Avant la reprise du MotoGP à Silverstone, nous avons pu recueillir le bilan d’Hervé Poncharal, l’homme aux deux casquettes qui préside l’IRTA et dirige le team Tech3 qui fait rouler le rookie Pedro Acosta.
Cela lui permet, en plus de son expérience de quatre décennies dans le paddock, d’avoir une vision globale du passé, du présent et de là vers on quoi se dirige avec l’arrivée programmée de Liberty Media, mais aussi d’expliquer pourquoi Pedro Acosta ne cesse de l’émerveiller… Profitons-en !
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Venons-en à Pedro Acosta. Alors vu de l’extérieur, c’est un génie extraterrestre, pas une météorite parce qu’on espère que ça va durer, mais un rookie incroyable, tout de suite au niveau des plus forts, qui ne tombe pas et est là pour se battre pour le podium ou plus. Et puis, à partir du Mans, il tombe un peu et rate des courses qu’il aurait presque pu gagner, avant de rentrer un peu dans le rang bien que figurant toujours dans le top 10. Pourquoi ? C’est l’expérience qui lui fait prendre son temps ?
Hervé Poncharal : « Alors moi je vais dire, je vais te dire une chose, déjà, la première chose c’est que j’ai toujours dit et j’ai toujours détesté les Messieurs « Je sais tout”. J’ai toujours dit que je n’étais pas Monsieur “ je sais tout”, et la fameuse chanson de Gabin, je la trouve fabuleuse, “Plus on avance, plus on sait qu’on ne sait rien”. Moi, de l’extérieur, je ne vais donc pas expliquer de manière rationnelle par rapport à ta question. Pedro Acosta, c’est effectivement un talent incroyable, comme en ce moment on parle de Léon Marchand, un phénomène incroyable que la France a en natation. Pedro Acosta, il y en a eu des phénomènes, mais là ça fait quand même quelques années qu’on n’avait pas vu un un rookie qui était aussi phénoménal. Il a fait des essais hivernaux et un début de saison fantastique, il a beaucoup, beaucoup, beaucoup joué avec la limite, et il a eu beaucoup de “saves”, de sauvetages en début de saison, et puis le premier « do not finish” important où il y avait un gros coup à faire, comme tu l’as dit, c’était au Grand Prix de France. Il était sur un nuage pour la course, on avait bien rectifié le tir par rapport à ce qu’il avait fait à la Sprint, et puis, bon, on ne va pas faire course par course mais au Mans il m’a dit que quand il est arrivé sur Di Giannantonio et Aleix Espargaro au garage vert, il a été surpris par le fait qu’il freinait tellement tôt. Et il ne voulait pas les passer tout de suite mais il a été obligé de se décaler, il a plongé entre les deux pour ne pas les coucher et il est tombé. Et il m’a dit “c’était une erreur de ma part mais j’étais tellement bien sur la moto et j’ai été surpris parce qu’ils étaient, pour moi, lents”. Alors ça fait toujours sourire de d’entendre que Di Giannantonio et Aleix Espargaro sont lents, mais voilà, il a été surpris, donc première erreur. Après, à Barcelone il fait une course fabuleuse et il fait une mini erreur en suivant Jorge Martin, alors que Martin avait dit “je pouvais pas m’en débarrasser, il était collé à mes basques”. Il était 2e à ce moment-là, il venait de faire un podium la veille à la sprint et on pouvait la gagner cette course ! Mais voilà, il a gardé un peu de freins sur une petite bosse, il a pris un millimètre de trajectoire différente, et à ce niveau-là, ça ne pardonne pas. Mais jusqu’à ce moment-là, ce sont les deux “do not finish” mais niveau performance à chaque fois, c’est potentiellement podium et voir potentiellement bataille pour la victoire.
