Hervé Poncharal, l’emblématique patron de l’équipe Tech3 présente en MotoGP et en Moto3 avec KTM, nous a fait la gentillesse de bien vouloir sortir de son silence pour faire notre point traditionnel à l’issue des essais d’intersaison.
Bien sûr, cette année, cette très longue conversation revêt également, et peut-être avant tout, un caractère extra-sportif, dû aux difficultés financières rencontrées par KTM, la firme qui équipe la structure de Bormes-les-Mimosas.
Mais comme d’habitude, l’homme d’expérience par ailleurs Président de l’IRTA, l’association des teams, a bien voulu répondre à toutes nos questions en toute franchise. Merci à lui !
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partie concernant la situation de KTM
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partie concernant un éventuel plan B
D’accord. Alors on attend le 25 février avec confiance mais, en attendant, parlons des essais hivernaux qui viennent de se terminer. On peut peut-être commencer par Tech3 où il y a deux nouveaux pilotes, deux pointures. L’impression extérieure que l’on a est que dans cette phase d’adaptation Maverick Vinales s’en sort un petit peu mieux qu’Enea Bastianini sur la RC16. Bon, on connait Vinales et ses fluctuations d’esprit de grande amplitude, mais là, il est dithyrambique. Donc il a plutôt fait de bons essais. Et puis, pour Bastianini, il faudra peut-être un peu plus de temps. On se trompe ?
Hervé Poncharal :
« Vu de l’intérieur, déjà, ça a été une intersaison
très différente de ce qu’on avait à gérer depuis plusieurs
années, parce que ça fait plusieurs années qu’on avait au
moins un rookie, voire deux rookies. Et évidemment entre la gestion
d’un rookie qui arrive tout fraîchement auréolé d’un titre en
Moto2, mais qui découvre absolument tout d’une MotoGP, et qu’à côté
de ça on a à gérer un Enea Bastianini, multiple vainqueur de Grand
Prix en MotoGP, qui sort de deux ans de chez les rouges qui est
quand même l’écurie de pointe du MotoGP du constructeur qui est
aujourd’hui reconnu comme étant le plus compétitif, et quand on
reçoit Maverick Vinales, aussi multiple vainqueur de Grand Prix et
qui en a d’ailleurs gagné avec une Suzuki, avec une Yamaha et avec
une Aprilia, l’approche est complètement différente
!
On est beaucoup moins paternaliste, on est beaucoup moins dans
l’explication des freins carbone, des pneus Michelin et des aides
au pilotage. Tout ça, ils connaissent par cœur, donc pour nous, le
plus important de la mission c’est de leur montrer qu’on est un
groupe soudé, enfin, deux groupes 100% dédiés à leur pilote, et de
leur donner la possibilité de
comprendre la KTM RC 16, d’arriver
petit à petit à la cerner, et à évoluer pour être
en osmose avec.
Ce dont je suis assez
content, même si jamais tu ne
peux pas être satisfait quand tu ne finis pas 1er et 2e des
essais, et ce n’est pas le cas donc bien sûr qu’il y a encore du
boulot, mais à chaque journée des tests de Sepang, comme à chaque
journée des tests de Buriram, les deux pilotes ont
progressé, fortement. En temps au tour, et évidemment que c’est ce
qu’on peut voir de plus concret, mais aussi dans la manière dont
ils comprenaient leur matériel. C’est vrai que Enea
Bastianini n’a jamais roulé que sur des Ducati en MotoGP, et la KTM
est très proche en performance de la Ducati, mais elle délivre sa
performance de manière très différente, les deux motos ont des ADN
qui ne sont pas du tout les mêmes. Donc lui n’ayant roulé qu’avec
une Ducati, il n’a jamais eu à avoir cette adaptation, comme par
exemple Maverick qui a sauté d’une Suzuki qui était un 4 en ligne,
à une Yamaha 4 en ligne puis à une Aprilia V4 Aprilia avec la
manière de travailler des Italiens après avoir travaillé avec des
Japonais. Donc Vinales était plus dans ce genre d’exercice déjà. Il
en était à son 4e constructeur, alors que Enea n’avait jamais connu
qu’un constructeur.
Mais malgré tout il a toujours été positif, constructif, en disant
que cette moto, la KTM RC16, a un super potentiel, a des points qui
sont plus forts que la Ducati, elle a des points où ce n’est pas le
cas, mais en tout cas cette moto, comme le prouve Pedro Acosta, en
2024 et pendant les séances d’essais qu’on a eu jusqu’à présent à
Sepang et à Buriram, cette moto est compétitive et c’est à
lui de la comprendre.
