Hervé Poncharal, l’emblématique patron de l’équipe Tech3 présente en MotoGP et en Moto3 avec KTM, nous a fait la gentillesse de bien vouloir sortir de son silence pour faire notre point traditionnel à l’issue des essais d’intersaison.
Bien sûr, cette année, cette très longue conversation revêt également, et peut-être avant tout, un caractère extra-sportif, dû aux difficultés financières rencontrées par KTM, la firme qui équipe la structure de Bormes-les-Mimosas.
Mais comme d’habitude, l’homme d’expérience par ailleurs Président de l’IRTA, l’association des teams, a bien voulu répondre à toutes nos questions en toute franchise. Merci à lui !
Hervé Poncharal, vous vous êtes fait relativement discret, et on le comprend bien, pendant cet hiver, avant tout, on présume, au vu de l’incertitude qui régnait autour de KTM. Mais aujourd’hui, maintenant que le ciel semble se dégager et que tous les essais sont arrivés à terme, vous avez quand même probablement des choses à dire. On peut parler de KTM, des essais MotoGP, du championnat à venir, de plein de choses…
Hervé Poncharal : » Effectivement, et vous l’avez fort justement pointé, pour être tout à fait clair et franc, on a vraiment été informé et compris l’étendue des problématiques financières qui touchaient le groupe Pierer Mobility, et donc de KTM, à la dernière course du championnat qui était Barcelone, et les jours qui ont suivi. Parce que jusqu’à ce qu’on arrive à Barcelone, on n’avait pas eu d’informations particulières. Enfin si, on savait que le marché n’était pas excessivement porteur pour tous les constructeurs et peut-être que notre constructeur KTM aurait été peut-être un peu plus impacté. Mais voilà, les informations, c’était ça, et tout le monde travaillait bien entendu à terminer le mieux possible notre saison 2024 qui avait été quand même assez faste, et préparer 2025 avec la première étape qui était le test de Barcelone avec deux nouveaux pilotes, Bastianini et Vinales. Et puis, on était déjà à fond dans tout ce qu’on fait pendant l’intersaison, c’est à dire les mois de décembre-Janvier. A Barcelone on a commencé à comprendre que les choses étaient beaucoup plus sérieuses et on a été informé qu’il y avait des gros problèmes, et même à Barcelone on ne s’imaginait pas que ça pourrait aller au point où ça a été. Et de Barcelone jusqu’à fin janvier, les nouvelles qui arrivaient quasiment tous les jours étaient de plus en plus inquiétantes. Par contre, bien évidemment, quand il y a des choses comme ça qui se produisent avec un constructeur aussi emblématique, beaucoup de gens parlent et c’est normal, mais il y a beaucoup de gens qui parlent aussi sans connaître la réalité du dossier. Et bien évidemment quand une situation comme celle-là se crée, que c’est ton partenaire principal qui est impacté comme il est, que chaque mot doit être pesé et soupesé avant d’être prononcé, l’attitude correcte qu’il faut avoir, c’est de rester en deçà. D’autant que nous, on n’était pas directement concernés puisque nous, notre société c’est Tech3, on était impacté par le fait qu’on a des relations contractuelles avec le constructeur KTM, mais ce n’était pas à nous de nous exprimer sur le dossier. De toute façon, celui-ci était géré par des administrateurs qui étaient désignés par les créanciers et par le gouvernement autrichien, et nous on n’y avait pas accès. Donc y a tout un tas de choses qu’on ignorait, qu’on ne pouvait pas savoir, et c’est pour ça que, par respect de toutes les parties concernées, j’ai pris la décision de rester très en retrait et très silencieux. Et c’est le message que j’ai passé à toute mon équipe, et je pense que c’était la meilleure attitude à avoir.
Donc la bonne nouvelle, et je pense que c’est vraiment la meilleure nouvelle qui puisse arriver, que ça soit pour Tech3, pour le MotoGP ou pour le monde de la moto en général, c’est que les nouvelles deviennent de plus en plus rassurantes. Maintenant, il faut toujours garder à l’esprit que la date cruciale ça sera le 25 février 2025, où le plan de sauvegarde qui est en ce moment préparé et qui va être présenté à tous les créanciers et à l’administrateur, sera accepté et validé ou refusé et rejeté. Donc c’est la date, mais de ce qu’on sait, tout le monde, les actionnaires actuels plus de futurs investisseurs, pensent que cette société est excessivement compétitive : c’est une super boîte. Moi, je connais l’outil de travail en Autriche, le service course, et pour moi c’est le plus beau de tous les services course moto que j’ai visités. Je connais celui de Suzuki, je connais celui de Honda, je connais celui de Yamaha, mais c’est vrai qu’ils ont un outil de travail incroyable. Toutes les capacités de production là-bas, c’est le top du top, il y a vraiment des infrastructures, un savoir-faire, qui fait que cette société, elle ne disparaîtra pas.
Voilà, donc on va attendre le 25 février que le plan de sauvegarde soit étudié et on va attendre de connaître la position de tous les gens qui vont le valider ou pas, qui sont les créanciers et l’administrateur, mais les nouvelles sont plutôt rassurantes. On sait qu’il y a beaucoup d’investisseurs qui veulent injecter de l’argent dans ce groupe, et que les montants qui ont été soumis aux personnes qui gèrent ce dossier sont de nature à nous faire dire que les choses sont beaucoup plus rassurantes qu’elles ne l’étaient. Mais encore une fois, attendons le 25 février.
