Après nous avoir expliqué la genèse de sa très belle initiative lors de la première partie de cette interview, puis les avantages du circuit de Carthagène proprement dit dans la deuxième partie, Johann Zarco répond à nos questions sur sa démarche de Professeur envers les jeunes, dès que son emploi du temps de pilote MotoGP le lui permet.
A titre d’exemple, lors des deux jours passés en Espagne, le double champion du monde Moto2 a non seulement ouvert la piste gracieusement à la dizaine de pilotes suivants, mais s’est attaché à mieux connaître et conseiller chacun d’entre eux.
1. Barry Baltus : #7
(Moto2)
2. Lucas Mahias : #44
(WorldSSP)
3. David Da Costa : #72 (Rookies Cup, ETC, Équipe
de France)
4. Enzo Bellon : #33 (ETC, Équipe
de France)
5. Gabriel Piot : #10 ou 54 (ETC, Équipe de
France)
6. Remy Sanjuan : #99 ou 26 (ETC)
7. Ludovic Rizza : #189 (FSBK 1000)
8. Bartholomé Perrin : #39 (FSBK SSP 600)
9. Diego Poncet : #36 (FSBK SSP 600)
10. Antoine Nativi : #27 (NTC)
Alors, Johann Zarco pourrait-il endosser le surnom de « Professeur » qui nous fait immanquablement à un autre pilote français de légende ? A vous de juger…
Alors ce qui est surprenant aussi de l’extérieur, et on
ne parle pas des belles bourres que tu t’es tirées avec Barry
Baltus, hier tu as passé beaucoup de temps avec les jeunes, jusqu’à
la nuit tombée. Tu leur as partagé un peu de ton expérience et
prodigué tes conseils…
“Ouais, mais je n’ai
pas passé assez de temps avec eux en piste (ndlr: il l’a fait très
très largement le lendemain), mais il y a aussi Alexis Masbou qui
les encadraient. Et bon, j’avoue, je roulais aussi pour moi, et si
après je pouvais les voir de temps en temps je restais un tour
derrière, mais du coup je n’ai pas pu faire ça avec les 5 jeunes
pilotes aujourd’hui. Mais oui, ensuite le soir j’ai commencé un peu
à discuter, et je vois qu’en fait quand je commence à parler de ça,
je ne m’arrête plus près. Presque, je leur dis trop d’infos pour
des jeunes déjà, mais je me lance dans la discussion pour un peu
leur faire comprendre qu’il n’y a pas vraiment de limite. Si on
réfléchit bien, on peut aller très
loin.”
Au-delà des conseils qui sur le pilotage, tu leur a
parlé un petit peu aussi de comment gérer leur budget, comment
investir correctement dans des pneus pour peut-être économiser par
la suite…
Oui, c’est clair.
Pendant cette discussion d’une heure jusqu’à ce que la nuit tombe,
alors que j’étais toujours en cuir et que je commençais même à
avoir froid parce que j’avais transpiré dans le cuir, c’est
Rémi (Sanjuan) qui me demande ”tiens, j’ai un peu de sous, je vais
me payer avec mes sous une 250YZ pour me la faire en flat track”.
J’ai dit « acheter la moto, la préparer, et ensuite quand tu
vas commencer à rouler, tu vas voir que ça bouffe aussi du pneu
parce qu’en flat track le pneu arrière se bouffe énormément
puisqu’on patine beaucoup. On croit qu’on patine et que du coup on
ne mange pas le pneu, mais en fait si, il y a un certain grip et il
y a de l’abrasion sur le pneu. Du coup, à la fin, tu vas essayer ça
et tu vas bouffer du pneu, du coup tu vas dépenser de l’argent
aussi dans les pneus. Du coup, là, tu as déjà un budget de 10 000
qui s’envole. Là, tu as ta moto déjà toute prête, la NSF 250. Oui,
ça coûte un peu plus cher de la faire rouler, mais si ces 10 000 €
tu les mets sur des entraînements avec cette moto-là, en fait tu
vas progresser sur cette moto. Parce que le flat track c’est super
intéressant, ça donne des bonnes sensations, mais ça va encore te
faire faire autre chose, alors que tu ne domines même pas ton
propre sujet, qui est en plus la catégorie sur laquelle tu vas
courir. Du coup, il vaut mieux parfois se dire “Allez, au lieu de
faire toutes les motos et faire tout moyen, j’en fais une très
bien”.
Et pour Barry Baltus, qui est déjà en Grand Prix, ça
fait 2 ans que tu t’entraînes avec ?
“Une année, je dirais, peut-être pas 2
ans, mais une bonne année. C’est en janvier finalement qu’on on a
fait notre vrai entraînement ensemble.”
Qu’est-ce que tu lui donnes encore comme
conseil ?
“Barry, il a une super capacité de
rouler très vite. Quand il y a besoin, il l’a, l’instinct de
rouler très vite. Et après, il a un peu du mal à changer son style,
qui est ancré en lui, qui lui permet de faire de grandes choses,
mais qui ne permet pas d’être très constant, ou qui peut lui faire
manquer quand même de vitesse à un certain moment. Et ça, c’est dur
à changer, pour au moins aller vite dans une autre technique. Parce
que oui, voilà, il va vite mais pas assez longtemps, et on discute
de ça. Il est plus conscient qu’il y a un an, il le voit plus, et
surtout voilà, il avait super bien attaqué au Qatar, et après avoir
si bien attaqué au Qatar c’est dur d’avoir galéré toute l’année.
Une belle course en Australie, mais bon, on va dire que sur 20
courses, en avoir eu même pas 5 de bien, et bien ça fait
peu.
Mais là, il se redonne une nouvelle
chance avec le team Fantic. Le team Fantic lui met un cadre aussi,
un peu de directives, et ça je pense que comme il est plutôt jeune,
il aime bien avoir ce cadre et ça lui fait du
bien.
Mais là, en pilotage, oui, si, je peux lui donner ces 2 choses techniques, pas besoin de les expliquer, mais en roulant derrière je peux lui permettre de dire des choses et de voir d’une certaine manière. Là, ça passe, mais quand des fois un problème commence à arriver, et bien en fait sa technique amplifie le problème. Enfin, ça lui fait ressentir encore plus le problème. C’est ça, en fait, qui est difficile en Moto2, parce que les motos vont quand même très vite, et les pneus s’usent aussi, et c’est ça: changer le style pour pouvoir gérer au mieux, gagner en constance, en fait. C’est ça le truc.”
L’école ZF, parrain de la FFM pour les jeunes en
vitesse, là tu invites des pilotes: d’où te vient ce côté pédagogue
de vouloir partager ? Ce n’est pas une obligation, et d’ailleurs
très peu de pilotes de MotoGP le font…
“Bah, ça c’est découvert avec l’école
ZF, hein. L’école ZF Grand Prix, c’était l’initiative de Laurent
Fellon, sur laquelle j’ai bien participé. J’ai vraiment passé du
temps à partir de 2012, hein. 2012, 2013, 2014, 2015, c’est là où
j’ai passé le plus de temps. Encore un peu en 2016 et 2017, puis
avec le passage en MotoGP j’ai passé moins de temps sur les pistes
parce que je n’y prenais plus assez de plaisir, et si la moto a
toujours été une priorité, j’avais besoin de plus de temps pour
moi, pour faire plein de choses pour rester performant. Et presque,
avec la notoriété, quand j’allais faire les cours avec les petits,
on m’arrêtait tout le temps pour me demander une photo, et je
restais loin, sur la piste, pour ne plus rejoindre le groupe des
parents, des accompagnants, tout ça, pour éviter de faire des
photos. Donc je m’étais un peu retiré pour ça, mais c’est vrai que
je me suis rendu compte que ce sont les périodes 2012, 2013 et 2014
où j’ai pris le plus de plaisir à faire, et je pense que j’ai
transmis pas mal de de bonnes choses quand on le faisait à
Beaucaire. Et du coup, c’était agréable parce que c’était à côté de
la maison. Du coup, je pouvais y aller et rentrer chez moi. Parce
qu’après, y avait des pistes plus loin, où on est obligé de prendre
un hôtel, et cetera, et j’en fais assez des hôtels dans mon année
(rires).
Mais c’est venu naturellement, en fait, et je vois que j’ai tellement tout décortiqué dans le pilotage que j’ai l’impression que je peux aider certains pilotes à décortiquer aussi, c’est clair. Quand je commence à en parler, je ne m’arrête plus, parce que c’est un sujet que je connais. Et je fais ça sans le vouloir, ce n’est pas que j’ai envie de transmettre, mais quand je commence, ben je vois que ça sort naturellement, ce n’est vraiment pas forcé. Et maintenant, je vois ce côté naturel, même quand sur certaines interviews, des choses qu’on doit des fois préparer pour un événement moto, tout ça, et je vois qu’on m’appelle plusieurs heures avant pour dire “est-ce qu’on doit préparer les questions ?”. Je dis “non. Posez-moi la question”. Même à la télé, je dis non. Dans tous les cas, ça sort naturellement. Les réponses, elles sont là, je n’ai rien besoin de préparer, c’est mon sujet.
Et là, pour le coup, plus d’école parce que priorité à mon temps de pilote. Le coup avec la fédé, ça a été bien aussi. Je suis toujours, on va dire, le parrain, mais je ne passe pas de temps avec eux, parce que je n’ai pas le temps, et du coup c’est plus Alexis qui fait le job, avec Hugo Clère, avec « Jean-do », on l’appelle mais c’est Jean-Dominique (Brechon). Et moi, quand je suis là, je suis comme un plus une cerise sur le gâteau, ça régale les pilotes, et en plus, de temps en temps, ça permet de confirmer ce que les entraîneurs disent. Quand le pilote top arrive et bat les petits, parce que au moins ça, ça les remet d’aplomb et ça c’est bien. Et là, pour aujourd’hui, voilà, ça me fait plaisir et ça ne me coûte rien, enfin j’aurais payé pour moi, à les en faire bénéficier. Mais voilà, on est 10 pilotes et personne ne se gêne en piste, du coup je garde quand même pour moi un entraînement de qualité.”
A suivre très vite…