Jacky scrute toujours attentivement les performances de tous les pilotes dans toutes les catégories, et entretient depuis longtemps des liens étroits et approfondis avec la plupart des techniciens du paddock.
Nous avons fait appel à son expérience et son sens de l’observation pour faire le point sur les Championnat du Monde Grands Prix et Superbike. Voici aujourd’hui la première partie concernant les GP.
Penses-tu qu’il ait eu une seule personne sur terre qui ait prévu la progression météorique de Fabio Quartararo, y compris Fabio lui-même ?
« Non, je pense que tout le monde a été complètement surpris. Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un qui puisse dire aujourd’hui qu’il s’y attendait. Il a montré de très belles choses lors de sa dernière année en Moto2 chez Speed Up, en gagnant deux Grands Prix, même s’il a été déclassé de Motegi. Il a également terminé deuxième d’une très belle course à Assen. Mais on ne pouvait pas imaginer qu’il allait faire autant d’éclat en MotoGP, c’est évident. Ça a été une très belle surprise. »
La saison de Johann Zarco a semblé compliquée, avec un échec chez KTM, un bon sauvetage chez Honda, un refus d’être pilote-essayeur chez Yamaha, et enfin un contrat avec Ducati pour aller chez Avintia avec une Desmosedici 2019. Que t’inspire une telle complexité ?
« Zarco était très mal à l’aise avec cette KTM qui ne lui convenait pas du tout. Dès le début de la saison, il n’avait qu’une obsession : c’était de trouver une solution pour arrêter. Ça le minait totalement. Il a été trop rapidement en difficulté avec cette moto. Il suffisait de voir son visage à la télé pour se rendre compte à quel point il était mal. »
« A un moment donné, en Autriche, il est allé voir les patrons de chez KTM pour leur dire qu’il ne pouvait pas continuer. On l’a ensuite senti beaucoup plus soulagé, tant et si bien que je pensais qu’il allait faire malgré tout une belle fin de saison avec cette moto, étant donné qu’il était libéré de ce poids qu’il avait sur l’estomac. »
« Malheureusement en Angleterre il a chuté en emmenant
avec lui Oliveira, alors qu’il
était en train de faire une remontée intéressante. Après tout s’est
envenimé et KTM a préféré arrêter avec lui. »
« Il a eu cette proposition de Yamaha qui était intéressante
car il entrait dans une usine structurée pour mettre au point les
motos. Mais lui, ce qui l’intéresse, c’est de courir, et là il
n’aurait eu qu’une ou deux wildcards, au mieux. Je pense que ça l’a
un peu découragé. »
« Il voulait absolument courir et l’opportunité s’est
présentée avec Lucio Cecchinello dans une des écuries les plus
sympathiques du paddock. On imaginait que Lorenzo allait partir, et
je voyais alors plus Nakagami rejoindre Marc Márquez au sein
du team d’usine. On en a beaucoup parlé et puis le lapin est sorti
du chapeau, et Álex Márquez a pris
la place. »
« Du coup Zarco s’est retrouvé à pieds, et il y a eu ensuite à Valence une très longue discussion avec les responsables de Ducati (Gigi Dall’Igna en premier) pour aller chez Avintia, une proposition que Johann avait précédemment refusé. La confirmation que Ducati lui fournirait du personnel et un suivi de sa moto l’ont fait changer d’idée. Comme il l’a dit lui-même, il signe plus avec Ducati qu’avec Avintia. »
« Pour conclure, oui c’était complexe, on avait rarement vu ça, mais Zarco est un garçon entier, un garçon honnête. A un moment il s’est trouvé mal, et il a cherché une opportunité pour pouvoir continuer et surtout rester en MotoGP ».
De quelle manière l’arrivée d’Álex Márquez au sein de l’équipe officielle Honda avec son frère Marc en MotoGP va-t-elle changer les choses ? Il n’y a pas de rookie d’habitude dans le team HRC.
« Si on reprend l’historique, l’année dernière on s’est
demandé ce qui allait se passer dans cette équipe avec deux grands
champions comme Marquez et Lorenzo. Et puis on a vu !
»
« Álex Márquez est un pilote qui met plus de temps à
concrétiser, et il parait donc difficile d’envisager qu’il puisse
rivaliser avec les meilleurs pour sa première saison. Ça va être
une grande année d’apprentissage pour lui. Mais il peut aussi y
avoir une surprise, une révélation… »
…comme dirait El Diablo…
« Et après tout, qui sait ? On ne sait plus, avec cette catégorie MotoGP ! Il est bien là maintenant avec son frère. Je pense que ça va peut-être animer la colère de Crutchlow qui voyait bien la place pour lui (rire). »
« Marc va continuer à dominer cette catégorie de façon outrageante et Álex va apprendre au fur et à mesure auprès de son frère. Évidemment il a quand même une vraie pression parce qu’il est dans le team d’usine HRC. Il aurait mieux fallu qu’il soit chez Lucio Cecchinello pour apprendre un peu plus tranquillement, si je puis dire. Álex est un garçon sérieux, besogneux, et particulièrement sympathique également. On peut lui souhaiter le meilleur. »
Sur quelle autre moto que la Honda Marc Márquez aurait-il pu être Champion du Monde cette année ?
« Je crois qu’avec n’importe quelle moto, il serait au moins sur le podium. L’Aprilia est une moto moins compétitive, moins homogène, qui lui donnerait certainement plus de difficulté. Mais il est tellement talentueux et tellement capable d’aller chercher des ressources avec la machine qu’il pilote actuellement qu’il démontre un potentiel invraisemblable. Pour moi, il serait capable de mettre n’importe quelle moto sur le podium. »
Comment une équipe comme celle du SIC (Sepang International Circuit) a-t-elle pu faire une première année aussi brillante en MotoGP, avec un pilote rookie comme Fabio Quartararo et sans motos d’usine ?
« Il a été surprenant de le voir sur une moto légèrement moins performante que les officielles réussir ce qu’il a fait. Le pilote est incroyablement doué. L’équipe a réussi à faire si fort car elle est composée de gens extrêmement performants et compétents, comme Diego (Gubellini) son chef mécanicien. Fabio a eu la chance de tomber sur Diego qui est un garçon très compétent, très calme, très posé, et il y a entre les deux une osmose fantastique. »
« Il y a autour d’eux une équipe de bons techniciens comme Wilco Zeelenberg et Johan Stigefelt. Ils ont pioché dans les équipes existantes ou en fin de contrat comme VDS pour récupérer d’excellents éléments. Tout s’est bien mis en place. C’est la clé de la réussite. »
Photos © motogp.com / Dorna, Christian Bourget pour Paddock-GP.com