Alors évidemment, quand tu vis un hiver comme ça, et on dit souvent cette expression que j’aime bien, « gouverner c’est prévoir”, pendant la saison off, pendant la pause hivernale, il y a beaucoup de choses à préparer au niveau de la logistique, et la logistique c’est important aussi pour être performant. Tout le monde travaille à l’usine sur le développement du matériel pour le faire évoluer. Nous, dans notre structure, que ce soit au niveau du personnel, que ça soit au niveau de nos véhicules, des outillages, enfin de tout ce qu’on appelle la logistique, on a essayé de continuer de travailler comme on avait prévu de le faire, comme on le fait durant toutes les intersaisons, même s’il y avait cette épée de Damoclès qui était au-dessus de nous. On disait “j’espère qu’on ne fait pas tout ça pour rien”, parce qu’il est clair que Tech3 a ses contrats, avec ses pilotes, avec ses partenaires, avec le championnat, et que ces contrats ne sont valables et valides que si Tech3 a effectué sa mission. Et la mission de Tech3, c’est d’être présent sur la grille avec Mavrick Vinales et Enea Bastianini à chaque épreuve du championnat 2025 et 2026. Mais pour le faire, il faut que tu ais les pilotes, il faut que tu ais l’équipe technique, la logistique, mais aussi les motos ! Tu ne peux pas ne pas imaginer qu’il y a des moments dans nos têtes où on ne s’est pas dit “Waouh! Si jamais demain les choses tournent vinaigre, on peut se retrouver sans moto et donc dans l’incapacité de participer au championnat”, et donc dans l’incapacité de faire notre job quoi.
C’est vrai qu’on a toujours eu un retour excessivement positif et constructif de notre interlocuteur, premier et quasi unique chez KTM, qui est Pit Beirer, qui est le directeur du Motorsport. Il a toujours dit “quoi qu’il arrive, il y aura des MotoGP, il y aura les 4 pilotes au départ des championnats 2025 et 2026. On a confiance”. Mais c’est sûr que tu préfères ne pas t’exprimer dans les médias, tu préfères te focaliser sur ce que tu as à faire, et tu pries pour que toutes les nouvelles qui étaient quelquefois relativement catastrophiques, relayées par certains médias, ne soient pas la réalité. «
Quelques nuits ont dû être difficiles…
» Des nuits difficiles. Après, on sait qu’un pilote, c’est loin d’être un robot, c’est un être humain, et nos pilotes étaient effectivement aussi confrontés à toute cet afflux de nouvelles et se posaient les mêmes questions que nous. Donc c’est certain que c’était important pour nous de leur parler, de parler à leur management, pour les rassurer et leur dire “préparez vous comme vous vous préparez tous les ans. Nous, c’est ce qu’on fait. Faites-le de votre côté, coupez votre téléphone, coupez vos liens avec les médias, ne lisez pas et n’écoutez pas, ce n’est pas vous toute façon qui allez faire en sorte que les choses vont aller dans un sens ou dans un autre. Tout ce que vous pouvez faire, c’est d’arriver au premier essais 2025, qui sont ceux de Sepang en Malaisie, le plus prêt possible. C’est tout ce qu’on vous demande”. Et tout le monde a bien fait d’avoir cette attitude-là, que ça soit nous au niveau de l’équipe Tech3 et de nos pilotes, parce que mi-janvier déjà, on a eu quand même quelques certitudes que les choses avançaient de manière favorable, puisqu’on a été une semaine en Autriche monter les motos et envoyer nos caisses pour Sepang.
Crédit photo : KTM
Donc on savait que les essais de Sepang se passeraient, qu’on avait suffisamment de motos, de choses à essayer et de stock de pièces détachées pour pouvoir faire ces essais à Sepang et à Buriram. Et là aujourd’hui, bon il se trouve qu’on se parle le dernier jour de la campagne d’essais hivernaux, et maintenant on n’a plus qu’à attendre quelques jours pour attaquer le championnat 2025. Mais on a fait nos 3 jours à Sepang, on a fait un petit stop à Bangkok pour faire la présentation du championnat qui était une première mondiale, et on a fait nos 2 jours à Buriram, et KTM a aussi fait 3 jours de shakedown avec les deux pilotes d’essais qui sont Dani Pedrosa et Pol Espargaro avant nos 3 jours à Sepang. Donc voilà, quoi qu’en aient pu dire toutes les personnes qui nous annonçaient la fin du monde, enfin la fin du monde, tu vois ce que je veux dire, force est de constater que les gens qui nous passaient des informations positives étaient ceux qui étaient dans la vérité.
Alors attendons le 25 février quand même, mais oui, on est quand même très très confiant qu’on va pouvoir faire une belle saison 2025 maintenant. «
Bien. Alors maintenant qu’on est un peu rassuré, un peu, vous dîtes aimer la maxime “gouverner c’est prévoir”. Sur le moment, l’inquiétude a-t-elle été telle que vous avez commencé à au moins réfléchir à une solution dans le cas d’une catastrophe du style « KTM ne peut pas aligner de motos en 2025 » ? Un plan B ?
A suivre…
Hervé Poncharal KTM MotoGP
Hervé Poncharal KTM MotoGP
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