son point de vue après chaque Grand Prix (Voir ici).
Écouter ses propos qui sont le fruit d’une expérience de 40 ans
est toujours un plaisir, d’autant que l’homme n’a pas sa langue
dans la poche. Nous vous partageons ainsi ses émotions, qui peuvent
fluctuer au fil des épreuves de la déception à la plus grande des
joies, sans pour autant occulter les petits grincements de dents
passagers ou, au contraire, les envolées qui vont bien au-delà du
sport…
Et nous l’en remercions grandement !
Hervé Poncharal, pour des raisons matérielles, nous n’avons pas pu réaliser cette interview directement après Le Mans. Cependant, au soir du Grand Prix de France, nous étions ensemble et, pardonnez-nous l’expression, vous en aviez gros sur la patate. Était-ce avant tout pour les fans, pour l’équipe, ou pour le pilote ?
Hervé Poncharal : « cela fait maintenant une
quinzaine de jours que cela a eu lieu, et vous n’avez jamais
vraiment la même perception des choses à chaud, quand vous êtes
encore complètement dans l’événement, que 15 jours plus tard. Sur
le moment, et effectivement nous étions ensemble, tout
avait été tellement beau jusqu’à samedi soir, tout
s’était tellement bien passé, que l’intégralité des gens qui ont
suivi l’actualité du MotoGP, que ce soient les médias, les
supporters, les sponsors, l’équipe Tech3, tous les gens, n’avaient
quasiment que le mot de « victoire » à la bouche.
Surtout, évidemment, quand tu fais la pole position le samedi soir
et que tu as fini 2e l’année précédente sur ce même circuit. Dans
ces conditions, c’est difficile d’expliquer aux gens que la
victoire n’est jamais assurée. Tu es toujours entre l’envie d’une
super perf’ et l’envie d’assurer les points, surtout quand tu es 2e
au championnat du monde après 4 courses.
Donc effectivement, le soir, j’étais un petit peu abattu, pour un
peu tout le monde. Parce que je sais que Johann s’est donné à 100 %
durant tout le week-end, et sur les 7 tours de course qu’il a
effectués, et je sais qu’il y avait une telle ferveur et une telle
attente de la part de tout le monde que tu penses à tout le monde.
En tout cas, ce n’était pas pour moi, mais plutôt pour l’ensemble
des gens car il y avait une tellement belle page de l’histoire de
Johann Zarco avec son public à écrire, qu’on ne rencontre qu’une
fois par an, que, évidemment, tu as un petit peu le ciel qui te
tombe sur la tête.
Mais bon, on a rapidement récupéré la foi et le moral puisque le lendemain matin, de très bonne heure, l’équipe est partie pour les essais à Barcelone qui se sont très bien passés. Johann y a fait le 2e temps derrière Maverick Vinales, avec de très bonnes sensations, donc on n’a pas eu trop le temps de cogiter ou de se morfondre. Non. Comme l’ont titré certains médias et comme on le dit toujours, « ça passait, c’était beau ». Ce n’est pas passé mais ça valait le coup de le tenter, et entre faire l’épicier et prendre des risques, Johann a préféré prendre des risques pour pouvoir éventuellement décrocher la timbale ».
Le dimanche soir, nous étions avec Johann et nous avons découvert une facette de lui assez inattendue : il faisait plutôt bonne figure et on ne le sentait pas du tout abattu. Cela correspond-il à la réalité ou n’était-ce qu’une façade en public, même restreint ?
« Vous savez, tout pilote de ce niveau-là, je dirais même tout
athlète, est obligé de se protéger et d’avoir une armure pour faire
bonne figure, quoi qu’il arrive. C’est évident. Mais ça rejoint
aussi votre question précédente : il y a le Johann dans la
demi-heure qui suit la chute, où, comme tout pilote, il réagit à
chaud. Parce que quand tu es sur ta moto pour faire ce genre de
performance, tu es comme dans une sorte de transe. Et donc quand tu
es dans cet état là, il n’y a pas de demi-mesure ni vraiment de
réflexion. Tu es encore dans un état second et tu réagis à chaud et
sans recul à une déception énorme. Donc quand il est rentré,
c’était « la moto accélère si peu que je suis obligé de
récupérer tout le terrain perdu sur les freins et, à force, à
force, à force, il est arrivé ce qui s’est passé ». Ensuite,
la pression descendant, cet état se dissipe et il se retrouve avec
une analyse qui est plus objective, et il se dit « voilà, j’ai
tenté le coup et j’en avais envie, mais maintenant, avec le recul,
ça valait peut-être le coup de rester 2 ou 3 tours de plus tapi
derrière Lorenzo, de voir comment les choses évoluent et de prendre
des gros points pour le championnat ». Je pense que Marc
Márquez, hier soir au Mugello, se disait la même chose. La limite
est tellement toujours tutoyée par ces pilotes, il est toujours
tellement facile d’être un héros parce que quelque part là-haut
quelqu’un a fait que tu restes sur tes roues, mais un moment donné,
tu la franchis. Samedi soir, Mugello, Marc Márquez a dit que la
victoire était sans doute pour Valentino, qu’il ne se considérait
pas au top pour cette course et qu’il fallait prendre des points.
Or on l’a vu hyper agressif en début de course puis faire le
contraire de ce qu’il avait dit. Je pense donc qu’hier soir, il a
dû se mordre les doigts en pensant au podium et aux points perdus,
car je pense que le podium étais à sa portée. Il est arrivé la même
chose à Johann au Mans. Dovizioso, le gars qui ne tombe jamais, qui
est intelligent et qui calcule, en a fait 2 d’affilée, Márquez
vient d’en faire une, Johann avait fait 21 courses et en a fait
une, et on voit que dans les autres catégories c’est un peu
similaire. Tout le monde est à la limite, tout le monde est à
fond : des bulles, on en a fait une, mais il y en aura
d’autres.
En tout cas, je peux vous dire qu’on apprend toujours de ce genre
de choses là. Ça ne veut pas dire que tu ne referas pas la même,
car si l’on reprend l’exemple de Márquez, il l’a fait un paquet de
fois et à chaque fois il dit qu’il ne le refera plus, et il
recommence. Je pense qu’en ce moment, Johann est au top de son art,
et il se doit, et il veut, être à la pointe du combat tous les
week-ends. Donc il prend des risques ».
Retrouvez tous les autres débriefings d’Hervé Poncharal ici !