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Lors de cette nouvelle série d’articles, dont nous ne connaissons par encore le nombre exact, nous allons essayer de retracer ce qui a abouti à la création de l’IRTA (International Racing Team Association), une des quatre entités qui gèrent aujourd’hui le MotoGP avec Dorna Sports, la FIM et la MSMA.

Retrouvez ici la première partie concernant Kenny Roberts, Barry Sheene et le projet World Series

Retrouvez ici la deuxième partie concernant la période des World Series à la grève des pilotes au Grand Prix de France

Retrouvez ici la troisième partie concernant la grève des pilotes au Grand Prix de France


On l’a dit, si la grève des pilotes au Grand Prix de France 1982 a fait la une de la presse spécialisée en mettant au grand jour tous les points de friction qui opposaient à l’époque les pilotes aux  organisateurs et à la FIM, elle n’a pas eu de conséquences immédiates, la FIM semblant alors davantage préoccupée par le problème naissant des droits télévisés et n’abordant même pas le sujet lors de son congrès d’automne du 20 au 25 octobre à Opatija.

Toutefois, l’année suivante, en 1983, les questions de sécurité avancent doucement mais elles avancent néanmoins.
Le statut de représentant des pilotes est mieux défini et c’est toujours pour le moment Franco Uncini, même si Mike Trimby reste celui qui écrit les rapports, et ce d’autant que l’Italien champion du monde en titre est victime d’un très grave accident avec le jeune Wayne Gardner qui dispute son premier Grand Prix à Assen (voir à ce sujet l’excellent documentaire sur Canal+).

Par ailleurs, le principe d’homologation des circuits est validé pour trois ans et l’élaboration d’un dossier permanent pour chaque circuit a été confirmée, tandis que la commission médicale informe qu’une clinique mobile est en cours de création, proposée par la fédération italienne à l’instigation du Dr Costa.

1984 s’avère sur la même tendance en ce qui concerne les différents problèmes de sécurité ou autres rencontrés par les pilotes. La FIM se dote d’un nouveau président, monsieur Nicolas Schmit, mais celui-ci est confronté en début de saison au problème de l’OPIT, une société spécialisée dans les relations publiques et la publicité basée à Milan, censée s’occuper des droits TV mais qui ne faisait rien, à tel point qu’un avocat a été engagé pour résilier le contrat sans encourir de dommages.

Hormis l’accident qui coûta la vie au pilote britannique Kevin Wrettom (Suzuki) lors des essais du Grand Prix de Belgique à Spa, la saison des Grands Prix se déroule sans trop de drames et la FIM tient son congrès annuel à Munich du 21 au 27 octobre.

Martin Wimmer y représente les pilotes de vitesse puisque Franco Uncini est absent. Une enquête avait été menée auprès des coureurs lors du Grand Prix à Assen. Sur les 200 pilotes interrogés, 60 ont répondu et presque tous sont contre les essais privés mais en faveur des essais libres (un jour plutôt que deux) et en faveur d’un départ arrêté (à 37 voix contre 23) pour des questions de sécurité. La nouvelle piste du Nürburgring est homologuée à partir de 1984 et celle de Suzuka, au Japon, à partir de 1985, avec un Grand Prix du Japon devant s’y dérouler à partir de 1987.

Comme nombre de fédérations ou même de clubs, l’ARMCO (Association des constructeurs de motos de course) demande à être reconnue par la FIM, c’est à dire à être membre associé. Ne sachant pas réellement s’il s’agissait d’une association de concurrents et/ou d’équipes, la décision est reportée à l’année suivante.

Bernard Fau, qui s’est reconverti dans le cinéma depuis, a connu l’époque du Continental Circus et la période pré IRTA, en tant que pilote privé.

