Avant la reprise du MotoGP à Silverstone, nous avons pu recueillir le bilan d’Hervé Poncharal, l’homme aux deux casquettes qui préside l’IRTA et dirige le team Tech3.
Cela lui permet, en plus de son expérience de quatre décennies dans le paddock, d’avoir une vision globale du passé, du présent et de là vers on quoi se dirige avec l’arrivée programmée de Liberty Media. Profitons-en…
Hervé Poncharal, nous arrivons à la fin de la pause
estivale et nous nous demandons quel bilan pouvez vous dresser de
la première partie de la saison 2024, aussi bien pour le MotoGP en
général, dont l’intérêt ne semble que progresser, que pour Tech3 en
particulier, où l’on a assisté aux débuts d’un pilote assez
extraordinaire dans la catégorie reine…
Hervé Poncharal :
« Sincèrement, je pense que la première partie de la saison
2024 a été très très favorable au MotoGP. On a vu que les audiences
télé soulignent l’importance et la bonne décision
de faire une Sprint le samedi, parce
qu’on voit que l’audience le samedi progresse d’année en année et
en tout cas est très supérieure à ce qu’elle était avant, c’est à
dire jusqu’en 22. Et la fréquentation sur les circuits de même,
parce qu’avant on avait un gros différentiel entre le samedi et le
dimanche, et maintenant le différentiel est bien plus petit. Et
c’est clair que toutes les enquêtes, les sondages qu’on a fait,
montrent que c’est dû à la Sprint, et je pense vraiment que cette
évolution du planning du MotoGP a été un gros bonus. Je pense
aussi qu’on a vu beaucoup de courses extrêmement disputées. On a vu
que bien évidemment Ducati est toujours le constructeur dominant et
dominateur, mais que la domination est moins importante qu’elle ne
le fut par le passé. On a vu des KTM, des GASGAS, des Aprilia,
surtout, qui se battaient pour la victoire, et dans les Sprints et
dans les Grands Prix. Il y a eu pas mal de podiums, notamment de
Pedro Acosta, et quelques-uns de Brad Binder dans les Sprints et
dans les Grands Prix. Donc en tout cas, pour résumer, je pense
qu’on a eu vraiment une très belle première partie du championnat
MotoGP 2024, grâce à des performances plus serrées, surtout entre
les trois constructeurs européens, que dans le passé, et puis à
l’arrivée de nouveaux pilotes, comme notamment le Rookie Pedro
Acosta.
Il y a aussi une chose qui s’est passée,
et qui pour l’instant on va dire est en attente, c’est la signature
de Liberty Media, en tant que nouveau propriétaire de la Dorma, et
donc du championnat MotoGP. Les dernières tractations, pour être
clair qu’il y a pas de situation monopolistique de Liberty Media
dans le domaine des sports mécaniques vis-à-vis de la
réglementation de l’Union Européenne, à priori les choses avancent
bien, et à l’automne les choses devraient définitivement claires.
Et je je pense et j’espère qu’ils vont pouvoir commencer à
travailler avec la Dorna, l’IRTA et la FIM, et je pense que c’est
quelque chose qui va certainement aussi booster le profil,
l’intérêt du MotoGP dans les années à venir. »
À l’inverse, y a-t-il encore des points que l’on
pourrait améliorer ?
« Les points un peu décevants, c’est que malgré les
super concessions, les deux constructeurs japonais ont du mal. Mais
j’espère que les progrès vont se faire sentir sur la deuxième
partie du championnat, parce qu’ils ont quand même beaucoup de
beaucoup de concessions et d’avantages techniques
En tant que Français, j’étais assez
content de voir que Fabio relevait le défi avec le constructeur qui
lui a tout donné, qui lui a donné notamment son premier titre de
champion du monde, et je pense que Yamaha, avec un pilote comme
Fabio, peut envisager de voir justement l’écart se rétrécir. Et ce
qui me fait plaisir, c’est de voir que Fabio, depuis qu’il a
resigné avec eux, il a une attitude très positive, et quand on voit
les déclarations qu’il fait sur sa relation avec Bartolini, on peut
leur faire confiance pour qu’ils nous amènent Yamaha aux côtés des
trois Européens.
La deuxième chose qui est un peu
décevante, c’est qu’on ait dû, et on n’aime jamais ça, annuler une
course, l’Argentine vis-à-vis des de la situation
économico-politique, car il y avait clairement des problèmes de
sécurité à ce moment-là, et c’est
dommage parce que le Grand Prix d’Argentine est un beau Grand Prix.
Mais on devrait y retourner dès 2025, c’est clair.
Et puis c’est aussi dommage qu’il y ait
tous les atermoiements, puis le report du Kazakhstan à un moment
donné suite à des inondations, et de manière assez incompréhensible
le fait qu’on s’est trouvé confronté à une situation où les choses
n’avaient pas avancé, le circuit n’étant pas homologué et le
temps ne donnait plus la possibilité matérielle de le
faire.
Et puis la situation de l’Inde qui était
aussi un petit peu complexe, et c’est aussi un peu décevant de pas
y aller en 24. Par contre, la bonne nouvelle c’est qu’à priori tous
les contrats sont signés pour qu’on l’ait en 25 au calendrier. Mais
c’est toujours un peu décevant et embêtant de voir des courses
disparaître du calendrier, même si c’est pour des raisons
valables. »
Vous avez évoqué Liberty Media : est-ce qu’on a déjà une
petite idée de ce que pourrait être l’apport de Liberty Media au
MotoGP ?
« Il y a beaucoup de choses
qui sont dites, et souvent il y a tout et n’importe quoi qui est
dit. La Dorna a toujours été la propriété de différents
propriétaires qui jusqu’à présent étaient des fonds de
pension. Dans un passé récent, il
y a eu CVC Capital Partners qui, quand ils ont acheté la F1, ont
revendu le MotoGP à un fond de pension qui s’appelait Bridgepoint,
qui l’a gardé une quinzaine d’années, et qui à un moment donné l’a
revendu à Liberty Media. Ils ont laissé la Dorna gérer le
championnat comme ils le voulaient et ils faisaient confiance au
management de la Dorna pour faire fructifier leur investissement en
valorisant le produit MotoGP, ce qui a été le cas. Ils ont misé sur
le MotoGP en pensant que ça se valoriserait au fil des ans, et ils
n’ont pas eu tort, mais ils n’avaient aucun input, aucun conseil à
donner parce que ce n’était pas du tout leur job de faire du sport
mécanique, alors que là, pour la première fois depuis très
longtemps, on a une boîte comme Liberty Media qui fait dans
l’événementiel. Donc eux ont acheté la Formule 1 en 2017, qui était
alors en mauvaise posture, en perte de vitesse. Il y avait certains
circuits où on avait une fréquentation physique supérieure et on
avait des courses qui étaient beaucoup plus intéressantes qu’eux.
Donc il y a toujours eu des discussions entre la Dorna avec Carmelo
Ezpeleta et Stefano Domenicali, qui est le supremo de la Formule 1.
Ils ont fait avancer pas mal de choses, déjà sur le plan technique
en se servant un petit peu de ce qui se passe en MotoGP, mais quand
Liberty Media est arrivé, ils ont secoué un peu le cocotier. C’est
eux qui ont été à l’origine du documentaire « Drive to
survive” fait par Netflix, et on sait que ça a beaucoup aidé à
populariser et à ouvrir l’audience sur tout un tas de publics qui
ne suivaient pas la Formule 1. Cela a beaucoup rajeuni,
beaucoup féminisé, beaucoup internationalisé l’audience, dans des
pays qui n’étaient pas très sports mécaniques. Ils ont aidé à ce
qu’il y ait des contrats télé qui étaient plus valorisants, ils ont
aidé à ce qu’il y ait des nouveaux partenaires qui arrivent, ils
ont aidé à ce qu’il y ait des nouveaux pays organisateurs qui
s’inscrivent au calendrier. Et c’est ce genre de choses-là qu’on
attend.
Parce que dans le contrat qui nous
lie avec eux, ils n’ont pas le droit de regard. Alors quand on
entend dire qu’il n’y aura plus de Moto2, de Moto3, qu’il n’y aura
peut-être pas des Sprints partout, que c’est la Formule 1 qui a
racheté le MotoGP, on entend plein de choses, rien à voir
!
Mais par contre, la vie au jour le
jour du paddock, dans l’accord qui est signé
avec Liberty Media, c’est 100% la responsabilité de
la Dorna qui travaille main dans la main avec
l’IRTA et la FIM. Donc rien ne va changer dans la manière dont
le paddock va être géré, dans la manière dont les Moto3, Moto2,
MotoGP, éventuellement MotoE, fonctionnent. Ils ne vont pas
faire modifier les accès au paddock, et tout ce qu’on
entend, “C’est l’argent qui va couler à flot. Ça va n’être que du
business et du show“. Non, c’est faux ! La preuve, c’est que
la réglementation technique qui concerne 2027, ils n’ont
absolument pas eu droit de regard, et ça a tout été géré par
la Dorna avec le MSMA en priorité,
validé aussi bien entendu par la FIM et l’IRTA. Mais il n’y a pas
eu d’interférence, d’ingérence, de Liberty Media dans toutes ces
choses-là. Et là on est en train de préparer tout un tas de choses,
donc ils ne vont pas dénaturer l’esprit du MotoGP, ils ne vont pas
dénaturer l’esprit des Grands Prix.
Par contre, ils peuvent nous aider, parce que… »
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