A circonstances exceptionnelles, interview exceptionnelle, et celle de Piero Taramasso l’est véritablement puisque le manager de la compétition deux-roues de Michelin a eu la gentillesse de répondre à toutes nos questions concernant les problématiques liées au prochain Grand Prix MotoGP à Barcelone, alors que les hommes de Clermont-Ferrand sont actuellement entièrement mobilisés pour répondre aux conséquences du drame qui a frappé la région de Valence.
Pour tout savoir sur la course entreprise dès la Malaisie par les hommes de Bibendum, et qui les conduira jusqu’en Catalogne dans une semaine, c’est ici et nulle part ailleurs…
Piero Taramasso, vous revenez
de la tournée outremer orientale, et ça s’est plutôt bien passé,
alors que les trois derniers Grands Prix se sont déroulés dans des
conditions vraiment très différentes, entre la fraîcheur de
l’Australie, la pluie de la Thaïlande et la chaleur de Sepang. Vous
êtes donc satisfait du bilan…
Piero Taramasso : « Oui, oui, je suis très
satisfait parce que l’Australie tout le monde sait que c’est un
circuit très très sollicitant, très difficile pour les
pneumatiques. Et il y avait le nouvel asphalte en plus, qu’on ne
connaissait pas, ni le niveau de grip, ni le niveau d’agressivité.
Et finalement, on a pu faire une très belle course, spectaculaire
comme toujours à Phillip Island. Après, il y a eu la Thaïlande, et
là, on a fait un Grand Prix sous la pluie. Donc là, très bien
aussi, on attendait un Grand Prix sous la pluie depuis le début
d’année, et c’était très beau. Les pneus pluie ont très bien
fonctionné et on a vu des temps, des chronos rapides et constants.
Et après, le dernier outre-mer, c’était en Malaisie, à Sepang. Là,
les températures sont toujours très élevées, et c’est un circuit là
aussi assez agressif sur les pneumatiques. Mais ça s’est bien
déroulé, on a vu une belle course, avec vraiment du grand spectacle durant les 5 premiers tours
entre Martin et Bagnaia. C’était vraiment beau, et ça m’a rappelé
tout de suite le duel entre René Arnoux et Gilles Villeneuve sur le
circuit de Dijon en 1979. C’était incroyable et j’ai tout de suite
eu cette pensée ! Les pneus ont très bien fonctionné au niveau de
la constance, et on avait fait les bons choix, donc tout était
positif. »
Très bien. Alors après, malheureusement, on a vu le
drame qu’a subi l’Espagne, en particulier la région de Valence où
devait avoir la finale de la saison MotoGP 2024. Alors évidemment,
tout le monde a été pris au dépourvu, et là on imagine que
l’organisateur, Dorna, a dû se retourner vers vous pour savoir ce
qu’il était possible de faire au niveau des pneumatiques, et si
vous pouviez faire une course ailleurs. Comment ça s’est
passé ?
« Oui, malheureusement, il
y a eu cette tragédie à Valence qui a touché vraiment profondément
tout le paddock. Il y a beaucoup d’Espagnols dans le Paddock, mais
tout le monde est sensible à ces choses-là qui arrivent partout
dans le monde, de plus en plus. Donc une fois que ce choc est un
peu passé, oui, on a travaillé, on a discuté avec la Dorna pour
trouver une solution. On s’est mis à la disposition de la Dorna, on
leur a dit “Écoutez, dites-nous où sont les options possibles,
où on peut aller, où le circuit est éventuellement libre,
et nous, en fonction du
circuit, on pourra vous dire s’il nous faut 5 jours, une semaine ou
10 jours pour réagir, pour pouvoir fabriquer les pneus et les
transporter sur place”. Donc il y avait 5 options au départ,
qui ensuite se sont réduites à 2, Barcelone et Qatar, et finalement
le choix s’est porté sur Barcelone.
