Les deux Grands Prix MotoGP à Misano en Italie étaient pour nous l’occasion idéale pour vous partager cette interview de Lucio Cecchinello, le patron du team LCR, que nous avions réalisée au Mans.
Au delà de l’actualité de son team qui fait courir Johann Zarco et Takaaki Nakagami sous des couleurs différentes, ce sont en effet bien l’homme, son parcours et son approche de la compétition, qui nous ont séduits, dans un milieu où les capitaines des teams satellites MotoGP se comptent sur les doigts d’une main, souvent ballotés entre la bonne volonté des usines et la réalité économique. Entre la passion et les affaires, leurs facettes sont nombreuses et leur portrait forcément intéressant, et à ce titre Lucio Cecchinello est très loin de nous avoir déçu…
Alors, Lucio Cecchinello, comment peut-on être né à
Venise et s’intéresser aux motos, et pas aux gondoles ou aux
bateaux ?
Lucio
Cecchinello : « Oui, ça c’est une très bonne
question. La réalité, c’est que oui, je suis né à Venise, mais à
l’âge de 3 ans mes parents ont déménagé à Bologne, donc en plein
dans la Motor Valley, et là, à Bologne, j’ai grandi complètement
dans l’environnements du motorsport. J’habitais pas loin de la
factory de Malaguti, pas loin de la factory de Ducati, et pas loin
de différents techniciens qui travaillaient dans le monde de la
compétition moto. »
Donc là, à quel âge la passion des motos vous a-t-elle
pris ?
« Alors vous vous rappelez
qu’à Bologne dans les années 80 de ma jeunesse, il y avait le Motor
Show de Bologne. Le Motor Show de Bologne, c’était une très grande
manifestation internationale où tous les manufacturiers de motos et
des accessoires faisaient une exposition, et dans la zone publique
du Motor Show de Bologne, il y avait les sports mécaniques, les
shows mécaniques, exactement comme c’est ici (au Mans) le samedi
soir. Et là, c’était quelque chose de vraiment exceptionnel, et
j’étais un gamin de 13 ans, 14 ans, 15 ans, et je voyais les
dragsters faire les épreuves d’accélération sur la ligne droite de
la foire, je voyais les stuntmen, je voyais les courses de
motocross, je voyais plein de choses et je suis tombé amoureux de
tout ce qu’étaient les motos de compétition, motocross et moto de
vitesse.
Quand j’avais 13
ans, j’avais déjà commencé à élaborer ma petite bécane, à 14 ans
j’avais ma première Vespa 50cc qui était une 150cc qui faisait du
140 km/h (rires), 138 exactement. Et à partir de là, j’ai bricolé
tout le temps avec les transformations des motos. À l’âge de 16
ans, j’ai demandé à mes parents si je pouvais commencer à faire des
compétitions moto. Mes parents, ils m’ont dit “non, non, non, non,
non !” Et là, finalement, je suis arrivé à un accord avec mes
parents : à l’âge de 18 ans, si je terminais mon baccalauréat, je
pouvais faire de la compétition moto, mais eux, jamais, jamais ils
ne m’aideraient. Et là, c’était un peu compliqué le début, mais
bon, j’ai commencé comme ça.”
Vous connaissez ensuite un parcours de pilote plutôt
traditionnel, jusqu’à ce que vous créiez votre propre team alors
que vous étiez encore pilote en pleine activité. Mais à chaque
fois, le nom de GIVI a son
importance…
« Alors l’entreprise LCR,
elle est née en 96, et j’ai été pilote jusqu’en 2003.
J’ai monté le team LCR après avoir gagné
le Championnat d’Europe en 95, parce que j’avais déjà fait les
Championnats du monde 93 et 94 avec des motos privées, 94 avec un
team sponsorisé par GIVI. Et là j’ai rencontré Monsieur Visenzi, le
patron de GIVI, pour la première fois. C’était en 94 et j’étais
coéquipier de Noboru Ueda. En 95, je suis retourné faire le
championnat d’Europe parce que les résultats en championnat du
monde n’étaient pas bien, et j’ai gagné le championnat d’Europe
avec le team Pileri, et en 96, avec le titre de champion
d’Europe 95, j’ai demandé l’inscription pour organiser mon team.
C’était quelque chose que j’ai fait parce que j’avais pensé que si
malheureusement les choses ne fonctionnaient pas en tant que
pilote, au moins j’avais un team et je pouvais participer au
championnat du monde tant que patron de team, et je pouvais
continuer à travailler dans le domaine de la moto. »
Vous avez quasiment été le seul à avoir fait ça
?