Et puis Mugello, Assen, Allemagne, franchement oui, c’est un petit peu plus compliqué. Je pense que la Ducati, ça reste le package technique qui est certainement un cran au-dessus. Sur certains circuits on peut faire un jeu égal, et on a vu notamment à Austin qu’Aprilia et la KTM étaient plutôt mieux que la Ducati là-bas, ou en tout cas on faisait jeu égal avec elle. Par contre, leur force c’est qu’ils sont très très bien partout, et que nous il y a des circuits sur lesquels on fait jeu égal avec eux, il y a d’autres circuits où on marque un peu le pas. Et c’est vrai qu’en plus on a eu des aléas météo, un peu à Mugello, on n’a pas eu beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps pour rouler. On pensait qu’à Assen on serait beaucoup mieux mais on a eu aussi quelques petits aléas météo et problèmes qui ont fait qu’on a pas fait le nombre de tours. Voilà, il y a eu quelques petites choses qui ont fait qu’on n’a pas eu des week-ends qui se sont passés comme ça aura dû se passer, et ça se paye cash hein, ça fait des places de 6, de 7, et on trouve que c’est un peu décevant. Après, même si quand tu fais 6 et 7, et que tu es en rookie et que tu vois niveau, c’est fabuleux! Il ne faut pas oublier qu’il y a 8 Ducati et 4 Aprilia sur la grille. Mais c’est vrai, je ne vais pas aller contre ce que tu as dit et essayer d’expliquer l’inexplicable. Pedro, avant, tout ce qu’il faisait, c’était magique, et il y avait 0 pression. Même si lui il n’aimerait pas que je le dise, et que j’espère qu’il va pas lire Paddock-gp, il n’aimerait pas que je dise, et il dit que non, mais je pense qu’il commence à se sentir dans la peau, peut-être pas d’un favori mais d’un “podiumable” chaque Grand Prix, et c’est le premier de la classe Pierer Mobility, donc automatiquement tu as des responsabilités, tu as des envies, tu places le curseur plus haut qu’en début d’année.
Hervé Poncharal Pedro Acosta
Et ce n’est pas facile tous les jours et. Et oui, on s’est retrouvé confronté à des problèmes de mise au point ou d’adaptation qu’on n’envisageait pas, que ça soit à Assen et au Sachsenring. Mais encore une fois, ça aurait été pas mal, mais c’est tellement serré qu’on pensait sincèrement être mieux. Il y a eu aussi des petits aléas météo, donc on n’a pas fait trop de tours. C’est pas trop des excuses, mais voilà, on a été un peu plus dans le dur, mais je pense que c’est plus lié aussi au fait que la Ducati… Puis attend, tu as Pecco Bagnaia, Marquez, Bastianini, Martin, en face. Donc on a un peu marqué le pas mais je ne pense pas que Pedro ait perdu de son lustre et de son agressivité. Mais il a aussi compris qu’il fallait finir les courses et donc les deux petites alarmes du Mans et de Barcelone, il les a toujours dans la tête parce qu’il a fait grosso modo le calcul des points qu’il a perdu s’il avait gardé sa position au lieu d’être tombé.
Mais je pense qu’il faut continuer à travailler. Chez Pierer Mobility, ils le savent, ils travaillent d’arrache-pieds. Mais encore une fois quand tu as 8 motos, 8 pilotes, tu progresses plus vite que quand tu en as 4. Et parles-en à Yamaha, tu progresses plus vite quand t’en as un 4 que quand t’en as 2. De toute façon, on ne sera pas champion du monde cette année. On sera meilleur rookie, OK, c’est le seul. Et je souhaite qu’il continue la 2e partie de la saison comme ce qu’il a fait sur la première partie, et il aura fait une zone de rookie fantastique qu’on pourra mettre dans les annales. Et il peut encore gagner une course, non seulement une Sprint mais même un Grand Prix. Il peut gagner un Grand Prix d’ici la fin de l’année. Il peut ! J’ai pas dit qu’il allait gagner mais il peut le faire. Mais aujourdhui, ça avance très très vite et on est plutôt dans la préparation de 2025, où là, il y aura un line-up incroyable chez Pierer Mobility, avec Brad Binder – Pedro Costa d’un côté, et Vinales et Bastianini de l’autre côté. Donc il faut qu’on continue d’améliorer le package technique, peut-être pas en performance absolue sur certains circuits, où on est très très bien, Austin, Barcelone, Le Mans et cetera, mais il faut qu’on soit plus au niveau de Ducati partout. Voilà, et il faut qu’on travaille là-dessus. Mais je pense sincèrement que l’année prochaine, je ne vais pas vendre du rêve pour l’instant parce qu’il reste beaucoup de courses à faire en 24, mais quand tu vois qu’il y aura 4 Yamaha, très très très très très bonne nouvelle pour Fabio et Yamaha, quand tu vois qu’il y aura donc 2 Ducati de moins, et qu’ils ont perdu 3 pilotes emblématiques qui sont Bastianini, Bezzecchi et Martin, quand tu vois que du côté Pierer Mobility, ils ont récupéré donc un Vinales et un Bastianini, je pense que la grille devrait être plus homogène et équilibrée en 25. »
Pedro Acosta est 6e pour le moment, juste devant Brad Binder, à 15 points de votre futur pilote Maverick Vinales, et devant il y a encore votre futur pilote Bastianini. Peut raisonnablement viser un top 5 ?
