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Ducati Ciabatti

Certes, Paolo Ciabatti n’est plus le directeur sportif de Ducati Corse en MotoGP pour la saison 2024. Mais ne vous y trompez pas : l’homme y a toujours son mot à dire, et cette interview réalisée en Italie l’an passé est toujours d’actualité pour nous peindre le portrait d’une belle personne du paddock, aujourd’hui responsable du Superbike, du Motocross, du MotoAmerica, de l’Endurance, du BSB, etc…


Paolo Ciabatti : « Je suis né le 20 octobre 1957 à Turin. J’ai vécu jusqu’à l’âge de 7 ans à Turin, après mon père a acheté une grande maison à la campagne, ça veut dire à 15 km de Turin, sur la colline, et on a déménagé là-bas, comme ça j’ai fait la première partie des écoles dans la ville à Turin, et après la seconde partie de l’école primaire dans un petit village. Et après je suis retourné étudier à Turin parce que il n’y avait pas d’école supérieure là-bas et j’ai fait toutes mes études à Turin dans, comment dire, une école privée des frères de Jean-Baptiste de la Salle, qui s’appelle le Collège de Saint-Joseph.

Après ça, j’ai commencé au Polytechnico de Turin, où j’ai fait les premières deux années, mais après, malheureusement, mon père est décédé quand j’avais 19 ans, et j’ai arrêté d’étudier au Polytechnico pour aller aux États-Unis, à Boston. Mais après quelques mois, comme j’étais le seul homme dans la famille, qui comprenait ma mère, ma petite sœur et ma grande sœur qui a une année plus que moi, alors ma mère m’a dit “Il faut que tu rentres en Italie parce que j’ai besoin”. Et alors je suis rentré et j’ai continué Économie et Management. Ensuite, j’ai commencé à travailler pour une entreprise de Turin qui était l’importateur des voitures Saab et Mazda. Moi, j’avais la passion pour pour tout ce qui était moteur, comme tous les enfants de mon âge. A 14 ans, le rêve c’était d’avoir une moto pour faire du motocross.

 

Et même si mon père n’aimait pas la moto, comme j’étais très bon à l’école, alors il n’a pu pas dire non. Comme tous mes copains d’école étaient un peu plus grands que moi, puisque quand j’ai commencé l’école, je n’avais pas encore 5 ans, alors j’étais toujours “le petit Paolo” : quand ils avaient la 50, moi j’avais la bicyclette, quand ils avaient la 125, moi j’avais la 50 (rires).
J’ai commencé à faire du motocross, mais après la 2e course, je me suis gravement blessé à la jambe gauche (fracture du tibia, avec un Lancillotti 50 Sachs), et je suis resté à l’hôpital pendant longtemps, et après j’ai arrêté avec la moto de compétition.

J’ai fait un peu de rallye au niveau régional et national, et après j’ai fait quelques courses du championnat italien de offshore ,avec les bateaux, et après quelques courses de rallyes historiques, mais après ça, j’ai décidé de me concentrer un peu sur le travail. »

Donc la passion des moteurs ne vient pas d’un environnement familial…
« Non, pas du tout. Je t’explique, c’est vrai que mon père avait de très belles voitures. La dernière, c’était une BMW 3300, donc il aimait les voitures, mais pas nécessairement sportives. Mais moi, je ne sais pas pour quelle raison, ah si, peut-être que je connais la raison: je suis resté très très impressionné début71, il y avait le championnat du monde des prototypes d’endurance qui commençait avec les 1000 km de Buenos Aires, en Argentine, et c’était toujours 2 pilotes par voiture qui faisaient les courses d’endurance. il y avait un pilote italien, Ignazio Giunti, qui était pilote d’usine Ferrari avec Arturo Merzario qui est un grand ami maintenant. OK, mais avant j’étais un petit garçon, alors je suivais beaucoup les courses, parce que c’était un peu la petite Ferrari contre la nouvelle Porsche 917 de Pedro Rodriguez. Giunti était en tête et malheureusement, un pilote français, Jean-Pierre Beltoise, est tombé en panne d’essence avec sa Matra. Il a commencé à pousser sa voiture pour rejoindre les box, et Giunti a percuté la voiture et s’est tué. Et là-bas, cette image, elle est restée dans ma tête et j’ai commencé à suivre beaucoup ce qui se passait dans le monde Auto-Moto, j’ai commencé à acheter Autosprint en Italie, c’était l’hebdomadaire qui sortait chaque jeudi, pour apprendre plus.

Autosprint #2

Alors, depuis ce moment, je suis allé à Monza pour voir la Formule 1, naturellement comme ça hein, pour regarder la voiture sans avoir la possibilité de rentrer dans les paddocks. Je suis allé à la Targa Florio 1973, et je suis content parce que c’était la dernière Targa Florio véritable avec des prototypes Ferrari et Alfa Romeo, et tout ça.

