Après avoir évoqué l’arrivée surprise de Danilo Petrucci et les tests privés à Misano (voir ici), nous avons souhaité connaître quelles étaient concrètement déjà les conséquences précises de la crise pour une structure impliquée dans la compétition motocycliste.
Lors de notre passage à Bormes-les-Mimosas, les ateliers étaient en proie à une belle effervescence, principalement au niveau des MotoGP et des camions, mais que se cache-t-il réellement derrière cette activité en apparence normale ?
Hervé Poncharal, quelles ont été jusqu’à présent les conséquences de la crise sanitaire, au niveau de l’IRTA mais aussi au niveau de Tech 3 ?
Hervé Poncharal : « pour le championnat, on
voit maintenant mieux où on est et où on va. Il est certain qu’au
plus fort moment de la pandémie, on a tous fortement envisager le
scénario d’une saison blanche. Aujourd’hui, on a un calendrier qui
comprend au minimum 13 courses en Europe et on attend la fin
juillet pour savoir si d’aventure il y aura des courses outre-mer.
Pour l’instant, toutes les courses sont à huis clos, sans
spectateurs, sans médias et sans qui que ce soit, mais par contre
on sait qu’à partir de septembre, c’est-à-dire Misano et bien
évidemment le Mans, si jamais l’épidémie continue globalement de
baisser et de se calmer, il y aurait peut-être, je dis bien
peut-être, des possibilités qu’il y ait des spectateurs, même si ce
serait certainement en nombre limité. Les choses semblent évoluer
favorablement mais il y a déjà et il y aura des conséquences à
cette crise. Il est évident qu’en faisant 13 courses uniquement en
Europe alors qu’il y en avait 20 de prévues sur tous les
continents, cela a un impact financier. Les courses non faites
n’engendreront évidemment aucune rentrée d’argent, et les contrats
avec les sponsors et les usines seront à rediscuter, donc on va
attendre de savoir exactement combien il y aura de courses pour
voir comment se terminera la saison 2020, mais je pense que dans le
meilleur des cas, sur le plan financier, ce sera un quasi miracle
si on arrive à l’équilibre. »
« Sur le plan technique, on a vu que cette crise a engendré le gel
des spécifications techniques en MotoGP, en Moto2 et en Moto3
concernant les moteurs et l’aérodynamisme. Cela va nous permettre
de lisser sur deux saisons le coût de location des MotoGP, ou celui
d’achat dans les catégories inférieures. Cette décision a été
relativement facile à prendre et a été votée à l’unanimité par tous
les constructeurs. »
« Ce qu’on ne sait pas, et ce sont des conséquences qui vont vite
arriver, c’est comment cela va impacter la saison 2021, parce
qu’aujourd’hui on parle de 2020 mais il y aura quoi qu’il arrive
des répercussions en 2021. On va certainement perdre des sponsors
et ceux qui vont rester ne pourront sans doute pas investir les
mêmes sommes qu’au départ. Les constructeurs aussi vont souffrir :
au niveau des ventes, l’année 2020 et même l’année 2021 ne seront
certainement pas ce qui avait été prévu. J’espère également que les
organisateurs pourront tous répondre présents par rapport au
calendrier provisionnel 2021, mais tout cela, on le découvrira au
jour le jour, et pas seulement dans le domaine du MotoGP. Les
perspectives économiques et sociales pour la France, l’Europe et le
monde entier sont aujourd’hui difficiles à appréhender et à
prévoir. »
« Je pense qu’il y a eu un super travail de fait de la part de
toutes les organisations impliquées, que ce soit la FIM, la Dorna,
la MSMA et l’IRTA, pour pouvoir trouver des solutions pour courir
et faire un protocole qui a été accepté par les différents pays qui
vont nous recevoir en 2020. Mais aujourd’hui, il faut encore
attendre pour pouvoir bien appréhender l’ampleur de la crise.
»
Aujourd’hui, chez Tech3, y a-t-il déjà de telles conséquences, avec des sponsors qui ont déjà renoncé ?