Et les deux pilotes, et c’est là qu’on voit que ce sont des gens
d’expérience, ils n’ont jamais essayé de pousser pour faire ce
qu’on appelle un temps au tour, le fameux Time Attack, parce qu’ils
m’ont dit « tant que je ne la comprends pas, je ne peux
pas me lâcher complètement, donc je préfère continuer
d’apprendre”. Oui, bien entendu qu’ils auraient mieux
aimé être dans les 3 premiers, mais avant de pousser, il faut
comprendre et il faut tout maîtriser sur une MotoGP, sans ça, ça se
termine en satellisation. Donc ils n’avaient pas envie et
il y avait beaucoup de choses à tester, beaucoup de tours à faire,
parce que bien évidemment tu testes des châssis, tu testes des
suspensions, tu testes des aéros, tu testes des pneumatiques et
tout un tas de paramètres. Les journées sont longues, mais elles
sont courtes aussi, et à un moment donné un bonhomme ne peut pas
faire 200 tours par jour, surtout dans les conditions qu’on a en
Asie du Sud-Est où ça tourne autour de 30, 35° avec pas loin de 85%
d’humidité.
On a vu que des gens qu’on peut considérer comme des top guns ont fait des erreurs et se sont blessés, alors que nos pilotes, je touche du bois parce que je n’aime pas trop parler de ça, mais eux sont restés dans leur zone, entre guillemets, pas de confort mais de prises de risques pas maximum, et qu’on a fait des séances d’essais hivernales qui sont des séances de travail comme des séances de travail. On sait aujourd’hui qu’on ne peut pas aller challenger Marc Marquez, Pecco Bagnaia, Fabio Quartararo, Marco Bezzecchi, aujourd’hui on ne peut pas, on n’est pas là encore. Mais en tout cas, je pense qu’on a bien travaillé, et la dernière demi-journée de Buriram, qui était donc aujourd’hui, a vu quand même et Maverick Vinales et Enea Bastianini se rapprocher des meilleurs. Et quand on regarde leurs temps, on est maintenant dans une fourchette d’une demi-seconde, qui est beaucoup plus acceptable qu’une seconde et sept ou huit dixièmes, parfois même deux secondes au début des premiers tours de roues à Sepang.
Donc on a réduit de manière importante l’écart qui nous sépare du top. Aujourd’hui, si je veux schématiser, chez KTM il y a un leader incontesté aujourd’hui qui s’appelle Pedro Acosta. On le connaît très bien, on a fait une année avec lui, je te l’ai dit tout à l’heure, 9 podiums, des pole positions, et si jamais la vie avait voulu être un peu plus douce avec nous, je pense qu’on aurait pu gagner au moins une course ou voire deux pendant cette saison rookie, mais en tout cas il y a eu une saison superbe et on sait que ce pilote est le plus fort chez KTM aujourd’hui. Il a sa manière de piloter, elle est totalement en phase avec l’ADN de la moto, donc lui pour l’instant, c’est le benchmark, la référence absolue de la marque.
Pour l’instant, on ne va pas être à son niveau tout de suite, et je pense qu’on essaye plus de se rapprocher du pilote le plus expérimenté de la KTM, qui est Brad Binder. Je pense que là, on arrive à vraiment se rapprocher de lui, et la prochaine étape c’est que les 3 pilotes qui sont un poil en dessous Acosta, qui sont Binder, Vinales, Bastianini, arrivent à se rapprocher de Pedro pour avoir les quatre pilotes qui ne soient pas trop loin les uns des autres. Ce qui est bien, c’est que quand on a une locomotive comme Acosta, on sait que la moto peut le faire, et c’est ce que dit Vinales, et c’est ce que dit Bastianini. Et quand on leur pose des questions, ils disent, “je ne remets surtout pas en cause de potentiel de la KTM RC16. Regardez ce que fait Pedro Acosta”. On utilise leurs datas et c’est vrai que, surtout Bastianini au début, il nous a dit “mais moi mon pilotage c’est quasiment l’opposé de ce que fait Pedro ! Mais à un moment donné, il faut que je me force à oublier tout ce que j’ai appris, parce qu’avec la Ducati je faisais comme ça, mais si je fais comme ça, ça ne marche pas, et avec la KTM, à cet endroit-là, faut que je fasse comme ça”. Mais c’est plus facile à le dire que à le faire, parce que quand on a autant de saisons que Bastianini, autant de repères sur tous les circuits avec une machine, les oublier ce n’est pas facile, et c’est ce à quoi on a travaillé toutes les séances hivernales. Et ça peut être frustrant pour le pilote, mais c’est super intéressant de voir que petit à petit le pilote change. Quand on voit ses acquisitions de données, il se rapproche de la manière de faire du leader, qui est Pedro Acosta.