Et l’autre chose intéressante, c’est qu’à l’école j’avais un copain avec qui je partageais le banc, et son père, il était responsable de Michelin pour les courses motos en Italie. Mais ce garçon avait zéro intérêt dans la compétition moto. Alors j’ai parlé avec son père et je lui ai dit que moi ça me plaisait beaucoup, et il m’a dit “mon fils, il s’en fout de ce que je fais, mais si tu veux venir, viens !”. Alors je je suis allé avec lui à la 200 Miles de imola 1974. Si vous vous souvenez, Giacomo Agostini avait arrêté l’année d’avant avec MV Agusta, il était passé Yamaha et il a gagné la 200 Miles de Daytona et il a même gagné la 200 Miles de Imola. Moi j’étais là-bas, c’était avec un pass paddock, devant la chicane avec les bottes de paille, ce n’était pas comme aujourd’hui, j’étais à l’intérieur très proche des motos. Ce n’était pas sûr, mais c’était intéressant : j’avais 16 ans et avec lui on allait chez tous les pilotes. Alors j’ai connu tous les pilotes là-bas, il y avait même les Américains, les Canadiens, il y avait Kenny Roberts, Kel Carruthers, Johnny Cecotto, Steve Baker, Yvon Duhamel, tous avec les grandes motos 750 2-temps. Pour moi, c’était énorme !

Ensuite, j’ai même commencé à suivre les rallyes. Alors il y avait le rallye de Monte Carlo, c’était proche de Turin, pas trop loin, et la dernière nuit, c’était 3 fois sur le col du Turini, alors on allait bas avec mon pauvre père qui conduisait sa voiture pour moi toute la nuit. On rigolait avec les Français, parce que c’était « Lancia contre Alpine ». Il y avait toujours d’un côté les Italiens, et de l’autre les Français, avec les boules de neige qui volaient entre les deux. Alors voilà, c’est un peu l’histoire de ma passion pour la course: ça ne vient pas de la famille, ça vient de quelque chose de tragique. »

Votre carrière s’oriente vers la moto après la période Saab ?
« Oui, bon, j’ai travaillé là-bas de 1980 jusqu’à 1997, avant avec Saab et après avec Mazda, et c’est pour ça que je connais très bien la mentalité japonaise, parce que je suis me suis rendu au Japon peut-être à 50 fois dans cette période. A Tokyo, où j’avais des amis japonais, mais surtout Hiroshima où il y avait l’usine de Mazda.
Et en 1996, c’est le moment où le fond américain Texas Pacific Group a racheté Ducati aux frères Claudio et Gianfranco Castiglioni, et toute la partie marketing commercial est partie à Varèse chez Cagiva, et il n’y avait plus de management marketing commercial. Ils ont alors fait un contrat avec une société de chasseur de têtes pour rechercher des managers, surtout du monde automobile. Ils m’ont appelé, je suis allé la première fois en décembre 1996, mais l’usine était pratiquement fermée, parce qu’il n’y avait pas d’argent chez Ducati à ce moment-là, et la production était presque fermée.
Donc je n’ai eu une grande impression la première fois, j’ai dit “hum, pas sûr”. Mais après ils m’ont rappelé pour rencontrer un monsieur qui était devenu le président de Ducati après quelques mois, Monsieur Minoli, qui n’est peut-être pas très connu, Federico Minoli. Mais Federico, c’était un visionnaire, alors il m’a dit “Bon écoute, on a besoin de jeunes (j’avais 40 ans) qui ont des idées, qui ont envie d’essayer de faire le turnaround. Parce que si on a un succès, c’est une histoire fantastique, mais on peut faire faillite parce que la société est limite limite”.
Je me dis ”bon, j’ai 40 ans, je le fais maintenant parce que c’est une chance de faire partie de quelque chose d’historique”, car Ducati était alors une société qui avait une une bonne image mais qui était vraiment dans une situation très difficile. Là-bas, j’ai commencé à travailler chez Ducati en 97 comme export manager, et en 98 j’ai commencé un peu à suivre la partie Superbike. Cette année-là, il y avait 2 équipes, l’équipe de Virginio Ferrari avec Troy Corser et Pier Francesco Chili, et l’équipe Ducati Performance avec Davide Tardozzi qui a gagné le championnat avec Cal Fogerty.

J’ai fait quelques courses, c’était ma passion, et là-bas on a un peu réfléchi, avec Claudio Domenicali et Minoli, que c’était peut-être le moment de faire une division course.
Avant, c’était tout mélangé,  la partie technique, c’était production un peu course, parce que c’était des dérivées de la production, mais ce n’était pas clair de savoir qui faisait quoi. Et l’autre chose, c’était qu’il n’y avait pas une partie commerciale marketing pour la course. Ducati payait les pilotes et le matériel donné aux équipes, donnait de l’argent aux équipes, mais les sponsors, c’était à l’équipe de les trouver.
Alors c’était beaucoup de coûts et rien en retour, à part l’image. On a donc commencé à construire une structure au niveau technique avec Claudio aux commandes, avec Fillipo Preziosi et tout ça, et de l’autre côté une structure commerciale. Après, Suppo est arrivé, et bla bla bla, c’était l’histoire… « 

