Interviewer Hervé Poncharal après les essais MotoGP à Sepang n’aurait pas eu beaucoup d’intérêt, puisque cela aurait fait l’impasse sur les trois jours de test qui se sont achevés sur le nouveau tracé de Mandalika, en Indonésie.
Mais à moins de trois semaines du début de la saison 2022, il nous a semblé important de recueillir le bilan du patron du team Tech3, non seulement en ce qui concerne son équipe qui aligne les rookies Raúl Fernández et Remy Gardner, mais aussi plus globalement pour KTM, avant, cerise sur le gâteau, de recueillir la pensée de ce qu’un professionnel plus qu’expérimenté du paddock anticipe pour la saison 2022…
Cette interview est donc publiée en trois parties bien distinctes.
Hervé Poncharal, au final, après une belle entame les
essais en Asie se sont terminées de façon un peu frustrante pour
votre équipe, surtout avec la chute de Raúl Fernández…
Hervé Poncharal : « Oui. À Sepang on était
beaucoup plus proche, à une seconde, mais si tu regardes la feuille
de classement de Mandalika, c’est le cas. Après des essais comme
ça, il ne faut pas se focaliser sur la feuille de temps, car
beaucoup de pilotes n’ont pas fait de time attack le dernier jour,
chez nous mais aussi Bagnaia, Miller et même Marc Márquez. La
feuille représente le time attack sur un tour et je ne dis pas que
ça ne représente pas une hiérarchie : c’est important, et notamment
Fabio en a beaucoup parlé pour les qualifications, et Pol aussi,
mais ça ne reste qu’un time attack. Ce qu’il faut aussi regarder,
c’est la performance moyenne, avec les pneus de course, avec les
pneus usés, etc. Donc je pense sincèrement que notre position, et
celle de KTM en général, et certainement un peu meilleure au niveau
de la parité technique et de la situation de performance que la
feuille de temps de Mandalika dimanche soir ne le montre.
Maintenant, comme je l’ai toujours dit, les médias, les
journalistes, les autres équipes dont nous, n’ont pas grand-chose
sur quoi se baser pour faire des comparatifs. »
On peut quand même relativiser la feuille des temps en
regardant les simulations de courses qui ont été faites, et dans
lesquelles on voit par exemple que Miguel Oliveira s’en sort vraiment
très bien…
« L’année dernière, Petrucci a
toujours dit qu’il n’arrivait pas à améliorer ce qu’il aurait dû
améliorer quand on passait deux pneus tendres neufs en fin de
séance, et il faisait quasiment les mêmes temps qu’avec le médium.
Il avait donc un problème à extraire le potentiel des pneus
tendres. Iker y arrivait un peu mieux, mais malgré tout on a vu
aussi que Binder faisait souvent des qualifications moyennes, pour
ne pas dire moins que moyennes, et Miguel s’est rarement qualifié
super bien aussi.
Donc si on prend l’exemple de Binder, qui est le pilote KTM le
mieux placé au championnat puisqu’il finit sixième, il a fait
beaucoup de superbes remontées ! Iker en a aussi fait une superbe à
Silverstone. Donc on a un peu de problème dans ce domaine : alors
est-ce que c’est les pilotes, on verra, est-ce que c’est la machine
? On a un peu de problème à faire vraiment claquer des chronos, à
la différence de certaines autres machines. C’est peut-être dû aux
profils des pilotes que l’on a : c’est toujours très compliqué à
vraiment mettre le doigt là-dessus.
Ton analyse est donc bonne et met justement en exergue ce que
j’étais en train de te dire. Mais il ne faut pas se trouver des
excuses, dire que la mariée est plus belle que ce qu’elle est en
réalité ou aller contre l’évidence en disant qu’on est les
meilleurs mais que tous les éléments se sont ligués contre nous :
Non ! Non ! Non ! Il faut être objectif et accepter la réalité des
faits. Par contre, malgré tout, comme je le dis depuis plusieurs
années même s’il n’y a pas trop de solutions non plus, un pilote ce
n’est pas une machine, ce n’est pas un robot ! Surtout quand il est
jeune et qu’il découvre la catégorie.
Évidemment, les rookies veulent rouler le plus possible car ils
veulent apprendre la catégorie, les pneus, les freins,
l’électronique, la puissance supplémentaire, etc. Donc depuis un
certain nombre d’années on a ouvert le fameux shakedown aux
rookies, et de façon annexe aux usines qui avaient des concessions,
ce qui est très bien parce que cela fait plus de roulage. Par
contre, on s’est retrouvé en arrivant à Mandalika avec deux pilotes
plus ou moins fatigués. Pour en avoir parlé un petit peu et avoir
vu les commentaires, je pense que les autres étaient un petit peu
dans le même état. Di Giannantonio a manqué deux jours à Sepang
parce qu’il ne se sentait pas bien. Ils étaient tous plus ou moins
fatigués, et il faut le reconnaître, les nôtres étaient moulus
!
Remy avait en plus sa problématique de fracture au poignet droit.