« Non, non, il y avait
Jorge “Aspar” Martinez qui avait son team, il y avait Sito Pons,
il y avait Dirk Raudies en 125,
qui a gagné le championnat du monde en 1993, et lui avait son
écurie. Donc j’ai essayé de copier ce modèle-là, parce que j’avais
déjà 25 ans et vis-à-vis de l’âge que j’avais, j’ai dit, “bon OK,
c’est mieux que je fasse comme ça”. Et 98, c’était une année très
importante parce que c’est vrai que j’ai embauché mon ancien
coéquipier Noboru Ueda, avec qui j’avais couru en 94, je l’ai
embauché, on est devenu copains, et à nous deux on a convaincu
Monsieur Visenzi de nous soutenir. Donc à partir de 98, c’est vrai
que jusqu’à aujourd’hui, GIVI nous a toujours soutenus, de façon
importante, parfois un peu moins importante, mais est toujours
resté fidèle, et aujourd’hui encore on est soutenu par
GIVI. »
Au niveau communication aussi, on a vu que vous aviez
innové, parce que je crois que vous êtes un des premiers à avoir
par exemple un sponsor pour telle course puis un autre sponsor pour
telle autre. Vous avez également marqué les esprits avec des choses
inhabituelles comme l’opération Playboy en 2009, et aujourd’hui
vous avez deux teams différents avec deux noms différents, vous
faites des revues, des gros livres chaque saison : c’est vous qui
pensez à tout ça et c’est c’est une stratégie, un besoin
?
« Exactement ! Vous avez
bien dit, c’est le besoin, c’est le besoin. Avec les années, j’ai
appris beaucoup de choses et j’ai appris et qu’il faut quand même
parfois prendre un peu de risques ou essayer de penser hors de la
boîte, non ? Imaginer de travailler avec deux pétroliers, c’est
inimaginable, mais là ça fait depuis 2018 qu’on travaille avec deux
pétroliers. Chacun a son programme de communication, chacun a son
pilote, chacun a son website, chacun a ses communiqués de presse.
On voyage d’une façon parallèle, mais
séparée. C’est vrai que, par
exemple, quand je suis monté en MotoGP en 2006 avec Casey Stoner,
là on n’avait pas un gros sponsor pour toute la saison, donc j’ai
regardé Dorna qui avait différents sponsors titres pour chaque
Grand Prix, comme le Grand Prix Motul de France ou le Grand Prix
Tim en Italie, et cetera, et cetera. Et là j’ai pensé “OK, je vais
faire les mêmes choses et donc au lieu de travailler avec un
sponsor pour toute l’année et 16, 18 courses, je vais essayer de
trouver 4 ou 5 sponsors différents pour qu’ils achètent 5 courses
chacun. Et je donne la possibilité à chacun d’essayer de faire la
promotion sur des marchés où eux avaient de l’intérêt”. Et là,
c’était quelque chose qui a heureusement a fonctionné, et ça m’a
donné la possibilité de rester en MotoGP dans une période où, si on
regarde, depuis 2006 le team Pons a arrêté, le team Gresini a
changé avec Aprilia, le team Interwetten a arrêté, le team Konica
Minolta arrêté, le team AB Cardion a arrêté, le team de Jorge
Martinez Aspar a arrêté, le team Scott a arrêté. Donc vous voyez,
là j’ai dit “je suis le dernier (rires) qui a survêcu toutes ces
dernières années”. Mais c’est vrai qu’on a la possibilité de
survivre parce que, effectivement, on a réussi à penser à offrir à
nos partenaires des programmes de sponsorisation un peu
hors-normes. »
Vous vous êtes adapté, et on sait que ceux qui ne
s’adaptent pas disparaissent, mais en même temps la fidélité est là
puisque GIVI est toujours là…
« Oui. Alors c’est vrai que
avec Monsieur Visenzi de la GIVI, il y a une relation très, très
serrée, et je veux dire qu’il est très attaché à la marque Honda,
parce que lui il a couru, il a fait des compétitions quand il était
jeune, avec Yamaha mais aussi avec Honda.
Il était concessionnaire Honda dans les
années 70, il a connu Soichiro Honda personnellement, donc c’est
vrai que lui il est particulièrement attaché à la marque Honda, et
je sais que pour lui, le fait qu’on soit associé à Honda et que sa
marque soit associée à Honda, c’est quelque chose qui le motive et
ça lui donne aussi une motivation en plus pour rester attaché à
notre team. »
Cela répond partiellement à une de mes questions. En ce
moment (au GP de France), on sait que Yamaha est à la
recherche d’une équipe satellite, et qu’ils ont démarché plusieurs
teams. Vous vous avez été démarché par eux ou pas ?
« Non. Non, Yamaha ne
m’a jamais contacté. Je pense que déjà ils savent que je suis
quelqu’un qui n’a pas vraiment de raisons de quitter Honda pour
Yamaha, et je pense qu’entre
Japonais, ils se respectent aussi. Tu vois, il y a du respect quand
même entre ces grands manufacturiers. Une autre chose, ce serait si
moi j’allais me proposer, mais disons que pour l’instant la
priorité pour moi c’est de ne pas quitter le bateau quand il est
dans la tempête, donc je suis là, à fond, à essayer de ramener le
bateau de l’autre côté (rires). »
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