Le Grand Prix de France MotoGP au Mans a été l’objet d’une procédure « flag to flag ». En clair, cela veut dire que les pilotes, partis en pneus slicks, avaient l’autorisation de changer de motos dès l’apparition des drapeaux blancs indiquant l’arrivée de la pluie.
C’est bien ce qui s’est passé après cinq tours de course, et cela a donné l’occasion d’observer la procédure toujours un peu folklorique du changement de motos dans la pitlane.
À cet instant, le stress est à son maximum car la moindre erreur, facile à faire, se paye tout de suite en positions de course, beaucoup plus difficiles à rattraper (et on ne parle pas du coup du vent qui a mis au sol les barrières du parc fermé précisément à ce moment…).
Pour Fabio Quartararo, c’était une première, et cela s’est traduit par un mélange de prudence puis de nervosité. Au final, le pilote Yamaha s’est fort bien tiré de ce piégeux Grand Prix de France, mais nous allons voir comment l’épreuve du flag to flag aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus importantes…
À la fin du cinquième tour, la pluie se met à tomber fortement sur la partie sud du circuit. Fabio Quartararo est en tête devant Jack Miller et Marc Márquez qui vient de doubler Álex Rins. Arrivé au chemin aux bœufs, l’Australien se fait une chaleur au freinage et doit tirer tout droit dans les graviers. Deux virages plus loin, tout le monde s’engouffre dans l’accès à la pitlane, à la fin du cinquième tour.
En slicks sur le mouillé, Fabio Quartararo, en tête de la course, emprunte cette partie avec une très grande prudence, à tel point qu’il s’y fait doubler par Marc Márquez. À cet endroit, la vitesse n’est pas encore limitée et le pilote espagnol a tout à fait le droit de faire cette manœuvre, du moins si l’on considère qu’il a aussi le droit de couper la ligne blanche…
Quoi qu’il en soit, Marc Márquez arrive dans la zone où la vitesse est limitée à 60 km/h quelques millièmes de seconde avant Fabio Quartararo, et c’est pourquoi on assiste au spectacle des deux motos côte à côte, que l’on a pris dans un premier temps pour une manœuvre d’intimidation du pilote Honda. Il n’en est rien et celui-ci exploite tout simplement au mieux la limitation de vitesse imposée.
Fabio Quartararo explique : « Il a plus d’expérience. Quand je suis arrivé dans la pitlane, j’étais juste comme si je n’avais jamais piloté de motos : J’ai pris les virages verticalement, avec le guidon droit, donc il m’a poussé un peu et nous étions côte à côte. »
Pour Fabio Quartararo, la situation n’est pas facile car l’arrivée de Marc Márquez à son côté au moment précis où il ne faut pas perdre une seconde augmente sans aucun doute le niveau de stress du Français. Après avoir failli plonger devant le box d’Enea Bastianini, comme il l’a lui-même raconté lors de la conférence de presse, El Diablo s’arrête finalement devant celui de Maverick Viñales et est contraint de courir jusqu’à sa deuxième moto en passant derrière celle de Maverick Viñales. C’est pour cela qu’il sera pénalisé d’un Long Lap qui n’aura heureusement aucune conséquence.
Vous avez été nombreux à nous demander quel point du règlement avait été précisément enfreint. Nous avons donc ouvert ce dernier.
Voici la traduction de l’article concerné.
1.18.17
A moins que la course ne soit
interrompue, aucun changement de machine n’est autorisé.
A l’exception d’un coureur qui n’a pas franchi la ligne de
départ pour commencer la course, il est autorisé à changer de
machine jusqu’à ce que le coureur de tête ait franchi la ligne
d’arrivée à la fin de son premier tour.
Ce changement de machine est défini comme le moment où la
deuxième machine franchit le point de chronométrage aux feux de
sortie des stands.
Après ce moment, dans la catégorie MotoGP uniquement, les
changements de machine ne sont autorisés que dans les
circonstances suivantes :
– Si la course a été déclarée humide, conformément à l’Art.
1.20.
– Si les drapeaux blancs ont été déployés pour indiquer que les
changements de machine sont autorisés, conformément à l’article
1.22.2.
Dans les deux cas, le chauffage des pneus, le changement de
pneus et les réglages sont autorisés sur la machine dans les box et
dans la pitlane.
Il n’y a aucune restriction sur le type de pneus montés sur
l’une ou l’autre des machines.
La machine de rechange peut se trouver dans le box, qu’elle ait
été utilisée ou non en course, mais tout échange de machine doit
être effectué dans la voie des stands.
Le coureur doit entrer dans la voie des stands avec sa machine
pour procéder à l’échange.
Tout échange de machine dans la voie des stands doit suivre
les protocoles publiés par la Direction de Course, qui comprennent
:
– La machine de rechange doit être à la position indiquée par
les Officiels avant la course.
– La machine entrant dans les stands doit s’arrêter à
la position indiquée par les Officiels avant la
course.