 

 

 

Il nous raconte : « heureusement qu’il y avait des privés, sinon il n’y aurait pas eu de champions. Pour qu’il y ait des champions, il faut qu’ils battent d’autres pilotes et ces faire-valoir étaient aussi très bons, même s’il y avait plusieurs statuts de privés derrière les pilotes d’usine : les pilotes d’importateur, qui correspondent aujourd’hui grosso modo aux équipes satellites, et les privés privés dont je faisais partie. Tu trouves tes contrats, tu engages ton mécanicien et tu payes tes motos plein pot ! En 500c, j’étais peut-être le seul à m’être lancé sans aucun soutien, à part celui de mes sponsors GPA, Motul et Solamor. Je ne connaissais même pas monsieur Bonnet qui était l’importateur Suzuki, la moto qui en 79 permettait de gagner un Grand Prix, et il ne me connaissait pas non plus car il n’en avait rien à faire de la course. Je n’ai pas eu un segment de fourni ! Donc démarrer une saison en 500 avec seulement les moyens de payer la moto, mais zéro sur le compte en banque, il fallait être un peu fou (rires) ! »

« Après, les galères commencent parce que tu n’es pas sur la putain de Grading List. Celle-ci, tu en étais ou tu n’en étais pas, et ça déterminait tout. Si tu n’y étais pas, quand tu envoyais ton courrier à l’organisateur du Grand Prix, il te répondais que tu n’était pas sur la Grading List, et toi tu lui disais que pour y être, il fallait qu’il t’autorise à courir. »

« À cet égard, c’est tout à l’honneur de François Chevalier (directeur du circuit Paul Ricard) qui avait admis tous les pilotes internationaux en 1975. Il y avait donc trois séances d’essais et 120 mecs pour 40 places et les pilotes de pointe commençaient à accepter qu’il faille se qualifier, alors qu’avant ils étaient automatiquement qualifiés. C’est par exemple grâce à cela que Johnny Cecotto, engagé inconnu au Grand Prix de France en 75, est vainqueur en 250 et 350 le dimanche soir. Ou Pierre Bolle, le frère de Jacques, qui sortait de la coupe Honda et qui est engagé au Paul Ricard en 1976 et y a fait une première ligne. Ce sont des choses qui ne sont pas imaginables aujourd’hui ! »

« Mais tout le monde n’était pas François Chevalier et n’avait pas cette démarche : les autres ne voulaient pas s’emmerder avec autant de gens, même s’il y avait toujours plus de pilotes aux essais que de qualifiés. »

« Mais cette Grading List, c’était l’horreur. Même après avoir fait des résultats et marqués plein de points, quand je suis redescendu en 250 en 1983, je n’étais pas sur la Grading List 250, et j’avais beau avoir fait 10e à Hockenheim et marqué un point, à Monza je n’étais pas engagé. Et je n’étais pas le seul ! Et à ce moment-là, la fédération française ne nous aidait pas beaucoup, alors que les Italiens et les Anglais avaient leurs représentants qui se battaient auprès de l’organisateur pour obtenir des engagements. Nous, on était tout seul. »

1985 se déroule un peu comme 1984 : les circuits les plus dangereux ne figurent plus au calendrier et on ne déplore pas trop de drames dans le cadre du Championnat du monde.

 

 

 

La vie des pilotes n’était pourtant pas rose pour autant, comme nous le détaille aujourd’hui Jean-Marc Bonnay, alias Snoopy, qui officiait alors comme coordinateur sous les ordres de Jacky Germain au sein du team Sonauto–Gauloises qui alignait Christian Sarron en 500cc :

– « La sécurité : ça voulait dire d’abord d’arrêter de rouler sur des circuits dangereux comme Opatija, Salzbourg, Nürburgring, Brno, Imatra, Monza, etc. Comme toujours, il a fallu laisser des camarades en route (Billie Nelson, etc.) avant que les choses ne changent. Et une fois certains écartés, les plus dangereux, il a fallu améliorer ceux qui restaient . Des questionnaires ont été donnés à certains pilotes et ils furent très surpris des informations que nous leur donnions car il est vrai qu’un pilote roule et ne regarde pas où est le mur… Mais certains ont été maintenus pour leur image comme Suzuka pour l’endurance alors que les Grands Prix n’y allaient plus. Cela voulait dire aussi s’occuper des moyens d’intervention, des Directeurs de course (Salzbourg, Nogaro), etc. »

– « Le calendrier : il était fait n’importe comment. On pouvait avoir Salzbourg en début de saison avec de la neige, du froid et du brouillard au Nürburgring, rouler en Tchécoslovaquie le dimanche puis retraverser le « rideau de fer » et ses longueurs douanières pour rouler en essais le vendredi à Silverstone. Là encore, des camarades sont restés sur la route : Bernard Fargues, Skip Aksland, etc. »