« Oui ! Oui ! On a la chance, depuis le début 2019, d’avoir
moins de partenaires mais des partenaires plus gros. On a Red Bull,
on a KTM et on a ELF, du groupe pétrolier Total. On pense que ces
trois sociétés ont les reins suffisamment solides pour pouvoir
passer cette crise, donc on ne se fait pas un souci énorme quant à
la survie de ces entreprises avec lesquelles on a signé des
contrats de trois ans. Mais oui, de manière tout à fait logique, et
je l’ai parfaitement compris, on a perdu beaucoup de petits
partenaires. Je dirais qu’aujourd’hui cela représente de l’ordre de
12 ou 15 % du budget. Il y avait des partenaires financiers et des
partenaires techniques, et j’espère surtout que toutes ces sociétés
pourront continuer de survivre. En fait, on a quasiment perdu tous
nos petits partenaires en dehors des trois principaux que je viens
de citer. »
« Mais on a quand même eu la chance d’être basé en France ! On nous
dit toujours que c’est un handicap, mais aujourd’hui cela a plutôt
été une chance, parce qu’on a passé deux mois où on a pu faire le
dos rond grâce aux mesures gouvernementales. Tout notre personnel
n’est pas français mais une très grande partie l’est, et cela nous
a bien évidemment aidé. »
« Quant à savoir exactement quelles seront les conséquences pour
Tech3, il faudra attendre la fin de l’année 2020 pour pouvoir dire
comment 2020 va se terminer, puisqu’il y a déjà des discussions en
cours avec nos partenaires, et pour envisager 2021 où des signaux
orange clignotent déjà. De toute façon, personne ne s’en sortira
indemne ! »
Aujourd’hui, tout le monde a repris le travail chez Tech3 ?
« Quasiment. Tous les techniciens sont là et seuls les attachées de presse et le coordinateur ne le sont pas. Je les ai fait recommencer plus tôt que cela était nécessaire par rapport au calendrier qui nous fait commencer à Jerez, pour pouvoir aller rouler à Misano grâce aux concessions accordées. On a ainsi pu faire la maintenance des motos et les remonter intégralement avec les pièces revenues d’Autriche, et cela nous a pris une bonne semaine, et c’est une bonne chose de retrouver du monde à l’atelier, avec du bruit et de la joie de vivre, après avoir été tous les matins seul au bureau. Ça fait plaisir, car la vie reprend, chez Tech3 comme ailleurs. »
Le protocole qui a été élaboré au plus fort de la crise est donc logiquement très strict. À cause du nombre maximal de personnes admises sur le circuit, concrètement chez Tech3, allez-vous en laisser à la maison ?
« Ce qu’il faut savoir, c’est que quand il n’y a aucune restriction, le paddock tourne autour de 3000 personnes sur les courses européennes. Aujourd’hui, le protocole qu’on a signé vis-à-vis des autorités sanitaires des pays qui vont nous recevoir, le paddock Dorna-IRTA, c’est 1200 personnes pour les quatre catégories MotoGP, Moto2, Moto3 et MotoE, plus environ 400 personnes pour la gestion du circuit. En MotoGP, les écuries d’usine ont droit à 40 personnes et les écuries satellite à 25. Chaque usine a des techniciens de support pour leur équipe indépendante, ingénieurs moteur, acquisition de données, ou autre, qui font partie des 25, donc on dispatche et cela permet de ne laisser personne à la maison. Le team Tech3, que ce soit en catégorie MotoGP où Moto3, sera donc au complet, comme lors des courses normales. Dans ce domaine, cela ne nous impacte pas. Tout le monde sera là, excepté bien évidemment tout le staff qui gérait l’hospitality puisqu’il n’y en a plus à cause de l’absence des sponsors et des invités. »
Qui sont les 1800 personnes qui seront absentes ?