– Il n’est pas permis de rouler derrière la machine de rechange
d’un autre coureur (du côté du stand).
– L’équipe est responsable de la libération du coureur en toute
sécurité par un membre de l’équipe dont le seul rôle est de
vérifier la présence de trafic rentrant et de libérer le coureur
uniquement lorsque cela est sûr. Le coureur quittant sa position de
changement de machine doit céder le passage aux coureurs qui
s’approchent dans la voie des stands et qui ont la
priorité.
– L’équipe est responsable de s’assurer qu’aucun de ses
équipements, motos ou personnel n’entrave la progression d’une
autre équipe ou d’un autre coureur de quelque manière que ce
soit.
– Un maximum de 5 membres de l’équipe par coureur peut aider au
changement de machine.
Les autres membres de l’équipe doivent rester dans le box ou
dans la zone de signalisation.
– Les 5 membres du personnel de la voie des stands seront
identifiés par le port obligatoire d’un casque, approuvé par le
Directeur Technique.
– L’emplacement du box du coureur sera indiqué par des panneaux
dans la voie des stands et il est interdit aux membres de l’équipe
de se placer dans la partie active de la voie des stands pour
signaler la position du box au coureur.
– Il est
interdit que la machine de rechange ait une vitesse engagée avant
que le coureur ne change de moto, seul le coureur peut engager la
vitesse (il est permis à un membre de l’équipe de tenir
l’embrayage).
« La machine entrant dans les stands doit s’arrêter à la position indiquée par les Officiels avant la course » semble logiquement le point du règlement que les Commissaire FIM MotoGP ont utilisé pour pénaliser Fabio Quartararo, en application logique de la réglementation. Les positions sont indiquées au sol devant chaque box, matérialisant l’emplacement de la roue arrière de la moto prête à partir et, à 90 degrés, de la roue avant de celle que le pilote abandonne.
Cette erreur du pilote français n’a finalement pas eu la moindre conséquence, mais il aurait pu en être autrement. Notons au passage que cette infraction était apparemment passée inaperçue et qu’il a fallu attendre la diffusion des images par Dorna, 5 tours plus tard, pour que les commissaires FIM MotoGP décident de mettre l’incident sous investigation. Immédiatement après, le motif de la sanction infligée à Fabio Quartararo a été annoncé comme « Wrong bike swap », c’est-à-dire mauvais changement de moto.
En définitive, aucun réel dysfonctionnement n’a été à déplorer durant ces changements de motos toujours sous haute tension. Dans sa politique de sévérité accrue, le panel des commissaires FIM MotoGP aurait également pu sanctionner Marc Márquez pour avoir franchi la ligne blanche lors de son roulage vers la pitlane, ce qui lui a permis de dépasser in extremis Fabio Quartararo. Il se trouve toutefois que le règlement, s’il est très précis en ce qui concerne la piste et la pitlane, n’évoque pas particulièrement cette zone intermédiaire du circuit (Simple avertissement ? Rendre la position ?). C’est sans doute aussi pourquoi aucune réclamation n’a été immédiatement posée contre le pilote espagnol, même si bien sûr la raison principale est que ce dernier n’a finalement pas terminé la course. Mais ce n’était pas écrit d’avance… Et finalement Fabio Quartararo a été pénalisé alors qu’il n’a tiré aucun avantage de sa manoeuvre, bien au contraire, alors que c’est tout le contraire pour Marc Márquez.
Face au renforcement évident des sanctions depuis le début de cette saison 2021, la non-investigation sur Marc Márquez et la pénalité apparue tardivement pour Fabio Quartararo mettent toutefois la lumière sur une nouvelle problématique croissante : Peut-être que chaque team va devoir créer un nouveau poste au sein de son équipe, afin de décortiquer toutes les actions pouvant prêter le flanc à une sanction ou, au contraire, à une contestation de pénalité…
En attendant, le panel des commissaires FIM MotoGP dirigé par
Freddie Spencer dispose apparemment d’un pouvoir
absolu dont il use avec un gant de fer face aux équipes qui
grognent de plus en plus dans le paddock (on se rappelle par
exemple les propos de Paolo Simoncelli).
Et les notifications arrivent parfois de façon officielle seulement
plusieurs jours après la course. L’exemple d’Iker
Lecuona déclassé après Jerez suite à une plainte
d’Álex Márquez est un exemple significatif :
Aucune communication officielle n’a été diffusée avant le weekend
au Mans, même si le team Tech3 avait été prévenu oralement qu’il
serait sanctionné, comme cela arrive souvent également en
Moto3.
Dans ces conditions, les classements publiés à l’issue des courses sont de plus en plus provisoires, et c’est finalement bien dommage, le sport ayant toujours notre préférence par rapport au tapis vert ! Du moins quand celui-ci a encore des leçons à recevoir de la F1 quant à sa cohérence et sa rapidité…
Crédit photos : MotoGP.com