Dans de cette série d’articles, nous avons essayé de retracer les grandes lignes de l’histoire de l’IRTA (International Racing Team Association), une des quatre entités qui gèrent aujourd’hui le MotoGP avec Dorna Sports, la FIM et la MSMA. Nous la terminons aujourd’hui avec une interview de son président actuel, Hervé Poncharal.
Retrouvez ici la première partie concernant Kenny Roberts, Barry Sheene et le projet World Series
Retrouvez ici la deuxième partie concernant la période des World Series à la grève des pilotes au Grand Prix de France
Retrouvez ici la troisième partie concernant la grève des pilotes au Grand Prix de France
Retrouvez ici la cinquième partie concernant les premiers pas… jusqu’à l’arrivée de Dorna
Retrouvez ici la sixième partie concernant la période de l’association avec Bernie Ecclestone
Hervé, vous êtes aujourd’hui président de l’IRTA. À partir de quelle année vous êtes-vous impliqué dans cette association et pouvez-vous nous expliquer son fonctionnement ?
Hervé Poncharal : « comme vous l’avez écrit, l’IRTA a été créé au printemps 1986. À l’époque, j’étais responsable du département Grand Prix chez Honda France et on était présent avec une écurie composée de Dominique Sarron sur une 250 d’usine. Dès la création de l’IRTA, on en a été membre et on a payé notre cotisation, donc comme j’étais le représentant de l’équipe, j’ai été membre de l’IRTA dès sa création. Ce qu’il faut savoir, c’est que l’intégralité du plateau est aujourd’hui membre IRTA. C’est une condition sine qua non : tous les teams engagés en Grands Prix sont membres IRTA. »
« Voilà comment cela fonctionne : il y a une assemblée générale
annuelle avec la totalité des équipes qui y sont conviées. Pendant
longtemps, cette assemblée avait lieu à Jerez, pendant les essais
IRTA que l’on appelait le GP zéro. Maintenant, depuis une bonne
dizaine d’années, cela se déroule au Qatar, toujours pour limiter
les frais de déplacement et permettre au plus grand nombre possible
d’équipes d’y assister. »
« Lors de cette assemblée générale annuelle, on fait le compte
rendu de tout ce qui a été fait durant l’année passée, même si les
équipes ont déjà été informées par Mike Trimby des décisions prises
au fil des mois. Mike est vraiment très fort pour cela et la
communication fonctionne très très bien, d’autant qu’il y a
toujours une présence IRTA sur tous les circuits, ce qui permet à
n’importe quelle équipe de venir poser une question, que ce soit à
Mike ou à moi-même. Mais lors de l’assemblée générale annuelle, on
fait quand même le compte rendu général, on présente les comptes et
on fait un rapport avec le Directeur de course, Mike Webb, le
secrétaire général Mike Trimby et le président, moi-même.
»
« D’autre part, cette assemblée générale élisait pour deux ans un comité qui, jusqu’à ce qu’il y ait la catégorie MotoGP, était composée de huit membres. Ce comité se réunissait en général toutes les deux ou trois courses pour toujours essayer de faire progresser les choses. »
« Depuis qu’il y a la catégorie MotoGP, ce comité est maintenant composé de tous les teams managers de la catégorie MotoGP, que ce soit Factory ou indépendant, plus deux team managers de Moto2 et un ou deux team managers de Moto3. Il y a également Geoff Dixon le paddock manager, Danny Aldridge le directeur technique, Mike Webb le directeur de course, Carlos Ezpeleta qui représente la Dorna, un représentant Michelin et un représentant Dunlop. Aujourd’hui, ce comité n’est donc plus totalement élu par l’assemblée générale, puisque les élections ne concernent plus que les représentants des Moto2 et Moto3. »
« C’est ce comité qui élit un président, également pour deux ans, qui a la charge de rapporter et de défendre la position de l’IRTA, c’est-à-dire les décisions prises par le comité. »
« J’ai donc été membre IRTA depuis le début, en 1986, puis j’ai été élu au comité IRTA une dizaine d’années plus tard, et ce comité m’a élu président encore une dizaine d’années plus tard, en 2006. Il s’agit toujours d’un mandat de deux années, que le comité renouvelle ou pas. »
On l’a vu dans les épisodes précédents, le parcours de l’IRTA n’a pas été un long fleuve tranquille, et cette association a longtemps lutté pour d’abord se faire reconnaître puis accroître ses responsabilités. Même si vous étiez que simple membre durant cette première période un peu tumultueuse, pouvez-vous nous dire quels ont été les principaux apports de l’IRTA à cette époque ?