« Comme tu l’as dit, hein, c’est excessivement serré hein. Il y a beaucoup de points à distribuer, mais plus qu’une place au général, oui, un top 5 ça serait fabuleux, même un top 6 quelque part. Mais ce qu’il faut, c’est qu’on continue de performer. Et moi, comme Pedro, on a envie de se battre pour des podiums à chaque course, à chaque sprint et à chaque Grand Prix. Et la place finale, elle est quelque part moins importante. Toute façon que tu finisses 4, 5 ou 6 au Mondial, franchement la place qui compte c’est le Number One, et Pedro Acosta ne sera pas champion du monde en 2024, c’est archi certain ! Par contre, il nous reste beaucoup de courses pour être sur le podium, et puis, pourquoi pas, être sur la marche la plus haute.
Tu sais, Pedro, après l’Allemagne, la plupart des pilotes ont dit qu’ils partaient en vacances. Pedro a demandé s’il y avait du monde en Autriche. Tous les boss, Pit Beirer et compagnie, plus tous les ingénieurs ont dit “oui, on est là-bas”.
– Alors prenez-moi un billet et lundi matin, post Sachsenring, je monte en Autriche. Prenez-moi un billet. Aller, et le retour, je verrai quand je le ferai réserver, je n’en veux pas pour l’instant. Et il est monté là-haut, pour rencontrer tout le monde. Donc il se voit un peu quand même en chef de file, pas un chef d’orchestre mais il veut vraiment parler, discuter, leur expliquer ce dont il a besoin pour être plus régulièrement devant, leur expliquer quels ont été les problèmes qu’il a rencontrés sur les derniers circuits, notamment Assen et Sachsenring, leur expliquer le feeling qu’il avait peut-être en début de saison, notamment à Portimao et à Austin où il était sur le podium. Donc tu vois que c’est quand même quelqu’un qui est super impliqué. Déjà il est très heureux d’être chez Pierer Mobility et d’être Red Bull KTM, enfin d’être Red Bull GASGAS cette année, d’être Red Bull KTM Factory l’année prochaine. Il n’aurait jamais signé ailleurs, ça il nous l’a dit. Il a une confiance totale dans sa famille qui est donc la famille Pierer Mobility, mais il estime qu’il faut que tout le monde bosse, et donc là il est monté voir tous les gens qui développaient les moteurs, il est monté voir les gens qui bossaient sur l’électronique, qui bossaient sur l’aéro, qui bossait sur les suspensions, parce que tu as tout le département WP qui est là-bas. Il voulait les voir, les rencontrer, se présenter pour être en contact plus direct avec eux, et aussi à chacun d’entre eux, leur expliquer ce qu’il ressentait. Ça, ça ne se fait pas souvent et c’est fabuleux que ça ait été à l’initiative du pilote et qu’il ait dit “les vacances, c’est pas mon problème pour l’instant et je préfère aller en Autriche au service course plutôt que d’aller me pavaner, entre guillemets, sur un yacht au milieu de la Méditerranée avec des bimbos”. Ça montre, le profil, l’implication d’un pilote, et rien ne se fait sans travail, sans échange. Dans ce métier, il faut travailler, il faut échanger et il ne faut pas avoir peur d’échanger, de rééchanger, de couper les cheveux en 4, en 10, en 1000, en 2000, et il ne faut pas se dire “Ah non mais ça c’est un détail”. Non, non, non, et Pedro, il est très fort pour ressentir sur la moto et après expliquer son ressenti sur la moto. Franchement. Alors que c’est un rookie, tu vois le parterre de techniciens qui est devant lui après chaque séance d’essai et après chaque course. Ils l’écoutent religieusement et c’est vrai, je ne suis pas en train de faire du sensationnel. »
Hervé Poncharal Pedro Acosta
Hervé Poncharal Pedro Acosta
Hervé Poncharal Pedro Acosta
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