On connaît très bien Barcelone, mais
en novembre il fait frais, les températures ne sont pas les
mêmes que pendant toute l’année. La difficulté, c’est d’essayer
d’anticiper la météo, et on sait qu’à Barcelone à cette époque, il
va faire froid. Et donc qu’est ce qu’on va faire ? On va faire
des spécifications spécifiques “temps froid” pour pouvoir rouler à
Barcelone. On ne va
pas révolutionner l’allocation de Barcelone, car on va amener
2 pneus avants qui faisaient déjà partie de
l’allocation de la course du mois de mai, ainsi que les 2 types de
pneus arrières de l’allocation de base parce qu’ils avaient bien
fonctionné à la période de la course, et avaient
été utilisés avec satisfaction. Mais
en plus de ça, on rajoute un
arrière Soft pour temps froid, et on ajoute 2 avants asymétriques,
avec des mélanges plus tendres à gauche et plus durs à droite, pour
travailler mieux en conditions froides.
L’allocation comprendra donc 4 avants
et 3 arrières, comme on fait sur un circuit où on n’a pas pu faire
des tests, quand on a des nouveaux tracés. Le règlement nous permet
alors de rajouter des spécifications et c’est ce qu’on va faire
pour Barcelone. On rajoute cette spécification pour le temps froid,
comme ça on est couvert dans toutes les éventualités: il peut faire
froid, chaud, ou des températures normales.
Voilà, donc une fois qu’on a pris cette
décision, c’était dimanche matin à Sepang, on a commencé à lancer
la fabrication. Côté usine, on a des équipes qui sont très
flexibles, très réactives, et notre procédé de fabrication est très
élastique aussi, donc on a mis en place ça et on aura tous les
pneus qu’il faut pour le weekend de courses à Barcelone, en sachant
que le mardi suivant il y a aussi le test,
donc une difficulté en plus,
parce que ça veut dire de fabriquer encore plus de
pneus. »
Ces pneus spécifiques, ils existent déjà à votre
catalogue, voire même ils correspondent à d’autres circuits, ou ce
sont des pneus spécifiquement faits pour Barcelone au mois de
novembre ?
« Non, ce sont des pneus
qui font partie de la gamme 2024, donc qui sont, comme tu dis, déjà
au catalogue. En fait, on n’a pas
le droit d’introduire des nouveaux pneus pendant la
saison. »
Oui, mais là c’est quand même un cas exceptionnel
!
« Oui. Mais non, là ce sont des pneus qui font partie
de la gamme, mais qui sont adaptés pour rouler à cette époque à
Barcelone. »
Donc ça change au niveau de la dureté, de la tendreté,
de la gomme…
« Exact. Comme je t’ai dit, il y a 2 avants et 2
arrières avec lesquels on a déjà roulé à Barcelone, mais les autres
sont plus soft, moins rigides, et ils se mettent en température
plus facilement. Avant de lancer la fabrication, on a discuté avec
les pilotes et quelques teams pour savoir ce qu’ils en
pensaient, et tout le monde était
d’accord sur cette allocation, donc je suis assez
serein. »
Outre la température pour cette édition en novembre,
quelle est la particularité de Barcelone
?
« En fait, à Barcelone la difficulté est que le circuit
a très peu de grip. L’asphalte est vieux, il est très, très lisse,
et déjà de base, tu n’as pas d’adhérence. Souvent, les pilotes
disent que ça patine, ça patine, ça patine, même dans la ligne
droite. C’est vraiment la caractéristique de Barcelone, en 2 roues
comme en 4 roues, tout le monde sait qu’il y a très peu de grip,
c’est très lisse. Donc ça c’est la première difficulté.
Deuxième difficulté, c’est un circuit
qui est assez asymétrique, avec beaucoup plus de sollicitations à
droite qu’à gauche. Par exemple,
tu as le virage #2, c’est le premier virage à gauche, où là c’est
vraiment très piégeux. Avec le # 5, ce sont les deux virages
vraiment critiques, et c’est justement pour ça qu’on a décidé
d’amener les 2 pneus avant qu’ils ont le côté gauche plus tendre
par rapport à à droite, justement pour pouvoir négocier ces deux
virages en pleine sécurité. »
Là, pendant qu’on parle, on est en train de fabriquer
des pneus à Clermont-Ferrand. Combien de pneus
?