« On peut dire que, jusqu’à ce que l’IRTA existe, c’était
vraiment compliqué de participer au championnat du monde. Si tu
n’étais pas sur la Grading List, c’était vraiment compliqué, comme
l’a déjà expliqué Bernard Fau. Je me souviens du milieu des années
80′, où j’étais avec Patrick Igoa et Dominique Sarron sous les
couleurs Rothmans et Honda France. Mais nous n’étions pas sur la
Grading List, donc quand on arrivait sur un circuit, en général le
mardi et sans avoir eu la moindre réponse à notre demande
d’engagement, on était garé en dehors du circuit et il fallait que
l’on fasse intervenir le représentant de la FFM pour qu’il
intercède auprès de l’organisateur, pour qu’éventuellement on
puisse être engagé ! Tant qu’on n’était pas engagé, on ne pouvait
pas rentrer dans le circuit ! Interdiction ! Tu attendais dans un
champ, dans ta caravane, sans eau et sans électricité.
»
« Parfois, avec de la chance, tu étais engagé le jeudi, le premier
jour des essais, et tu devais te trouver une place dans le paddock
comme tu pouvais, mais ça pouvait aussi durer jusqu’au vendredi ou
même au samedi ! Tu pouvais donc manquer une, deux ou trois
séances, voire même arriver juste pour la qualification, voire même
ne pas rentrer du tout ! Et là, tu repartais pour le prochain Grand
Prix, exactement dans les mêmes conditions, avec tous les frais de
route et de vie que cela représentait. C’était tellement le bazar
que les teams usines les plus fortunés, avant même la fin de la
course, envoyaient quelqu’un jusqu’au prochain circuit pour bloquer
et réserver les box à l’aide de bandes en plastique. C’était la
jungle : pas d’eau, pas d’électricité, parfois sur l’herbe à Assen
où ils t’amenaient de la paille pour mettre dans la boue lorsqu’il
pleuvait, et je ne vous parle pas des toilettes et des douches…
»
« Il fallait aussi pleurer pour les laisser passer, car tu en obtenais généralement trois, dont un pour le pilote. C’était donc vraiment compliqué et l’IRTA a grandement facilité la vie des pilotes ! »
« Un autre point, et évidemment le plus important, concernait le niveau de sécurité des circuits. À cette époque-là, il y avait vraiment des circuits dangereux et, on l’a vu avec Kenny Roberts, les pilotes n’étaient pas écoutés. Même si à Nogaro on parlait déjà du paddock et du désastre qui surviendrait si le feu prenait, l’aspect numéro un pour lequel tous les pilotes se sont battus, avec toutes leurs équipes et donc nous derrière, et pour lequel Franco Uncini a été représentant avant d’être remplacé par Mike Trimby, c’était ne plus aller sur des circuits jugés trop dangereux. Personne n’a oublié ce qui s’est passé à Monza en 1973, avec Renzo Pasolini et Jarno Saarinen. On voulait donc ne plus aller sur certains circuits, avoir un minimum notre mot à dire par le biais d’un représentant qui soulignait la dangerosité d’un mur, d’un trottoir ou d’un arbre, mais aussi avoir un paddock un peu mieux organisé. On a donc demandé aux organisateurs diverses choses comme à ce qu’il y ait un certain nombre de points d’eau ou la possibilité de mettre les camions techniques derrière les box, parce qu’aujourd’hui on ne peut plus l’imaginer mais il y avait à l’époque dans le paddock les voitures des pilotes et leur caravane au milieu des tentes avec les motos. »
« Une autre chose qui nous faisait rêver, c’est qu’il y ait une
liste d’engagés au championnat du monde, qui te garantisse que tu
ferais toute la saison même si tu te loupais aux deux premières
courses. »
« L’IRTA a obtenu tout cela et cela a été un changement énorme pour
les équipes et les pilotes, parce que, par exemple, tu pouvais te
vendre à des sponsors. Avant, tu faisais la moitié des Grands Prix
et ça n’intéressait pas les sponsors. Là, tu pouvais aller voir tes
sponsors et leur dire « je vais faire le championnat du monde 125,
