Nous n’irons pas jusqu’à dire que cette interview pourrait constituer un cadeau de Noël, quoique, mais il est rare qu’un entretien contienne autant d’éléments intéressants, pour peu que l’on sache lire un tant soit peu entre les lignes.
Guy Coulon, qui a terminé la saison 2020 avec un magnifique « hat trick » (pole position, meilleur tour en course et victoire) à Portimão après une première victoire en Autriche, nous a fait le plaisir de nous accorder un peu de temps, entre une séance de fraisage et un déstickage de camion. Dans l’atelier Tech3 de Bormes-les-Mimosas, l’homme est toujours à 100 %, aussi considérons-nous cela comme un privilège que nous vous partageons avec plaisir.
Au moment où le fidèle associé d’Hervé Poncharal a décidé de lever un peu le pied après 50 ans passés sur les circuits, et il nous précisera sa vision du futur, celle de la saison 2020 est, disons, un peu plus épicée que d’habitude ! On ne va certainement pas faire la fine bouche…
Guy Coulon, l’année
dernière à la même époque, vous nous avez déclaré vos objectifs
pour 2020 : « Avec Miguel, il faudrait être autour de 12e
tout le temps. Ça veut dire être régulièrement entre la huitième
place et la 15e place, et marquer des points à chaque course. Mais
pour cela, il faut mettre un paquet de bonnes motos et de bons
pilotes derrière nous. »
Avec deux victoires pour Tech3 et Miguel Oliveira, on peut
dire que ceux-ci ont été plus que largement atteints…
Guy Coulon : « Oui, je pense que l’on a atteint les objectifs puisque Miguel finit neuvième au championnat, ce qui est mieux que la 12e place visée. L’an dernier, on avait du mal à être dans les points, donc l’idée était d’être dans les points tout le temps cette année, effectivement entre 12 et 15e. Mais ça, c’était avant que l’on teste la nouvelle moto, donc forcément, on ne connaissait pas son potentiel, qui s’est révélé bien au-delà de la progression que l’on pouvait imaginer. Pour bien comprendre, on roule quand même depuis longtemps en moto dans cette catégorie là, donc on connaît à peu près les progressions possibles. Mais là, la progression entre 2019 et 2020 a été sans commune mesure par rapport aux progressions qu’on a connues les 20 années précédentes. »
Pourtant, extérieurement, on n’a quasiment vu aucune différence entre les motos 2019 et 2020…
« (Long silence) Mmmmm… c’est parce qu’on a très peu souvent enlevé le carénage ! »
Sans trahir de secrets, peut-on savoir dans quels domaines la moto a-t-elle particulièrement évolué ?
« Le moteur, c’était le même, à une évolution de gestion
près. De toute façon, ça ça évolue quasiment de course en course,
mais le moteur était le même. Par contre, la façon de fabriquer le
châssis est radicalement différente. Mais il est toujours en acier,
et il est toujours orange, pour suivre les directives du boss
!
Les suspensions ont également progressé mais elles étaient déjà
bonnes, donc elles ont progressé comme ça progresse tous les ans
chez tout le monde. L’aérodynamique a également progressé.
En fait, on en parlait justement ce soir avec mes collègues, en
cours de saison on n’a pas eu à toucher au moteur, au cadre, au
bras oscillant, à l’aéro, etc. Sur le déroulement de la saison qui
a été extrêmement rapide et très concentrée, on n’a fait que de
l’exploitation : on n’a pas changé de type de carénage, on n’a pas
changé de moteur, on n’a pas changé de bras, on n’a pas changé de
link de suspension. C’est la même moto !
Parce qu’elle est quand même assez nouvelle, et le temps qu’on
la découvre, il y a déjà des choses à faire, et comme on a toujours
été mieux à la deuxième course qu’à la première course quand il y
en a eu deux, ce qui veut dire qu’on ne l’a pas utilisée à fond, en
tout cas à la première. Mieux on roulait, mieux c’était, et on a
plus de compréhension maintenant qu’en début de saison. »
Sur la piste, cela s’est traduit par des améliorations dans quels domaines ?
« Au niveau châssis, la moto a progressé sur ce qu’on avait
demandé en priorité, c’est-à-dire sur le poids. Elle est passée
d’un excédent de poids important à être en dessous de la limite de
poids, donc on doit maintenant la lester pour être au poids
réglementaire. Donc ça, déjà, c’est du gratuit partout !
