Michelin est devenu le fournisseur unique des pneumatiques de la catégorie MotoGP en 2016, et a annoncé le prolongement de cette exclusivité lors du dernier GP d’Australie jusqu’en 2023 inclus. A la mi-saison, nous avons fait le point avec Piero Taramasso, le Manager Deux-roues de Michelin Motorsport.
La notion de pneus « durs » ou « tendres » a complètement évolué au cours de ces dernières années, et il est de plus en plus difficile de s’y retrouver pour les amateurs de MotoGP. Quelle est l’évolution dans ce domaine ?
« Nos ingénieurs et nos chimistes travaillent toujours sur des mélanges tendres, médiums et durs qui ont des caractéristiques très différentes. Avec un mélange tendre, il y a plus d’adhérence, mais normalement souvent une usure plus rapide, et donc les temps au tour se dégradent plus vite. Ce sont des pneus qui conviennent pour des pilotes qui ne les sollicitent pas trop, sur des motos qui sont bien équilibrées, avec une bonne répartition des masses et de bons réglages au niveau des suspensions. Ça fonctionne très bien quand il fait froid, mais parfois aussi quand il fait chaud car ça dépend également du revêtement de la piste et de l’agressivité de l’asphalte.
« Le dur, à l’opposé, est un mélange plus rigide qui fonctionne pour des températures un peu plus élevées, et pour des revêtements plus abrasifs. Il est destiné aux pilotes qui ont un style plus agressif, qui sont tout le temps à l’attaque et qui sollicitent beaucoup les avant ou les arrière. Il a un peu moins d’adhérence qu’un tendre, mais en revanche il est plus stable, donc les temps au tour qu’il permet de réaliser peuvent être identiques du premier au dernier tour. On peut ainsi faire des temps constants, mais également obtenir de la stabilité. La moto est mieux calée, plus stable, alors qu’elle aura plus tendance à bouger avec un pneu tendre. Le mélange tendre chauffe un peu plus et donne donc du mouvement à la moto. Or certains pilotes détestent ça. Ils n’aiment pas du tout quand la moto bouge, même s’il y a plus d’adhérence. Ils préfèrent utiliser un pneu dur qui a moins d’adhérence, mais qui est plus stable. Avec cette sensation augmentée de stabilité, ils se sentent mieux.
« Il reste le médium, qui est entre les deux. Il n’a pas l’adhérence d’un tendre, mais son grip est meilleur que celui d’un dur. Il est entre les deux également au niveau de la stabilité. Il doit convenir à tout le monde. En fait, nous essayons de faire un pneu médium que chacun puisse utiliser. Ensuite, ceux qui ne sont pas gênés par les mouvements et qui ont des motos bien réglées peuvent passer un tendre pour avoir plus d’adhérence. Ceux qui n’arrivent pas à bien régler leur moto avec un médium, ou dont le style de pilotage trop agressif abime le médium, passent au dur. Avec cette façon de faire, nous sommes certains que chacun peut trouver ce dont il a besoin. C’est aussi pour cela que souvent la composition des podiums est variée, avec parfois Honda, ou Yamaha, Ducati ou Suzuki. C’est ce que nous faisons depuis le début et c’est ce que nous continuerons de faire dans le futur.
« Cette année, il y a eu des changements qui ont généré des incompréhensions et des malentendus. Lors des essais hivernaux qui ont eu lieu à Sepang, à Buriram et au Qatar, on a développé une nouvelle technologie de mélange tendre. Tous les pilotes ont choisi ce mélange arrière tendre pour la course du GP du Qatar. Il se trouve que ce pneu dispose de l’adhérence supplémentaire d’un pneu tendre, mais il est aussi constant qu’un médium, et parfois même qu’un dur. Il peut faire la distance de la course sans que les temps au tour ne se dégradent et sans avoir une usure excessive.
« C’est pour ça que parfois tu entends des pilotes qui disent « j’ai pris le tendre parce qu’il est plus dur que le dur ». Mais non, en fait c’est inexact. Le tendre peut être aussi constant qu’un pneu dur ou médium. C’est ça qui se passe. Nous on l’a fait pour avoir le même niveau d’adhérence, mais avec une meilleure durabilité et moins d’usure. Il fonctionne vraiment bien, donc il y a désormais beaucoup de pilotes qui auparavant roulaient avec des durs et qui maintenant utilisent des tendres.