250 ou 500. » Du coup, avoir un pass à l’année était aussi une
chose incroyable pour nous ! Aujourd’hui, ça paraît complètement
idiot mais on l’a eu pour la première fois en 1987 grâce à l’IRTA
qui a obtenu de la FIM ce droit de gérer les pass : quand tu
arrivais sur un circuit, tu rentrais directement sans avoir à
donner ta pièce d’identité, avec généralement une garantie
financière, pour pouvoir aller à l’intérieur du circuit chercher
une enveloppe avec tes pass en carton dont on déchirait une partie
tous les jours… »
« Je pourrais continuer la liste pendant longtemps avec, par exemple, le fait qu’il n’y avait pas de salle de presse : la première vraie salle de presse, c’est Rothmans qui est arrivé en 1985 avec un bus à deux étages et qui a mis un auvent accroché à cet autobus pour faire une salle de presse accessible même aux concurrents comme les teams Marlboro ou HB. À l’époque, ils avaient un outil magique, un fax, qui permettait aux journalistes d’envoyer leurs papiers à leur rédaction ! Avant, les journalistes lisaient leurs articles au téléphone à quelqu’un qui prenait des notes en sténo… »
« En résumé, l’IRTA a permis d’avoir des circuits où la sécurité était prise en charge, où on demandait aux représentants des pilotes de travailler à l’homologation ou non de certains circuits, ainsi qu’avoir un paddock avec un minimum d’organisation et d’hygiène. Bien évidemment, tout cela ne s’est pas fait en une saison mais les choses ont progressé chaque année, jusqu’à ce qu’on a aujourd’hui avec des cahiers des charges bien précis. »
« L’IRTA avait une vision pour professionnaliser notre sport et s’est donné les moyens pour que celui-ci se déroule sur les circuits les plus sûrs possible avec un paddock qui permet à tous de travailler le mieux possible pour faire les plus belles courses possibles. »
« C’était ça, la base de l’IRTA ! C’est ça qui m’a plu, et c’est pour ça que j’ai toujours été à 200 % derrière l’IRTA, parce que quand tu vois tes potes perdre la vie, ça te rend fou ! »
L’IRTA a maintenant 34 ans. Hormis la première période où l’on comprend bien les raisons de sa création, quelle a été la plus belle victoire de cette association ?
« Ha… il y en a tellement eu ! Incontestablement, la plus
belle victoire cela a été d’arriver à la créer et à être reconnu
comme membre associé par la FIM. Là, on a vu la lumière à la fin du
tunnel, parce évidemment, il y a eu des moments de découragement
durant lesquels on pensait qu’on n’y arriverait jamais. Oui, le
moment où l’on a créé l’IRTA, cela a vraiment été comme une
victoire. On s’est dit que l’on reconnaissait enfin les acteurs,
parce que jusqu’à présent, la fédération et les organisateurs
faisaient leurs affaires entre eux, et nous on était taillable et
corvéable à merci. À partir de la création, grâce à notre statut de
membre associé, on savait qu’on aurait notre mot à dire et que nos
revendications seraient écoutées. On serait reconnu. Cela a été le
moment le plus important car on n’était alors plus considérés comme
des empêcheurs de tourner en rond ou des révolutionnaires.
»
« Après, évidemment, il y a eu beaucoup d’autres choses, y compris
des tensions, mais c’était quand même mieux d’avoir une
organisation dans laquelle chacun avait son rôle et était
complémentaire. Depuis 1992 où Dorna gère notre championnat, il y a
une relation incroyable entre l’IRTA et Dorna. Il y a un respect
total de Dorna pour la manière dont on travaille et pour les causes
qu’on a défendues. Aujourd’hui, je dirais que Dorna et IRTA ne
forment pratiquement qu’une entité, même si dans la réalité c’en
est deux, pour partager la gestion du championnat et du paddock de
manière intelligente. Rien ne se fait sans consultation permanente
entre les deux ! »
Quelle a été la période la plus difficile ?
