Lors de la journée du test MotoGP à Valence, Piero Taramasso, le manager de la compétition deux-roues de Michelin, a pris le temps de répondre longuement à nos questions.
Cela nous a permis d’aborder tous les sujets concernant un des éléments clé de la compétition en catégorie reine, des performances réalisées aux travaux en cours pour le futur proche, en passant par le fonctionnement du système de contrôle de pression et, bien sûr, l’affaire du pneu de Jorge Martin au Qatar…
Un grand merci pour toutes ces explications !
Piero Taramasso, nous sommes à la journée de test MotoGP
à Valence et je pense que l’on peut maintenant dresser un bilan de
cette saison…
Piero Taramasso : « Un bilan
de la saison 2023 ? Bon, déjà je veux féliciter Pecco pour son 2e
titre de champion du monde. Pour nous, Michelin, ça fait le 34e
titre de champion du monde en classe reine, et pendant cette saison
il y a eu 20 Grands Prix, et sur les 20 Grands Prix on a pu établir
36 nouveaux records. Donc pour moi, ça c’est la preuve que les
pneumatiques ne sont pas encore à la limite. C’est vrai qu’on s’en
approche, on s’approche de plus en plus de la limite, parce qu’avec
les évolutions des motos, l’aérodynamique et tout, on s’en
approche. Mais bon, là, on n’est pas encore arrivé à la
limite.
Sinon, c’était une saison pleine de challenges. Par exemple, on
a eu des nouveaux circuits comme l’Inde, et on a eu des nouveaux
asphaltes comme à Valence, le Qatar, l’Indonésie. On a eu aussi la
réduction de la gamme de pneus, donc dans notre portefeuille il y a
moins de spécifications de pneus, et on a aussi réduit l’allocation
par pilote : on est passé de 3 types de pneus arrière à 2, et même
avec 2, on est arrivé à couvrir toutes les conditions possibles sur
la piste. Et après, par dessus tout ça, il y a eu le nouveau format
sportif, donc la course sprint : avec la course sprint, ça
donne plus de visibilité, on a plus de datas à analyser, mais
il faut travailler beaucoup plus vite qu’avant. Il faut déjà
pratiquement déjà avoir en tête le vendredi soir le choix de pneus
pour pouvoir peaufiner les réglages le samedi matin. Après, c’est
tout de suite la course, donc ça a changé un peu la façon de
travailler.
Comme conclusion, c’est une saison intense, mais on a pu voir
des belles courses, des dépassements comme en Thaïlande avec une
très belle course, et un championnat qui s’est joué à la dernière
course entre deux pilotes. Et puis surtout, pour nous, on a bien
anticipé les choix des pneumatiques, surtout pour ces nouveaux
circuit avec des nouveaux asphaltes : à chaque fois, on avait le
bon produit pour la bonne situation, et ça, ce n’est jamais évident
quand tu le fais sans faire de tests, quand tu le fais juste par
simulation. Donc voilà, moi je dirais que ça été une année et une
saison constantes, comme l’a été la performance des pneus, les
pneus, car ils ont souvent été très constants, avec des pilotes qui
ont pu pousser du début à la fin. et voilà. Donc maintenant, on est
déjà en 2024 et on repart d’ici de Valence. »
Alors on sait qu’il y a un un nouveau pneu avant qui
arrive, parce grosso modo celui-là date de votre retour en MotoGP,
et vous avez effectivement évoqué les appuis aérodynamiques en
énorme progression, rendant les freinages de plus en plus intenses
à chaque fois. Celui-là, on l’aura quand ? En 2025 ?
« Oui, comme tu dis, le modèle actuel du pneu avant, c’est
la 6e saison qu’on l’utilise. Pendant les saisons passées, on l’a
fait évoluer mais seulement au niveau des gommes, des mélanges, on
a juste augmenté de plus en plus la rigidité des mélanges, puisque
la charge sur l’avant était de plus en plus importante. Mais
maintenant, c’est le moment de changer aussi la construction et le
profil. Donc ce pneu là, nous on l’appelle le pneu 25, parce que
normalement il va être introduit en course en 2025. On l’a déjà
essayé avec les pilotes d’essai des usines. Ils l’ont testé, les
retours sont positifs, et aujourd’hui à Valence, on a amené un pneu
de cette spécification. Il y en a un pour chaque pilote. Pour le
moment, ils ne l’ont pas encore testé, mais si les conditions météo
le permettent et ils ont le temps, ils vont le tester pour la
première fois ici à Valence. Sinon on va leur reproposer à Sepang,
au Qatar, et à tous les tests officiels 2024 on proposera ce
nouveau pneu avant pour l’introduire en 2025. C’est un pneu qui a
une nouvelle construction et un nouveau profil. Il est plus gros,
il a un plus grand volume, pour limiter les variations des
pressions et des températures qui sont de plus en plus importantes
sur les circuits où il y a de très fortes sollicitations avec des
températures très hautes. Ca va aussi apporter un gain en grip
parce que le contact patch va être plus gros, et ils auront donc un
meilleur feeling, et plus de grip quand ils freinent et ils
rentrent dans le virage. »
Alors justement, il répondra à la problématique qu’on
attendait cette année, qui finalement n’a pas été catastrophique,
contrairement à ce qu’anticipaient les pilotes en début d’année.