Votre passion a alors rejoint votre métier. Mais, c’est quoi le métier de Directeur Sportif chez Ducati ?
« C’est une belle question. C’est tout ce qui est pas technique. C’est en partie les relations avec les autres constructeurs, les relations avec la Fédération et Dorna. Je suis avec Gigi un des deux représentants de Ducati dans la MSMA, l’Association des constructeurs. Etc’est la partie surtout marketing-sponsorship qui est très importante pour nous. C’est Mauro Grassilli qui gère sous  mon parapluie, et la communication, la partie communication marketing de Ducati Corse. Je fais toute la partie négociations, pilotes, contrats et tout ça, la gestion de l’équipe satellite, pas un niveau technique mais au niveau contractuel, et bon après je m’occupe même de la supervision de la partie Superbike et des contrats que l’on fait dans les championnats nationaux, notamment BSB où on a des succès, malheureusement avec la très mauvaise nouvelle de Paul Bird qui est décédé cette semaine. »

Bon, alors ce qui est intéressant dans votre parcours, c’est que la passion est visiblement toujours présente, et même au-delà de la moto, puisqu’on vous retrouve de temps en temps en rallye, dans des avions de chasse ou au Moyen-Orient avec les troupes italiennes. Pourquoi toutes ces expériences extrêmes ?
« C’est le besoin d’adrénaline. Et je ne peux pas tout montrer sur les réseaux sociaux (rires). Non, c’est vrai que dans toute ma vie, j’ai toujours eu besoin d’adrénaline.

C’est pour ça que j’ai commencé, même si je n’avais pas une tradition familiale, à suivre et à essayer de faire des choses que j’aimais bien. Peut être j’étais pas mal vite, mais pas régulier. Alors là-bas j’ai eu la chance de pouvoir faire ma carrière dans un endroit où j’ai la passion. Je pense que j’ai un peu appris par mon éducation, l’université, les études aux États-Unis. C’est peut être quelque chose un peu de différent de beaucoup de gens qui sont dans les paddocks, avec tout le respect, mais c’est c’est une histoire différente. Je ne suis pas un pilote qui est devenu team manager ou tout ça, j’arrive avec une autre expérience. J’aime essayer de résoudre les problèmes, et un peu d’une façon diplomatique. » 

Soyons clairs, vous auriez pu être diplomate… 
« Oui ! Pas facile, hein, parfois, parce qu’il y a beaucoup d’égos qui, même s’ils n’ont peut être pas des idées très différentes, arrivent quand même à discuter.

Paolo Ciabatti Ducati

Mais bon, j’ai toujours besoin d’adrénaline. Qu’est ce que veut dire ça ? C’est des choses un peu folles, j’ai encore beaucoup envie de connaître des cultures différentes. Mais j’aime aussi beaucoup faire la plongée sous-marine là-bas, c’est la chose qui me donne la tranquillité. Là-bas, il n’y a pas de téléphone, pas de personnes qui m’ennuient, je suis là-bas avec la nature, on découvre toujours des choses qu’on ne connaît pas avant, alors c’est une surprise. Alors que c’est peut être malheureux pour ma famille, parce que avoir quelqu’un qui est toujours parti…
Mais je n’aime pas la tranquillité, la routine : la routine, ça me tue. Alors, tous mes amis sont plus normaux, peut être parce qu’ils n’ont pas besoin, mais je n’aime pas être dans ma zone de confort. Je préfère toujours avoir quelque chose à gérer. Je comprends que c’est une chose qui ne rend pas facile les relations d’amitiés.” 

Vous avez des amis, quand même… 
“Non, sûr ! Ce sont tous mes copains de l’école, on sait se voir régulièrement, mais c’est vrai qu’on n’est jamais là-bas (à la maison) dans le weekend, ou quasiment jamais, alors les gens normaux disent “le prochain weekend, on va à la mer ou on va à la montagne ? Ah, oui, où est Paulo ? Ah, il est en Inde’. Alors ça commence à dire “OK, quand tu es en Italie, tu nous appelles, s’il te plait, parce qu’on essaie et tu n’es jamais là (rires)”. Mais c’est vrai que la véritable amitié est toujours là-bas, même si c’est un peu difficile. C’est un peu un choix de vie, non ? Un choix de vie, c’est essayer de trouver un compromis entre un travail qu’on peut sûrement faire si on a la passion, mais on vit avec les gens de l’équipe plus qu’avec la famille. Ça c’est vrai, et c’est quelque chose peut-être d’un peu  égoïste. Mais bon, c’est ça.” 

L’entretien s’est ensuite poursuivi avec une évocation du regretté Philippe Debarle qui restera privée, mais aussi, signe d’une grande confiance à l’époque où tout le monde se posait la question, d’une réponse à la fois aussi sibylline qu’instructive à la question de savoir si Marc Marquez allait signer chez Ducati: « Tu penses qu’il y a quelque chose impossible ici (rires) ? On a vu des choses qu’on pensait pas possible, mais ce n’est pas quelque chose où Ducati est impliqué » (Voir ici).

 Nous tenons à remercier Paolo Ciabatti pour ce témoignage personnel et sincère et auront plaisir à le rencontrer. Ici ou là… 

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Paolo Ciabatti Ducati

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