« Au départ, même si on avait été acceptés, beaucoup de gens pensaient qu’on nous avait donné un petit os à ronger ou un petit bonbon à sucer, mais que les choses continueraient comme elles avaient toujours continué. Beaucoup de moments m’ont marqué, parmi lesquels le décès de Daijiro Kato, lors du premier Grand Prix de la saison 2003 à Suzuka. Suzuka, c’était une épreuve mythique parce que c’est un circuit magnifique que tout le monde adorait et c’était le circuit du Grand Prix du Japon, qui est quand même le pays de Honda, de Yamaha, de Suzuki et de tous les sous-traitants du monde de la moto. »
« Mais à la fin du premier tour, Daijiro Kato a un accident et
peu de temps après on apprend qu’il est décédé. Cela a été un
énorme choc, parce que même si c’était un incident de course, on
savait qu’il y avait ce point noir concernant la sécurité à Suzuka
: il y avait un mur trop proche sur le côté gauche quand tu rentres
à la chicane. Les organisateurs avaient fait mettre toutes les
protections qu’ils pouvaient mais le mur était près et ne pouvait
pas être déplacé à cause de problèmes immobiliers, puisque le
circuit est quasiment en ville et qu’ils n’avaient jamais réussi à
trouver un accord pour racheter ce terrain qui jouxtait ce mur pour
le repousser. »
« Après l’accident, tout le monde était complètement dévasté et
j’en ai encore les larmes aux yeux en vous parlant. »
« Le soir, Carmelo Ezpeleta, lui aussi extrêmement touché, a déclaré aux journalistes au nom de Dorna/IRTA qu’on ne reviendra jamais courir ici tant que ce mur ne serait pas repoussé. La manière dont il a parlé m’a touché, alors que tout le monde disait qu’il avait parlé sous le coup de l’émotion et que personne n’était capable de dire non à Suzuka, le mythique circuit du Honda Land. Tout le monde pensait qu’il était impossible de faire bouger Suzuka, de résister aux constructeurs japonais, et que de toute façon, on reviendrait l’année d’après. On en a beaucoup parlé pendant plusieurs mois, mais on n’y est jamais retourné ! Et ça, c’est à mettre, évidemment avant tout au crédit de Carmelo, mais aussi plus globalement de Carmelo–Dorna–IRTA. Que ce soit la fédération, que ce soient les constructeurs, dont Honda le membre le plus puissant, personne n’a réussi, et Dieu sait si cela a été essayé, à nous faire, Dorna–IRTA, dévier de notre position. »
« Là, les gens ont enfin compris, d’abord que c’était Carmelo le boss, et que les problématiques de sécurité passaient avant tout. Ça m’a beaucoup touché mais je pense que ça a montré à la face de notre monde, à tous les gens qui sont impliqués de près ou de loin et à tous les commentateurs de notre championnat MotoGP, que la sécurité était une chose avec laquelle on ne pouvait plus composer. C’est dommage pour Suzuka, car c’est vraiment un circuit magnifique, mais c’est fabuleux d’avoir passé ce message à tous les promoteurs, les organisateurs et les directeurs de circuit. Rappelez-vous ce qui s’est passé récemment après l’accident mortel de Luis Salom à Barcelone… Pour les mêmes raison et toujours à la demande de Carmelo, le circuit a été modifié alors que tout le monde avait déclaré cela impossible ! Non seulement le bitume a été refait, mais le tracé a été modifié et une tribune a été déplacée pour que ce qui est arrivé à Luis ne puisse plus jamais arriver. Ça, ce sont des choses difficiles mais très fortes. »
« Il y a à chaque fois des implications économiques très importantes, mais « safety first » et il n’y a rien qui passera avant la vie d’un pilote. Ce sont des choses difficiles mais qui me rendent fier d’être président de l’IRTA et de collaborer avec quelqu’un comme Carmelo. »
Contrairement aux années 80′, on a l’impression que les quatre entités qui gèrent le championnat du monde, FIM, Dorna, IRTA et MSMA, sont maintenant bien à leur place et travaillent en harmonie. Vous nous le confirmez ?