C’est clair que quand on arrive à Mandalika, c’est très important
car c’est un nouveau circuit différent pour apprendre. Mais le
premier jour il y a eu la problématique de la piste, sale, humide,
boue, nettoyage, etc. Le deuxième jour, c’était beaucoup mieux,
notamment pour Raul qui a évolué toute la journée dans le top 12 ou
13 jusqu’à ce que tout le monde fasse le time attack et qu’il
subisse sa première chute en fin de journée. Cela a été une chute
assez lourde et même s’il est allé à la clinique mobile où on lui a
dit qu’il n’y avait pas de problème pour le lendemain, et qu’il a
passé une bonne soirée et une bonne nuit, il a connu une toute
petite chute de rien le lendemain au bout de six tours avant de
revenir au box et de faire monter deux pneus neufs pour repartir.
Il est reparti et il a fait « out lap » puis
« in ». Il est rentré et il a dit qu’il était trop
fatigué et n’arrivait pas à bien cerner ses repères, et que tout
était un peu flou. Il est allé à la clinique mobile où ils ont fait
deux ou trois tests de réflexe avant de lui dire de laisser tomber.
Il a passé la journée à regarder et il n’a pas de problème
particulier, mais c’est plus une grosse fatigue qu’autre chose.
C’est comme ça.
Maintenant, les pilotes disent ça mais je suis persuadé que
quand on rediscutera des essais hivernaux en septembre octobre de
l’année prochaine, les usines vont pousser pour avoir le maximum de
jours possibles, parce qu’il y en a de moins en moins, et c’est
vrai que sans le shakedown il n’y a que cinq jours. C’est très bien
qu’il y ait le shakedown, mais le shakedown est quand même avant
tout pour les test teams avec leurs pilotes d’essais, mais je sais
très bien que tous les rookies seront en passe de monter en MotoGP
en 2023 pousseront pour avoir plus de jours. Et les usines et les
teams qui les embauchent vont pousser pour en avoir plus. Et c’est
logique ! Sauf que quand tu leur donnes ce qu’ils ont demandé, à la
fin ils disent que c’est un peu trop et qu’ils n’en peuvent plus,
ils sont fatigués et qu’ils n’arrivent plus à se concentrer.
L’équilibre et la vérité sont toujours au milieu : il ne faut pas
rouler trop peu et il ne faut pas rouler trop non plus. Le
problème, c’est que l’interdiction de rouler comprend
décembre/janvier, donc tu ne peux pas rouler avant février, alors
que le début du championnat est début mars puisqu’il y a 21 courses
maintenant. Donc la fenêtre de test, c’est uniquement le mois de
février, et automatiquement c’est très ramassé puisqu’il faut
renvoyer le fret de Malaisie en Indonésie puis au Qatar. En plus,
ce sont quand même des essais et normalement après la dernière
séance les usines valident ou invalident toutes les choses qu’elles
ont testées, et il leur faut un peu de temps pour tout préparer et
l’envoyer au Qatar.
Ce n’est pas facile mais la règle
est la même pour tout le monde, donc on ne se plaint pas, même si
c’est clair que huit jours pas consécutifs mais pas loin, c’est
beaucoup de fatigue physique et mentale aussi. En MotoGP, chaque
pilote a deux motos, donc il roule beaucoup plus qu’en Moto2 ou en
Moto3. Il y a beaucoup plus de gens autour de toi qui posent plein
de questions pointues et, après avoir donné le maximum sur la
piste, il faut bien réfléchir pour apporter des réponses
pertinentes afin de ne pas partir dans une direction qui ne serait
pas pertinente. Pour un jeune pilote de 22 ans, c’est beaucoup de
choses à apprendre, donc chapeau à tous les cinq rookies, mais le
premier bilan des essais, c’est ça : c’est une période très
compliquée et très importante, avec un élément supplémentaire pour
les nouveaux pilotes qui arrivent dans un nouvel
encadrement.
Raúl le met sans arrêt en avant, il apprécie d’avoir une
ambiance compétitive mais familiale, avec un gros support humain et
une complicité. Il prend le petit déjeuner avec son équipe, tout
comme le dîner, et ça on peut surtout le faire pendant les essais
hivernaux où on est ensemble pendant longtemps et on partage
beaucoup de choses. Cet état d’esprit d’équipe se crée pendant les
essais hivernaux, et là je pense qu’on a fait un super boulot, y
compris avec Remy qui est de toute façon super facile et qui
connaît déjà beaucoup de l’équipe Tech3 pour avoir déjà bossé avec
lui en Moto2. Et pour Raúl , il est super heureux et il m’envoie
sans cesse des mots pour me dire que l’équipe est fantastique que
les gars sont géniaux. C’est d’autant plus important que maintenant
on va commencer le championnat et on va se retrouver a beaucoup
plus de pression et de tension. Les pilotes vont être beaucoup plus
happés par les obligations marketing et médiatiques, ils auront
moins de temps à passer avec leur équipe, donc tout ce
qu’on aura construit de relationnel sera très important et n’aura
pu se faire que durant ces essais là. »
A suivre…