De toute façon, Acosta a quand même fait une saison qui est incroyable, mais il a quand même été aussi été le roi des chutes. A un moment donné, la KTM est très très forte au freinage, en entrée de virage, elle a un train avant qui est un des points les plus forts de cette machine, sauf qu’il faut avoir la confiance quoi. Et c’est vrai que les pilotes, quand ils regardent au début la manière dont Pedro fait confiance et exploite son train avant, quiconque a fait du 2-roues sait que souvent la problématique d’une chute en moto c’est croiser les skis, c’est à dire perdre l’avant, et avant d’arriver à faire ce qui fait, il faut faire des tours et il faut croire que ça peut le faire. Et il y a des pilotes qui vont y aller les yeux fermés et qui vont faire beaucoup de chutes, et puis tu as des pilotes qui vont y aller petit à petit. C’est plutôt le style de nos deux pilotes, parce qu’on a quand même fait plus de 300 tours et on n’a pas trop frotté le bitume. Je dis ça pour pas que ça me porte la scoumoune, je n’aime pas parler de ça. Voilà, mais Binder n’a jamais fait du MotoGP que sur une KTM, idem pour Pedro, même si lui il a fait moins d’années, alors que pour les deux nôtres, ce n’est pas le cas. Mais là on n’est plus très très loin. Après voilà, de toute façon c’est clair qu’on ne part pas pour être sur le podium dès la première ou la deuxième course.
Par contre, ce qui est important, c’est de garder une atmosphère conviviale dans le box. Et honnêtement, les deux pilotes qui sont Bastianini et Vinales, ce sont des belles personnes, des vraies personnes. Et le fait de faire ces essais hivernaux, où on est quand même beaucoup les uns avec les autres pendant des semaines, ça crée des liens. Et même si les résultats ne sont pas encore pour l’instant, Youpi, Foufou, et cetera, le monde fait confiance les uns aux autres, et les pilotes sont conscients qu’il y a un super groupe, et ça c’est pour moi, c’est hyper important. C’est hyper important que nous on fasse confiance à nos pilotes, que les pilotes se sentent bien supportés, et par l’usine et par leur équipe technique, en l’occurrence Tech3. Bien sûr qu’on aimerait mieux être encore un peu mieux placé sur la feuille de temps, mais y a une très bonne ambiance qui j’espère va continuer tout au long de l’année.
Et ça, c’est important, parce que d’abord c’est une grande partie de notre vie la course, et puis voilà, parce qu’on aime la course moto mais on aime aussi les relations humaines et et ce n’est pas toujours que ça se passe aussi bien que ça se passe pour l’instant avec Maverick et Enea. »
Et on sait que dans la compétition, il faut que tout soit parfaitement aligné, tout : les pneus, le moteur, les réglages, la forme du pilote, et aussi l’ambiance dans le box…
« Absolument. Et c’est hyper important que le pilote ne se démoralise pas, et à un moment donné, un peu avant la fin des essais de Sepang, Enea a dit « je ne suis pas encore démoralisé mais il ne faudrait pas qu’il y ait encore 5 ou 6 Grands Prix avec le feeling que j’ai là aujourd’hui”. Et là, tu te dis que c’est le moment de vraiment l’aider pour qu’il ne commence pas à perdre confiance, quoi. Parce qu’après, si tu perds confiance, tu n’y crois plus, tu ne crois plus en ta moto, tu ne crois plus en toi avec cette moto, et c’est tellement serré que tu prends 3 ou 4/10, et c’est mort.
Et ce que j’ai aimé, c’est que le petit stop à Bangkok pour la présentation du championnat MotoGP a permis de passer deux jours avec les pilotes, dont Enea, et après les quatre jours à Buriram, Enea repart dans un état d’esprit beaucoup plus constructif, avec la banane, qu’au milieu des essais de Sepang. Et ça, pour moi, c’est très très très important, parce que les courses vont commencer à s’enchaîner, ce n’est pas toujours facile, et il faut vraiment que les groupes soient des vrais groupes homogènes et constructifs. »
A suivre…
Hervé Poncharal KTM MotoGP
Hervé Poncharal KTM MotoGP
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