« Oui ! Je pense qu’une des forces de Carmelo, quand il est
arrivé, c’est qu’il a tout de suite fait passer le message que si
on voulait être un sport qui progresse et qui attire à la fois le
public, les investisseurs et les médias, il fallait que l’on donne
une image positive, constructive et d’unité. Et en fin de compte,
on est tous complémentaires : la fédération a besoin d’un promoteur
qui fait bien son travail, ce qui lui permet de s’enorgueillir
d’avoir un beau championnat et, « last but not least »,
de récupérer des subsides intéressants. Le promoteur, évidemment, a
besoin d’avoir une grille attractive pour la revendre aux télés,
aux sponsors et autres. Dans la grille, il y a les constructeurs et
les équipes. Les constructeurs ont bien compris qu’ils ont besoin
d’un promoteur puissant pour faire un vrai championnat du monde,
qui va sur les cinq continents et qui leur donne une assise
financière qui leur permet de continuer à faire de la compétition
sans que leur direction estime que cela coûte trop cher, car bien
évidemment, la Dorna participe énormément aux investissements des
constructeurs pour construire les prototypes MotoGP. Et les
constructeurs ont aussi compris qu’ils avaient besoin d’équipes
pour les aider à avancer et avoir un championnat qui ait de la
gueule. »
« Maintenant, on a quasiment réussi à faire admettre à tous les
constructeurs que l’idéal c’est que chacun des six constructeurs
aient deux équipes sur la grille, une qui est leur équipe d’usine
avec leurs salariés, et une équipe indépendante qui utilise leur
matériel avec un programme complémentaire, comme par exemple des
jeunes pilotes à tester avant de rentrer dans l’équipe d’usine, ou
partager des sponsors. Il y en a deux qui ne le font pas encore,
Suzuki et Aprilia, mais à mon avis ça va se passer dans très peu de
temps. »
« Qui mieux que Yamaha, dans le passé avec nous, ou, maintenant,
avec Petronas, montre l’intérêt pour une usine d’avoir une équipe
indépendante ? Je pense que si on leur demande ce qu’ils pensent
d’une écurie indépendante, avec les 20 ans de Tech3 et maintenant
Petronas, ils reconnaîtront facilement que cela leur a amené
énormément. De même, je pense que KTM et Red Bull ne regrettent
surtout pas avoir engagé une équipe indépendante à leurs côtés pour
pouvoir donner la possibilité à leurs pilotes qui arrivent de la
Red Bull MotoGP Rookies Cup, via le Moto3 et via le Moto2, de
débarquer en MotoGP dans une structure d’attente de l’écurie
d’usine. »
Donc aujourd’hui, il y a un vrai sens à cela et tout le monde,
la FIM, la Dorna, la MSMA et l’IRTA, on a tous besoin les uns des
autres, on est tous complémentaires. Et si tout le monde travaille
la main dans la main, en échangeant, en faisant part de nos
problèmes et en écoutant aussi ceux des autres, on avancera mieux,
on sera plus performant, et surtout on donnera une image beaucoup
plus constructive de notre championnat que si ça se tire dans les
pattes, comme cela arrive parfois dans le football ou d’autres
sports. »
« Cette entente est quelque chose qui n’existait pas avant et qui
aujourd’hui existe. Elle a été très bien illustrée pendant la
gestion de la pandémie du Covid-19, ou on a tous ensemble réussi à
comprendre comment s’adapter et comment avoir un business modèle
qui puisse supporter des courses à huis clos avec un calendrier
complètement modifié. Tout a été fait de manière ouverte et les
décisions ont été prises de façon unanime, comme par exemple le gel
des spécifications techniques que certains constructeurs fortunés
auraient peut-être refusé il y a quelques années. Mais là, les plus
puissants comme les nouveaux venus ont tous dit que c’était dans
l’intérêt du championnat. »
« Aujourd’hui, ce qui me plaît, c’est qu’on pense d’abord à l’intérêt général avant son intérêt propre, alors que l’on est tous des compétiteurs. Honnêtement, je fais toutes les Commissions Grands Prix depuis 2006, et aujourd’hui la quasi-totalité des décisions, que ce soit par rapport aux évolutions des règlements techniques, au code sportif ou au calendrier, toutes les décisions sont prises de manière unanime, entre FIM, Dorna, IRTA et MSMA ! »
Aujourd’hui, avec une telle harmonie, l’IRTA a-t-elle encore un rôle important à jouer ?
« Oui, bien sûr, car ce n’est pas parce que ça se passe
bien qu’on ne fait rien ! Si vous regardez comment le
championnat a évolué pendant ces 10 ou 15 dernières années, il y a
eu énormément de changements : les trois catégories sont passées de
2-temps au 4-temps, ce qui était considéré comme une hérésie, on a
choisi un manufacturier de pneus unique alors que tout le monde a
dit qu’on allait tuer le championnat, on a mis un moteur de
production dans la catégorie intermédiaire et on s’est fait traiter
de fou, on a mis un ECU unique en MotoGP alors que tout le monde
disait qu’aucun constructeur n’accepterait cela, on a mis des
courses de nuit alors que c’était réputé impossible, etc. etc. etc.