– « Les engagements : ça voulait dire écrire en tout début d’année à tous les organisateurs en espérant une réponse favorable. Souvent sans réponse, les pilotes privés sans gros palmarès, allaient malgré tout frapper à la porte des organisateurs pour essayer d’obtenir le sésame. Souvent ils n’y arrivaient pas et repartaient sans rouler vers la course suivante. Parfois, on les acceptait seulement le vendredi soir selon les chutes de la journée. Autant dire que pour se qualifier sur le seul samedi, c’était quasi mission impossible ! Il en résultait donc uniquement des dépenses (carburant, pièces, pneus) alors qu’ils tiraient déjà le diable par la queue !  On ne doit toutefois pas oublier le rôle primordial tenu par les délégués nationaux et, à ce titre, Paul Sperat-Czar et Benjamin Savoye ont fait beaucoup pour les Français. »

– « Les primes d’arrivée : en Grand Prix, il n’y avait pas de primes de départ à la différence des courses internationales qui avaient de beaux plateaux puisqu’il y avait les deux, primes de départ pour certains, et d’arrivée selon les résultats. Pour les deux, la paie était le dimanche soir et, là aussi, c’était long et compliqué : des heures, un par un à la queue en attendant notre tour ! Une fois arrivé au bureau payeur, il fallait accepter toutes les raisons fiscales locales qui réduisaient les revenus des pilotes. Pour moi en 1988, prendre les primes de 3 pilotes en liquide était loin d’être agréable… »

– « Les laissez-passer : combien d’heures certains d’entre nous, attachés à cette tâche, ont dû faire le pied de grue au secrétariat des circuits pour obtenir assez de passes pour leur équipe ? C’était le droit du Prince ! Certains étaient vraiment durs à cet égard, Salzbourg en tête. »

 

 

 

Jacques Bussillet, déjà à l’époque journaliste très proche des pilotes avant de prendre la tête de la rédaction de Moto Journal, nous synthétise la situation : « c’est difficile à expliquer aujourd’hui, mais du haut en bas de l’échelle des clubs, des organisateurs et de la fédération, tout le monde était obsédé par l’idée que les coureurs faisaient ça uniquement par esprit sportif, et donc qu’il ne pouvait pas être professionnels et ne pouvait pas être rémunérés. Il y avait une dichotomie entre des gens d’une vieille école sportive et fédérale qui pensaient que le sport devait rester le sport, et que l’argent ne devait que défrayer le pilote pour lui permettre de venir faire son exploit sportif. Ils n’admettaient pas l’idée qu’un sportif se rémunère de son activité sportive ! C’était presque la vieille vision olympique qui datait d’un siècle et aucun d’eux n’a pris en compte ou compris en temps réel que d’un seul coup, le coût de la course n’a pas été le même, avec l’arrivée des deux-temps. Pour les privés, on était passé d’une période de gentleman riders, qui faisaient pour le plaisir et la beauté du sport, à des gens qui avaient aussi envie d’en vivre. »
« La deuxième phase, c’est quand les sponsors arrivent en Grand Prix à partir de 1971. Les pilotes s’organisent alors en écuries et en teams mais cette professionnalisation n’est pas suivie au niveau des organisations, et quand tu arrives sur un circuit, tu fais deux, trois ou quatre heures de queue à la porte d’un club ou d’une vague caravane pour obtenir en bataillant trois laissez-passer pour ta bagnole et ton mécano. C’était amateur à tout point de vue. »
« Fin 78, Kenny Roberts arrive et fait comprendre à sa manière aux Européens que ce sont tous des cons d’accepter ce côté bordélique. Il faut un coup de pied là-dedans et il pousse tout le monde à bouger. Mais ça met du temps, avec les grèves à Spa en 79 puis à Nogaro en 82, entrecoupé de l’histoire des World Series. D’un seul coup, il fout la trouille aux organisateurs, et au-delà de la revalorisation des prix, il casse cette vieille coutume qui consiste à dire que les pilotes sont des mecs qui courent pour le sport et qu’il n’y a pas de raison qu’ils gagnent de l’argent. Et peu à peu, les instances commencent à accepter l’idée que non seulement les pilotes doivent être mieux payés, mais aussi que ce sont des professionnels, d’autant que l’arrivée massive des grandes compagnies du tabac, Marlboro en tête sous l’impulsion de Léo de Graffenried, le fils d’un des rares pilotes suisses de F1, «Toulo», a donné une autre dimension aux Grands Prix motos : ces derniers ne voulaient pas mettre de pognon sur des va-nu-pieds !  »
« L’IRTA naîtra en toute logique de tout cela, grâce à des gens comme Serge Rosset (qui fait courir les ELF 500cc avec Ron Haslam), Snoopy (voir plus haut et plus bas), Michel Métraux (entre autre représentant ELF en Suisse et team manager de la Parisienne avec Pierre Bolle en 250cc), puis les Anglais qui reniflent assez vite qu’il y a un pouvoir à prendre. »