« Principalement dans les teams usine, beaucoup de gens du
marketing, les représentants et les invités des sponsors. Il y a
aussi les personnes qui travaillent dans les hospitalités, ce qui
est énorme. Par exemple, la grosse structure de réception Red Bull,
l’Energy Station, ne doit pas être loin d’employer une centaine de
personnes, entre celles qui la montent et la démontent, les
personnes en cuisine, le service, les gens qui vont faire les
courses tous les jours, etc. Au niveau de toutes les écuries du
paddock, cela fait donc vraiment beaucoup de monde. De même, quand
il n’y avait pas de limite, les pilotes avaient souvent leur petite
amie, leur aide, leur attaché de presse personnel, leur entraîneur
physique voire leur entraîneur mental, et ça pouvait aller jusqu’à
une dizaine de personnes autour d’un pilote, alors que pour le
moment une seule est autorisée. Quand on multiplie cela par le
nombre de pilotes MotoE, Moto3, Moto2 et MotoGP, ça fait beaucoup
de monde. »
« Chez Tech3, on n’a pas eu de réduction de staff parce qu’en tant
qu’équipe indépendante on a un budget qui n’a rien à voir avec
celui des usines et on est déjà au nombre minimum pour fonctionner.
»
« Globalement, on ne veut surtout pas avoir un show au rabais : il n’y aura pas de spectateurs mais le show, la préparation technique et le niveau d’exigence du pilote seront les mêmes que sur une course normale. Nous, on était déjà dans cette optique là, tout pour la performance et rien d’annexe, et c’est pour cela qu’on est moins impacté au niveau du nombre de personnes. Disons que dans le nombre de personnes qui devront rester chez elles, ils y en a beaucoup qui ne sont pas absolument essentielles pour le déroulement du MotoGP : dans certaines usines, il y a une quinzaine de personnes pour les relations presse et le marketing ! »
La période est assez difficile mais la compétition arrivera-t-elle à vous faire au moins momentanément oublier cela dès la première course à Jerez ?
« Cela fait plus de 30 ans que l’on existe et l’on a vécu des saisons plus ou moins faciles et des intersaisons plus ou moins compliquées, mais quand on arrive sur un circuit et que les motos sortent pour la FP1, il n’y a plus rien d’autre dans la tête ! On regarde les partiels tour après tour pour savoir où on se situe, et on oublie tout le reste. C’est vrai qu’on a tous pris un gros coup sur la tête, mais maintenant on est tous très excité car on va découvrir quelque chose de nouveau, comme par exemple commencer en juillet à Jerez avec des températures incroyables. On va avoir un championnat où il y aura beaucoup de Grands Prix avec deux courses deux week-ends de suite sur le même circuit : c’est quelque chose qui n’a jamais existé et qui peut être intéressant, comme une partie et sa revanche. Je pense donc que tout le monde est très soulagé et content de voir que la persévérance a fait que l’on aura des courses cette année. C’est sûr que les conditions de travail vont être compliquées et que l’atmosphère particulière du paddock va nous manquer. Malheureusement, de manière tout à fait compréhensible et que l’on supporte à 100 %, les échanges vont être réduits : on sera obligé de rester dans le box, on n’aura pas la possibilité d’échanger avec les autres équipes ou les gens qu’on apprécie, il faudra aller directement dans notre hôtel le soir en sortant du paddock sans avoir la possibilité de faire un tour, etc. Il y aura donc des choses qui vont nous manquer et qui risquent d’être frustrantes, surtout quand on va rester 15 jours sur un circuit en ayant uniquement la possibilité de faire circuit–hôtel, hôtel–circuit, mais je pense qu’il ne faut surtout pas se plaindre de ça, car cela aurait pu être bien pire. Ce sera donc différent, l’ambiance sera sans doute un petit peu pesante et tristounette, mais je suis persuadé qu’on va avoir des courses incroyables car il va falloir dégainer tout de suite et être tout le temps là. Les courses vont s’enchaîner, donc il va falloir pousser en faisant attention à ne pas prendre trop de risques parce que le moindre résultat blanc aura des conséquences beaucoup plus importantes sur 13 courses que sur 20 ou 21. Il n’y aura pas de temps de récupération physique, que ce soit pour la fatigue ou une éventuelle blessure, et c’est quelque chose qui va beaucoup compter aussi. Il va donc falloir avoir une condition physique incroyable et un mental très très fort. Pour répondre à certaines interrogations ici ou là, je pense que le titre MotoGP 2020 sera obtenu par un super champion qui aura su faire face à des circonstances inédites et très difficiles. Je suis persuadé que le titre couronnera un super champion, c’est clair, et je suis très impatient d’être à la première course ! »