Parce qu’il y a bien eu quelques “punis”, mais on s’attendait à
bien pire si on les écoutait…
“Je suis d’accord, je suis d’accord avec toi, ça n’a
pas été catastrophique du tout. Si on écoutait les pilotes, ils
disaient « on peut pas rouler comme ça, tout le monde va
tomber”. On n’a pas vu plus de chutes, et même on en a moins vu que
d’habitude. D’autres pilotes disaient “Ouais, il n’y aura pas de
dépassement, ça va être ennuyeux”, tout ça, et ce n’est pas vrai.
On a vu des dépassements encore pas mal ici à Valence, en
Thaïlande, je répète, à Phililip Island, etc., on a vu qu’on
pouvait dépasser. Il y a aussi des pilotes qui ont dit “Ouais, dès
que les pneus arrivent à 2,2 bars, c’est inconduisible”. Ce n’est
pas vrai. Il y a deux courses, on a vu Vinales qui roulait à 2.3,
et c’était le pilote le plus vite en piste. Donc voilà, je suis
complètement d’accord, ce n’était pas catastrophique. Après c’est
la première année où on a mis les pénalités en place. Je ne dis pas
que c’est parfait, donc on peut toujours mieux faire, mais là on va
travailler avec la FIM, la Dorna et l’IRTA pour faire des
ajustements au règlement, si c’est nécessaire. Mais qu’est-ce qui
est nécessaire ? Surtout, c’est d’avoir une valeur mini à
respecter, parce que ça c’est pour la sécurité des pilotes et pour
garantir que les pneumatiques fonctionnent bien jusqu’à la fin de
la course.“
Avec le nouveau pneu, puisque là en fait ça ne
concerne que le pneu avant quasiment, ce sera la même valeur mini
de pression, ou elle sera un peu plus basse
?
“Oui, quand on parle des pneus, variation de pression,
température, on parle du pneu avant car sur l’arrière c’est plus
facile à stabiliser et ce n’est pas un problème. Pour le nouveau
pneu, le but est de le faire travailler en pression plus basse,
donc l’objectif c’est 1.7. Aujourd’hui, on est à 1.85, donc 1.7
c’est un objectif très ambitieux. Mais voilà, on va travailler pour
ça, peut-être qu’au final ce sera 1.75, mais en tout cas, ça va
être plus bas que la valeur qu’on a
aujourd’hui.”
Pour que le grand public comprenne bien, parce que
maintenant on reçoit directement les sanctions après course :
”pression trop basse de l’avant, telle pénalité”, sans valeur
précise de pression. Qui est-ce qui gère ça, parce que ce n’est pas
vous, en fait ?
“Non. Nous, on donne cette valeur.
Tous les jeudis, on mesure la pression atmosphérique et on adapte
cette valeur là à la pression mini, à savoir que la pression
mini peut varier d’un circuit à l’autre. Il y a 7 circuits où la
pression mini est à 1.85, et le reste des circuits est 1.88,
ça c’est la pression de base. Après, on ajuste avec la pression
atmosphérique, mais souvent les changements ne sont pas énormes. Et
après, il faut aussi tenir compte de la tolérance de
l’instrument, du capteur, qui est plus ou moins 0.03, donc quand on
dit la pression mini est à 1.85, en réalité c’est 1.82. Donc ça
c’est la pression mini à respecter. Et comment il faut la respecter
? Pendant la course sprint, on demande de respecter cette valeur
pendant au moins 30% de la sprint, où il faut
arriver à u1.82. Et pendant la course du dimanche, c’est 50%
qu’il faut atteindre, donc les premiers tours, ils peuvent se
faire avec une pression plus basse. Après on demande 1.82
pendant 50% de la course, donc ils peuvent aussi rouler
un peu plus bas enfin de course. Donc on ne parle pas de2.2 ou 2.3
bars comme de temps en temps on entend parler des
pilotes.
Et donc ça, comment ça fonctionne ? Nous, on a fait le
règlement avec la FIM, l’IRTA et la Dorna. On a donné la
valeur, ils ont fait un règlement, et maintenant voilà, nous on ne
contrôle plus rien.
Les valeurs sont transmises en temps réel pendant la
course, elles sont transmises à la direction course, et
eux voient exactement, pilote par pilote, les valeurs tour par
tour, tour par tour. Et à la fin de la course, ils ont un programme
qui leur dit qui est rouge et qui est vert, donc ils
savent directement qui a respecté ou pas.
Dans le cas tout le monde a respecté, c’est bien, et dans le
cas où il y a quelqu’un qui n’a pas respecté, ils nous appellent,
la Race Direction appelle Michelin, et on va avec nos appareils,
nos manomètres qui font référence, car ce sont des manomètres qui
sont étalonnées tous les 6 mois, donc on va vérifier que la mesure
que le capteur envoie correspond bien. Et une fois qu’on a validé
ça, alors là ils peuvent communiquer à l’extérieur.
Donc c’est un peu compliqué et je comprends le désagrément quand il
y a un podium, et cinq minutes après, la célébration est
ternie, comme c’est déjà arrivé à Di Giannantonio, mais ce
n’est pas Michelin qui punit : nous, on donne la valeur, le
réglement est fait par la FIM, l’IRTA le fait respecter et les
Stewards de la FIM décident des sanctions.”
On est maintenant obligé d’aborder un sujet un peu délicat, suite aux déclarations d’un pilote qui n’était pas content de son pneu arrière, puis qui s’est un peu excusé en disant qu’il s’était un petit peu emporté à chaud et qu’il avait utilisé des mots trop forts, et cetera : le fameux pneu qui a un peu enlevé de suspense au championnat. Où en est-on ? L’avez-vous analysé ?