 

 

Ago en grande discussion avec Snoopy (au milieu) et Jacky Germain (à droite)…

 

Pour bien comprendre l’évolution foudroyante des Grands Prix lors des deux décennies précédentes, voici les camions-ateliers et l’hospitality de l’usine Yamaha en 1964…

 

 

Pour illustrer, si cela était encore nécessaire, la non reconnaissance des droits des pilotes à cette époque, c’est en mai 1986 lors du Grand Prix des Nations à Monza que Jean-Louis Tournadre, champion du monde 250cc en 1982, avait fait son retour en Grand Prix, ​​après une longue mendicité et beaucoup d’efforts pour être autorisé à participer aux essais !

Sans que cela soit absolument lié, c’est également le même week-end que l’IRTA naît lors du Grand Prix des Nations, à la suite d’une réunion réunissant les principaux team managers et top pilotes internationaux à l’instigation de Jean-Marc Bonnay alias Snoopy : « Dès que le mouvement a été lancé, deux personnes se sont clairement positionnées pour se mettre à disposition du groupe et de ses objectifs, mettre toutes ces idées au propre, définir les buts et écrire les statuts d’une association qui aurait pour but de « défendre les intérêts des pilotes, des équipes et leurs sponsors. » Ces deux personnes ont été Michel Métraux le patron du Team La Parisienne Elf, et Serge Rosset, patron du team ROC Elf. Les deux étaient complémentaires, Michel l’homme d’affaire suisse pragmatique, administratif, juridique et calme, Serge l’homme des idées neuves, le bulldozer qu’aucun combat ne pouvait effrayer. Et d’autres, dont moi, autour d’eux pour « pousser les wagons. »

« Il a fallu lui trouver un nom à cette association, et est apparu IRTA, soit « International Road Racing Teams Association ».

« Si assez rapidement les choses ont bien avancé, il est devenu incontournable pour Michel Métraux « le sage » d’obtenir que la FIM nous reconnaisse officiellement comme « Membre associé » afin d’être représentatif vis-à-vis de tous les intervenants. Tout le monde n’était pas forcément enthousiasmé à l’idée de travailler avec la FIM qui n’avait pas fait preuve de beaucoup de volonté d’ouverture, mais il a emporté l’adhésion du groupe. Malheureusement, dans notre démarche nous allions piétiner les plates-bandes de quelques-uns dont deux personnes qui essayaient de monter une association des constructeurs : Chas Mortimer et Paul Butler. Ces derniers n’ont pas ménagé leurs efforts pour nous écarter et certaines manœuvres ont été limites, mais à la fin c’est nous qui avons gagné et l’IRTA a été reconnue officiellement par la FIM. C’était le 1er stade de son développement officiel. »

 

 

Écurie Parisienne de Michel Métraux, suisse comme son nom ne l’indique pas…

La reconnaissance officielle de L’IRTA par la FIM est intervenue fin 86, lors du congrès annuel de l’instance dirigeante qui s’est déroulé à Palerme, avec toutefois une demande de modification de ses statuts qui n’étaient pas conformes à la FIM car ils permettaient à l’association de marquer un éventuel désaccord avec une décision de la fédération. Le conseil de direction de la FIM a également exigé qu’un membre de celle-ci soit autorisé à assister aux séances de l’assemblée générale de l’IRTA.

Une reconnaissance sous condition d’allégeance, donc, mais pourtant une histoire assez tumultueuse et très loin d’être terminée, tout comme notre série d’articles…

A suivre…

Retrouvez ici la première partie concernant Kenny Roberts, Barry Sheene et le projet World Series

Retrouvez ici la deuxième partie concernant la période des World Series à la grève des pilotes au Grand Prix de France

Retrouvez ici la troisième partie concernant la grève des pilotes au Grand Prix de France

Crédit photos : FIM, Jumping Jack, Yamaha Motor, Mike « Michelle » Duff, etc.