»
« Rien n’est jamais acquis pour toujours et il faut sans cesse
travailler pour le conserver. Il y aura toujours des nouveaux
circuits qui arriveront et qui devront être validés au niveau de la
sécurité et il y aura toujours des crises économiques ou sanitaires
à gérer en faisant peut-être évoluer la réglementation. Il faut
toujours se remettre en question et une organisation qui fonctionne
en 2000 ne sera pas la même en 2020 et en 2025. Il faut toujours
être là et se réunir, surtout dans des périodes comme en ce moment.
Que croyez-vous que j’ai fait depuis début mars ? »
« Et bien, avec Carmelo et Carlos Ezpeleta, je me suis battu pour
trouver des solutions pour que les équipes Moto3, Moto2 et MotoGP
puissent exister et subsister pendant toute cette période où on n’a
pas de course. À un moment donné, le scénario de saison blanche a
même été envisagé, et ça a été du boulot qui évidemment n’était pas
prévu dans les statuts de l’IRTA qui, à la base, s’occupe avant
tout de la gestion du paddock et de la sécurité des circuits. Cela
fait partie de la vie : on a un championnat qui fonctionne bien,
mais il est dans un monde, et ce monde est peu lisible dans le
futur. Par exemple, si vous reprenez des interviews que j’ai faites
il y a trois mois, j’y disais qu’il n’y aurait jamais de course
sans spectateurs, parce qu’économiquement cela semblait impossible.
Et puis, quand à un moment donné tu es confronté à faire ça ou
rien, on s’assoit tous autour de la table aux côtés de Carmelo et
on dit « OK, comment on peut faire ? ». C’est l’histoire
du chêne et du roseau : il faut plier et s’adapter. C’est
d’ailleurs la base de la compétition que d’être capable de
s’adapter et d’évoluer. »
« Ça nous a donc donné du travail, tout comme le fait d’envisager
deux courses sur le même circuit. On vit dans un monde en perpétuel
mouvement, surtout en ce moment, mais de toute façon on sait déjà
qu’il va se poser des questions par rapport à la transition
énergétique, donc on ne risque pas de manquer de travail.
L’histoire du MotoGP est liée à celle du monde et elle doit
s’adapter : pas question de devenir des dinosaures car les
dinosaures ont disparu, donc tous les jours il faut regarder,
écouter et réfléchir. J’ai adoré les 2-temps ! Cela correspond à
mes premières motos, mes premières émotions, mes premières courses
et mes premiers héros quand j’étais jeune. Et tout le monde pensait
que si les Grands Prix passaient aux 4-temps, ils étaient morts.
Sauf qu’à un moment donné le 2-temps n’étaient plus viables
économiquement parlant et que les constructeurs n’en construisaient
et n’en vendaient plus. Donc il a fallu y passer, et ce n’est pas
pour ça qu’on est mort ! Et aujourd’hui, je pense le championnat
est plus beau qu’il n’a jamais été, même à l’époque des 500 2-temps
que certains nostalgiques considèrent comme l’âge d’or. C’était
effectivement un âge magnifique qui nous a tous fait rêver quand on
avait 20 ans ou un peu plus, mais aujourd’hui le championnat est
intrinsèquement plus beau quand tu regardes les statistiques des
écarts et les bagarres en course. Il faut toujours s’adapter, et
travailler pour cela, donc l’IRTA n’est pas prête à se tourner les
pouces ! »
Vous avez donc toujours la motivation continuer votre mission ?
« Je vais vous dire quelque chose. J’ai commencé accroché
derrière le grillage, avec mon vélo, à regarder les mécaniciens et
les pilotes comme des héros. Puis le jour où je suis rentré dans un
paddock… « whaou… », c’était déjà un pas énorme ! Après,
j’ai réussi à courir un peu, puis à travailler dans la compétition.
Un autre pas énorme. Puis quand l’IRTA a été créée, j’ai trouvé cet
outil fantastique et j’étais très fier d’en faire partie. Puis,
quelques années plus tard, me retrouver président, même si je
n’aime pas trop ce titre car cela fait pompeux et que je préfère me
considérer comme le représentant des équipes, cela était
incroyable, car que l’intégralité des équipes me choisisse pour les
représenter et les défendre était un immense honneur. