L’époque est bien lointaine, où quelques journalistes spécialisés pouvaient essayer les 500cc d’usine puis les MotoGP en fin de saison. Aujourd’hui, on peut sans doute compter sur les doigts d’une main les pilotes à qui les constructeurs impliqués en MotoGP font suffisamment confiance pour prêter leurs petits bijoux. KTM l’a promis au rookie de l’année Moto2 Pedro Acosta, Suzuki l’a fait avec Gregg Black, pointe incontournable du trio champion du monde EWC 2020 et 2021 aligné par l’équipe Yoshimura SERT Motul !
Très gentiment, le pilote qui fait briller les couleurs de Suzuki en Endurance a bien voulu revenir en détail sur cette expérience unique, avant d’esquisser ce que devrait être son futur… Un grand Merci à lui !
Bonjour Gregg, il y a quelque temps, on a
découvert que tu avais essayé la Suzuki MotoGP GSX–RR à Motegi. Te
sens-tu autorisé à nous en parler un petit peu et à nous expliquer,
dans un premier temps, comment cela a été possible ?
Gregg Black : « Oui. J’ai
toujours espéré avoir l’occasion d’essayer une MotoGP. Aujourd’hui,
certains pilotes d’endurance sont des ex-pilotes de MotoGP, comme
mon coéquipier Sylvain (Guintoli), comme Xavier Siméon ou d’autres personnes comme
Randy de Puniet. Aujourd’hui,
je suis donc arrivé à un niveau où, pourquoi pas essayer une
MotoGP, pour essayer de voir la différence avec notre moto sur le
plan technique. J’avais donc fait une demande l’année dernière
auprès de Suzuki mais ça n’avait pas pu se faire à cause de la
Covid. Mais cette année, en discutant avec Suzuki et mon équipe, je
leur avais dit que s’ils avaient l’occasion de me faire essayer la
MotoGP, ça pouvait être sympa. Ils sont donc revenus vers moi et
m’ont proposé gentiment de faire un essai sur la moto à Motegi lors
du dernier jour de leur Test Team. Celui-ci travaille en parallèle
du team MotoGP, avec Takuya Tsuda au Japon et Sylvain Guintoli en Europe. Là, c’était un
test qui était prévu au Japon, avec Tsuda, et sur
la même journée il y avait aussi Yoshimura qui était présent avec
Kasuki Watanabe, mon
coéquipier. Ils m’ont donc proposé de faire une journée sur la moto
d’endurance pour apprendre le circuit et faire un programme de test
que j’avais à faire, ce que j’ai fait la première journée. La
deuxième journée, j’ai roulé la matinée sur la moto de l’EWC, puis
j’ai fait une trentaine de tours sur la MotoGP. »
À l’époque, c’est passé complètement inaperçu. C’était
quand ?
« C’était juste avant le Grand Prix de Thaïlande, de mémoire
les 18 et 19 octobre. »
Donc en fait, tu es allé au Japon exprès pour ça, pour
rouler sur la MotoGP ?
« Exactement (rires) ! »
Bien que tu sois un pilote de haut niveau, comment se
passe une telle découverte ? As-tu eu droit à plein d’explications
et de conseils avant de monter sur la moto et quelles ont été tes
impressions ?
« La moto, je la connaissais évidemment visuellement mais
c’était intéressant de pouvoir comparer cette moto. Le staff
technique m’a expliqué comment elle fonctionnait, avec les détails
techniques de la moto, que ce soient les boutons, le frein moteur,
le Traction Control, et ce qui est spécifique sur la moto,
c’est-à-dire principalement le Ride Height Device qui
abaisse la moto. Ils m’ont expliqué comment ça fonctionnait puis on
a fait les positions sur la moto. J’ai eu droit à ce que Sylvain
utilise, c’est-à-dire quelque chose de proche que ce que
Álex Rins utilise. Sur la
moto, ils ont mis les mêmes réglages que ceux que Rins a utilisés
deux semaines auparavant lors de la course à Motegi. Je savais donc
que j’avais la base qui fonctionnait et ils m’ont bien expliqué
comment la moto marchait. Bien sûr, on a un tout petit peu
d’appréhension car il faut faire attention, en sachant que les
grosses différences entre les deux motos sont avant tout les freins
en carbone, la puissance moteur et le Ride Height Device, ce qui
change beaucoup. J’avais hâte d’essayer car je pense que les MotoGP
aujourd’hui sont quand même plus faciles à piloter que les 500 GP
ou les premières MotoGP qui était hyper dures à piloter, très
violentes, qui guidonnaient tout le temps : ça brassait ! Là,
finalement, l’électronique est très proche de ce qu’on
utilise nous en endurance, même s’ils ont sans doute plus
de capteurs pour affiner un petit peu toute l’électronique et
rendre la moto un peu plus fluide et plus facile.
Après, effectivement, les freins ça freine plus fort, mais
c’est surtout que plus on freine et plus ça freine, alors
que nous c’est plutôt l’inverse : ça freine très fort,
mais plus ça chauffe et moins ça freine ! C’est vrai qu’à
cause de ça, les freins carbone ça change beaucoup, ce qui fait que
finalement on arrive avec 20 ou 30 km/h de plus à chaque freinage,
surtout à Motegi où il y a de grandes lignes droites, et on peut se
permettre de freiner au même endroit qu’avec la moto d’endurance
alors qu’on arrive plus vite. Ça, effectivement, on voit bien la
puissance du freinage : toutes les motos s’arrêtent mieux.
Après, le châssis, vu que ce sont des châssis de développement
prototypes, permet à la moto de tourner plus court : la
moto est plus précise et tourne plus court qu’une moto
d’endurance qui tourne un peu moins bien. On arrive donc à
mieux se placer pour l’accélération.
Concernant le grip de la moto, je dirais que les pneus
Michelin, comparés à nos Bridgestone, offrent un type de grip
similaire : pour moi, il n’y a pas une différence énorme
de ce côté-là. Je n’ai pas été surpris en me disant « la moto
est collée par terre » ou « il n’y a pas de
grip ».
Ce qui change, c’est à l’accélération, du fait de la puissance
de la moto. On ne sait pas forcément, mais elle fait peut-être une
cinquantaine de chevaux en plus, et en tout cas elle est plus
puissante, donc automatiquement ça accélère mieux. Et
surtout, ce qui permet de profiter de cette accélération, en
passant beaucoup plus de puissance au sol, c’est le Ride Height
Device qui baisse la moto automatiquement, ça fait que la
moto coupe beaucoup moins électroniquement parce qu’elle lève. Là,
comme elle lève beaucoup moins, elle coupe beaucoup moins et on
passe beaucoup plus de puissance au sol. Je dirais que sur les
rapports 1, 2, 3, la MotoGP est plus puissante que la nôtre mais
que la différence n’est pas énorme, sauf qu’on passe plus de
puissance au sol.
Après, là où on sent vraiment la différence, c’est sur les
rapports 4, 5, 6, car la moto est libre : on sent que la
moto ne s’essouffle pas et possède une aéro plus travaillée qui
fonctionne mieux. Si on met une personne lambda sur notre
moto, elle va dire que la moto est extra puissante, mais en réalité
nous on sent que sur les rapports 4, 5, 6, ça s’essouffle
légèrement. Avec la MotoGP, on sent une puissance constante sur
tous les rapports.
Et puis une chose qui reste quand même magique avec
cette moto, c’est la boîte seamless : ça, c’est vraiment
incroyable ! On dirait presque une boîte automatique, comme un
vario sur un scooter, tellement les rapports sont fluides. C’est
vraiment agréable à utiliser ! »