« Il ne faut pas oublier non plus que les motos ont évolué, et il est donc difficile d’établir des comparaisons avec la saison précédente. De plus, cette année nous avons roulé sur plusieurs circuits avec des revêtements neufs, comme Barcelone, l’Argentine et Jerez, ou Austin où ils avaient raboté l’asphalte, et le nouveau revêtement du Mans date de l’an dernier. Sur ces pistes où il y a beaucoup d’adhérence, le tendre fonctionne très bien car comme il y a du grip, il patine moins qu’un médium ou un dur. Donc à la fin il s’use moins ! Parfois, ça perturbe un peu… »
Vous amenez sur chaque Grand Prix un nombre important de pneumatiques pour pouvoir faire face à toutes les situations. Dans un pays lointain, comme par exemple l’Argentine, que faites-vous le dimanche soir des pneus neufs non utilisés ?
« Nous amenons 1 400 pneus à chaque Grand Prix comprenant toutes les spécifications. Après la course, il y en a une partie qui rentre en Europe par avion en containers. On peut aussi en amener sur le GP suivant, car cette année on utilisait par exemple les mêmes spécifications pour Austin, qui suivait immédiatement l’Argentine. »
Comment avez-vous fait pour sauver la situation en Allemagne quand la température de la piste s’est retrouvée à 46° pour la course (contre 26° par exemple l’an dernier, ou 24° en 2016) ?
« C’est vrai que cette année c’était difficile. Dès le premier roulage du vendredi, on a vu que la température était très élevée (ndlr : 35° pour la piste en FP2). On avait prévu un large choix car on sait qu’au Sachsenring il peut faire très froid, mais aussi très chaud. Dans la configuration de la piste, il y a beaucoup de virages à gauche, et donc –comme à Phillip Island – même si la piste est fraîche, la température des pneus s’élève énormément. Donc déjà, d’office on amène des mélanges qui sont résistants à la température. Même avec 25° au sol, quand tu enchaînes consécutivement les virages à gauche 5, 6, 7, 8, 9 et 10, tu y passes plus de 35 secondes continues sur l’angle gauche, et là tu prends des températures énormes. Donc on avait anticipé ça. Il faut préciser également que les teams ont bien travaillé au niveau des réglages comme de l’anti-patinage (traction control) et ça a beaucoup aidé. »
Chaque dimanche après-midi de Grand Prix, vous vous trouvez avec des conditions d’adhérence totalement nouvelles car les courses Moto3 et Moto2 ont laissé des dépôts de gomme de l’autre fournisseur (Dunlop). Comment faites-vous pour vous adapter à cette situation ?
« On ne peut pas faire grand-chose pour s’adapter car on utilise les mêmes pneus que le vendredi et le samedi, qui roulent le dimanche dans des conditions différentes. Il est vrai que parfois on ne dispose pas d’explication technique car c’est la même température, le même pneu, la même pression, le même revêtement. La seule chose qui change, c’est qu’il y a eu les courses Moto3 et Moto2. Pour le moment, on ne sait pas quoi faire pour l’anticiper, parce qu’on ne retrouve pas partout cette situation. On la trouve sur certains circuits, mais pas sur d’autres.
« Les teams qui sont là depuis longtemps nous ont dit qu’avec le manufacturier qui nous a précédé (ndlr : Bridgestone) il y avait le même problème. C’était la même chose, et actuellement nous n’avons pas encore de solution, nous analysons et essayons de comprendre ce qu’il faut faire, mais pour le moment nous n’avons pas encore trouvé. »
Dans l’ensemble, Michelin est-il satisfait de son retour en MotoGP, tant sur le plan technique que marketing ?
« Oui, nous sommes contents. Déjà parce que la MotoGP est très suivie, et de plus en plus chaque saison. Nous sommes présents dans des pays où la visibilité de notre marque est très importante, comme l’Amérique du Sud, l’Australie et l’Asie.
« Au niveau technique, ça nous a permis de développer beaucoup de choses très rapidement. Pendant la première saison, nous avons beaucoup développé notre pneumatique avant, des profils et des carcasses. On a trouvé des solutions qui fonctionnent bien aujourd’hui. On a notre nouvelle technologie avec plus d’adhérence mais moins d’usure. On va ensuite essayer de transférer ces progrès aux pneus commercialisés le plus vite possible.
« Tous les pilotes sont contents et nous demandent de ne pas changer les pneus. Ils nous disent « maintenant vous êtes arrivés à un bon niveau, on a un bon feeling avec l’avant et un bon grip avec l’arrière. Ne changez rien parce que ça fonctionne bien ». Pour nous c’est très valorisant. Le fait que Dorna ait voulu signer avec nous jusqu’en 2023 prouve qu’ils ont confiance en nous. Donc on voit qu’on travaille dans la bonne direction et que tout le monde est content : les pilotes, les teams, les organisateurs… et nous aussi ! »