Après la performance exceptionnelle réalisée par le rookie Pedro Acosta lors du shakedown MotoGP à Sepang, nous avons eu la chance de recueillir la réaction du patron de l’équipe Red Bull GASGAS Tech3, Hervé Poncharal.
Celle-ci est intéressante car, outre le fait de posséder une expérience certaine bâtie pendant quatre décennies de présence dans le paddock des Grands Prix, son team s’est globalement vu attribuer la tâche de faire débuter des rookies en MotoGP depuis sa collaboration avec KTM. Pour une équipe qui a déjà été championne du monde en 250 et victorieuse en MotoGP, il s’agit là d’un exercice assez ingrat, mais qui parfois apporte quelques agréables surprises…
Hervé Poncharal, on ne s’emballe pas mais votre rookie
Pedro Acosta a fait des étincelles lors du Shakedown
à Sepang…
Hervé Poncharal :
« Oui, il a fait les étincelles (rires) ! Franchement, tu
vois, j’ai parlé avec tout le monde, j’ai parlé avec Nico (Goyon),
j’ai parlé avec Sterlacchini (Fabiano, directeur technique de KTM),
j’ai parlé avec tous ses mécanos, j’ai parlé avec Valera (Albert),
son manager personnel, et Pedro, ce jeune homme, ce rookie,
il est vraiment incroyable quoi !
On peut dire quand même qu’on a une certaine expérience
de recevoir des rookies et de les faire débuter en MotoGP.
Si tu regardes ce qui s’est passé quasiment depuis 2021, on a une
certaine expérience vu la position qu’on a chez Pierer Mobility, et
vu l’implication de Pierer Mobility au travers de la Rookies Cup,
du Moto3, du Moto2, on a quand même vocation à recevoir les pépites
qui sortent des classes petites et intermédiaires. Donc on a quand
même une certaine expérience dans ce domaine-là, et tous les
pilotes qu’on a reçus, c’étaient des pointures, parce qu’ils
étaient tous champions ou vice-champions Moto2, mais là tu
t’aperçois qu’on a un calibre particulier, quoi! On a vraiment
quelqu’un de différent. Par certains côtés, c’est peut-être Miguel
Olivera qu’il me rappelle le plus, dans les rookies qu’on a eu. Je
ne veux pas dire que c’est les mêmes, mais il y a certains aspects
qui se ressemblent.
Ce que j’aime chez Pedro, et ce que tout le monde m’a dit
aussi, c’est avant tout quelqu’un de très intelligent, une
intelligence de la vie : il est excessivement mature, tu es
bluffé par le recul qu’il a déjà quand tu parles de courses, alors
qu’il n’a que 19 ans. Et ça, c’est c’est vraiment quelque
chose qui le différencie des autres rookies qu’on a eus. Cette
approche très humble aussi, malgré le palmarès incroyable
qu’il a déjà. Et moi j’aime les gens humbles. J’ai
toujours essayé d’avoir une attitude humble. Ça ne veut pas dire de
pas avoir d’ambition, mais être humble, respecter les gens, ne pas
arriver en roulant les épaules, en gonflant le torse et en
levant le menton. On voit quand c’est une bonne personne, quand le
gars rentre, il parle de la même manière à son chef mécanicien ou
au gars qui lui fait ses pneus. Ce n’est pas tout le monde qui se
comporte comme ça.
Et peut-être le plus important avec la maturité, il a
envie de créer un groupe.
Là, il a fait quand même 3 ans dans un groupe avec son équipe,
et qui fonctionnait bien, vu les résultats qu’il a fait en Moto3 et
Moto2, et là il arrive dans un tout nouveau groupe avec une seule
personne qui l’a suivi, c’est la personne qui s’occupe de ses pneus
et de son essence, sans ça tout le monde est nouveau pour lui. Et
moi je l’ai vu dès qu’on est arrivé à Valence pour les premiers
tours de roues, tu vois que sa priorité, c’est de connaître tout le
monde, c’est d’être proche de chaque individualité de son équipe.
Tous les jours (à Sepang), il a insisté pour dîner avec eux, et il
ne vient pas dîner rapidement et puis s’en va. Non, ils passent du
temps en permanence, ils discutent, ils échangent, il demande à
tous les gens de l’équipe leur profil, ce qu’ils ont fait aussi, il
parle de sa vie, de son expérience. Et pour moi, ça c’est quelque
chose qui le différencie des autres. Et quand tu regardes les
grands champions, Rossi a eu quand même pendant très longtemps un
groupe, Doohan avait un groupe, Marquez a voulu créer son groupe,
et je pense que ça fait partie des choses qui sont très
importantes. Ça peut paraître un détail comme ça quand on discute,
mais ça, ça me plaît, parce que ça va tout à fait dans mon
état d’esprit, dans l’état d’esprit deTech3, de ce qu’on
veut faire passer: la famille, l’équipe, les relations humaines, tu
vois. Parce que on en a connu, hein, des qui arrivaient 10 minutes
avant le départ de la séance, voire des fois moins, et qui 1/4
d’heure après leur débriefing, on ne les revoyait plus avant
le lendemain ! Peut-être que tu peux y arriver en faisant comme ça,
mais en tout cas c’est plus difficile. Donc ça,
j’adore!
Et puis surtout, tu as l’impression que le talent est vraiment
naturel, tu as franchement l’impression qu’il ne force
pas, que ça vient tout seul. Il se prend pas la
tête en arrivant en voulant faire des temps, des ci, des
ça
Tu m’aurais dit qu’il serait premier après les 3 jours de
shakedown où il y a quand même les 2 Yamaha officiels, les 4
Honda officiels ,plus dans les pilotes d’essai, il y a quand
même Pol Espargaro, Dani Pedrosa, Cal Crutchlow, c’est
quand même des pointures qui connaissent Sepang comme le dos de
leur main, alors que pour lui ce sont ses premiers tours
de roues à Sepang avec une MotoGP, des Michelin, des freins
carbone, et cetera, je ne t’aurais pas vraiment cru. Et pendant les
3 jours il a été devant quoi, même s’il n’était pas le premier, il
était en tout cas tout proche des leaders.
Et aussi, comme je te l’ai dit hier, c’est que souvent
les pilotes font un temps mais un petit peu en apnée,, en fermant
les yeux tu vois, et entre le meilleur et le 2e meilleur temps, il
y a beaucoup d’écart. Alors que lui, il a une capacité
quand il fait des runs à être chaque tour très très
proche: si tu regardes le T1, le T2, le T3, le T4, ça
matche, ça matche, ça matche! Donc tu vois que les choses sont
faites avec méthode, et qu’il n’est pas au-dessus de ses pompes.
Tout ça pour dire, si on veut résumer, tout le monde
est évidemment hyper impressionné par les performances, mais
je dirais aussi, tout le monde est sous le charme du
bonhomme! «
OK, il amène le sourire chez tout le monde dans l’équipe
et à l’usine, et sans doute une extra énergie et une extra
motivation. Mais vous parliez de votre expérience, et vous savez
aussi que le Shakedown n’est que le
shakedown…
« C’est pour ça que je t’ai dit hier “attention
!”. Là, on parle après 3 jours de shakedown, où il n’y a pas la
totalité du plateau et où il y a beaucoup de gens, je pense à
Fabio, Rins, Mir, Johann et cetera, ne se sont certainement pas
focalisés sur le chrono. Ils ont essayé beaucoup de choses que leur
permettent les extra concessions auxquelles ils ont droit pour
pouvoir être plus performants à partir de la première course qui
est le Qatar. Donc je suis tout à fait d’accord: nous on est
content de voir qu’il est performant, et je ne vais pas te
cacher que c’est un petit plaisir de terminer les 3 jours premiers,
mais on sait très bien que ça ne veut pas dire grand-chose par
rapport à à la première course. On sait très bien qu’on ne
part pas pour faire la pole et une victoire au Qatar, jamais je ne
dirais ça, jamais. Oui, il faut tout totalement relativiser, et je
relativise, je suis le premier à le dire, ne nous emballons pas,
c’est le shakedown, quand un Fabio, un Rins, un Johann, vont
chercher le chrono, et puis après quand les autres vont arriver,
Martin, Bagnaia, Marquez, quand ils vont pousser, on va peut-être
se retrouver une seconde et demie. Mais ce que je dis, c’est
maturité incroyable, approche de la course vraiment comme un vieux
briscard mais un bon vieux briscard, une intelligence de motiver et
de créer ce groupe là. Tout ça est très excitant, et aussi
58.1, c’est quand même un chrono qui tient la route !
L’année dernière Marini était parti après les 3 jours de test en
tête avec 1’57.889. Alors peut-être que la piste elle est extra
bonne et dans deux jours ils vont rouler en 55 (rires), et je ne me
focalise pas trop, ni sur le fait qu’il soit premier, ni sur le
fait qu’on ait fait 58.1, mais on ne fait pas la fine bouche non
plus et on est tout simplement très content !
On n’a jamais non plus lancé Pedro, parce qu’on ne veut
surtout pas qu’il se blesse, en lui disant “tu as deux
pneus neufs, fonce !”. On ne lui a jamais dit ça, on lui dit
toujours “on est là pour travailler, on est là pour apprendre,
essaye de comprendre tous les devices. Essaye de comprendre comment
fonctionne les Michelin, les freins carbone, enfin tu sais tout ça.
Donc c’est sûr que les autres ne se sont pas focalisés sur le
chrono, mais je te promets que nous non plus. Mais ça fait plaisir
!”