« Pour un week-end de Grand Prix,
on parle à peu près de 1200 pneus, entre
les pneus slicks et que les pneus pluie, et sur une journée de test
comme celle-là, où tu as toutes les motos qui roulent, c’est
environ 300 ou 400 pneus. Donc un total de 1500 ou 1600 pneus, mais
on en avait déjà qui étaient
restés de la course du mois de mai, qui ont 5 mois et sont tout
neufs, jamais montés, jamais chauffés, que ce soit des slicks ou
des pneus pluie. Donc on en a récupéré une partie,
et là on va compléter avec des
fabrications nouvelles. Et en gros, il nous faut une semaine pour
compléter ce qu’il nous manque. »
Donc une semaine pour les faire, et après faut
les envoyer, même si dans le cas présent ce n’est pas très loin.
Mais ça ne laisse pas beaucoup de marge quand
même…
« Non, non, il ne reste pas beaucoup de marge, mais
comme j’ai dit, on a commencé à travailler déjà le lundi, et tout
ça sera prêt pour le jeudi avant la course. C’est tendu mais ça
passe, car notre outil de production est vraiment très
flexible: On peut travailler sur
une machine, deux machines, trois machines, en 2×8, 3×8, selon le
besoin. »
Vous utilisez la célèbre C3M
?
« Pour l’arrière, oui. Pour l’avant, c’est un procédé
semi-automatique. »
De toute façon, tout le monde a bien conscience qu’il
s’agit d’un Grand Prix exceptionnel, monté de toutes pièces dans
l’urgence pour répondre à une situation totalement inattendue. Les
températures sont attendues assez basses, et vous l’avez anticipé,
mais si elles étaient plus basses que prévu, à quel point cela
commencera à poser problème ? Et dans ce cas, pourrait-on utiliser
les pneus de MotoE, bien connus pour leur très grande plage
d’utilisation ?
« Les pneus MotoE sont effectivement plus tendres, et
comme les courses sont très courtes on a besoin d’un warm up très
très rapide. On ne peut pas attendre 2 pour qu’ils soient en
températures, pour une course de 7 ou 8 tours. Donc ils ont un warm
up instantané, et c’est vrai que dans des conditions froides
ils sont super, super
performants. En plus la MotoE, souvent ils roulent le premier jour
le matin à 8 heures, et quand tu roules à 08h00 au Mans, la piste
est à 9 ou 10°…
Malheureusement on ne peut pas les
utiliser sur les MotoGP pour des courses de 22 tours, mais les
gommes tendres qu’on a fonctionnent quand même bien. A Valence, je
me souviens qu’en 2018 on avait roulé à 10 ou 11°, et ils
fonctionnaient. Après, il faut faire attention, il faut mettre un
peu plus d’air à l’intérieur, on sait que ça aide beaucoup la mise
en régime. Donc on les gonfle un peu plus, on met les couvertures
chauffantes, et à la place de réchauffer les pneus à 90° comme on
fait d’habitude, on les chauffe à 100°. Donc il y a des petits
ajustements pour accélérer la mise en régime des pneumatiques et
pour donner de la confiance au pilote
rapidement. »
Pourquoi met-on plus d’air
?
« Parce que quand tu rajoutes de l’air, tu diminues le
contact patch, l’empreinte au sol est réduite. Et donc après, tu
concentres toutes les forces, toute l’énergie et centrée sur une
surface plus petite, et du coup ça déclenche plus vite la chaleur,
et une fois que la chaleur est déclenchée, après elle se propage
dans tout le pneu. On le fait
tout le temps quand il fait frais, et sous la pluie c’est la même
façon de travailler: quand il y a beaucoup de pluie, et qu’il fait
froid, on met plus d’air. »
Donc pour conclure, on doit faire face à des conditions
tout à fait inattendues, difficiles et exceptionnelles, et tout le
monde en a bien conscience, mais vous êtes relativement
serein…
« Oui, moi je suis serein. C’est vrai que ça fait
courir, mais bon, on est là pour le MotoGP, pour les fans, et
on va réagir rapidement grâce à nos équipes, en ayant une pensée
pour nos amis espagnols. »
Michelin Taramasso Barcelone
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