Ensuite, le deuxième point qu’on a demandé concernait la
vitesse d’exécution des opérations de réglages. C’est passé de très
très lent à rapide ! Avant, il y avait pas mal d’opérations de
réglages qu’on ne pouvait pas faire durant une séance, donc tu
attendais la fin de la séance pour essayer à la séance d’après.
Mais comme les conditions changent toujours un peu, c’était
compliqué à interpréter et ça prenait beaucoup de temps, alors que
là, le temps du débriefing du pilote en trois minutes, on peut tout
faire : l’axe de bras, la colonne de direction, et tout ce dont tu
as envie, tout ça se fait très rapidement. Donc au lieu d’attendre
pour faire un réglage à la séance d’après, tu le fais au run
d’après et tu as ta réponse tout de suite. Et ça, c’était
primordial !
Et puis, indépendamment de ça, les ingénieurs ont vraiment
bien travaillé sur les gènes de la moto : elle s’arrête bien, elle
tourne bien, il y a de la traction… C’est une bonne moto !
Avant, elle était physique, car elle était lourde à changer de
direction. L’an dernier, on avait parfois du mal à finir les
courses au niveau du pneu, alors que cette année on n’a jamais eu
de problème pour finir les courses : on a toujours eu des usures
raisonnables et maîtrisées. Aussi parce qu’on a pu l’adapter assez
bien au pneu (arrière) Michelin de cette année.
Dans ce domaine, il y a deux choses. Il y a des gens qui disent « les pneus Michelin ne sont pas faits pour notre moto », ce qui est faux puisqu’ils ne sont faits pour aucune moto. Ils sont comme ils sont, alors ou tu dis « ils ne sont pas bien pour notre moto » ou tu dis « il faut qu’on adapte notre moto à leurs caractéristiques ». Et c’est ce qu’on a fait, et c’est ce que d’autres ont fait, et c’est ce que d’autres n’ont pas bien fait ou n’ont pas cherché à faire ! Par exemple, bon c’est un autre domaine mais qui se rejoint : on est arrivé à Aragón-1 et les quatre KTM n’ont vraiment pas été performantes. Et comme elles avaient bien marché aux autres courses, on aurait pu dire « ah, ce n’est pas un circuit pour nous, c’est pas un circuit pour les KTM » ! Au lieu de ça, on a mis un plan d’attaque au point, avec Sebastian Risse, Mike Leitner et les quatre chefs mécaniciens, en se disant qu’il fallait faire mieux que la première semaine. On avait donc le lundi et le mardi pour réfléchir, donc on a réfléchi à la question. On a tous réfléchis de son côté puis on confronté nos résultats et on allait tous globalement dans la même direction, mais avec des idées un peu différentes. Et comme on a les quatre mêmes motos, ce qui est une bonne chose, on a décidé que tel pilote irait essayer cette direction, que tel pilote irait essayer cette variante là, etc. Après, on a tout rassemblé et tout recentré sur ce qui allait le mieux. Résultat, la semaine d’après, avec les mêmes températures au sol, les mêmes pneus, la même moto, les mêmes pilotes les mêmes adversaires, on est passé de 16e à 5e ou 6e, avec nos deux motos dans les cinq ou six premiers. Uniquement sur les réglages embarqués qu’on avait de disponible et sur la compréhension des problèmes. Si on s’était contenté de dire « le circuit n’est pas fait pour nous », on serait resté autour de la 15e place.
Parce que des motos qui ne sont pas faites pour ci et pour ça, j’y crois de moins en moins. Que tu ne saches pas t’en sortir ou que tu n’y arrives pas, oui, mais que les pneus soient faits pour Ducati, pour Yamaha, etc. je n’y crois pas un seul instant ! Les pneus ont leurs caractéristiques, et il y en a qui s’en sortent mieux que d’autres pour les exploiter. Je pense aussi qu’on a la chance d’avoir chez KTM une stratégiste pneus pour les quatre pilotes qui est exceptionnellement forte ! En général, avant la première séance, elle peut déjà faire une prédiction sur les pneus qui seront utilisés en course, parce qu’elle a une connaissance et suffisamment d’infos pour avoir des bonnes idées. Et en fin de saison, elle pouvait prévoir l’usure du pneu à gauche et à droite, et à la fin de la course, on était seulement à quelques pour cent de ses prévisions. Donc on savait ce qu’on devait mettre ou pas, et c’est important. Je ne vous dirai pas son nom car je ne souhaite pas que les autres la contactent (rires). »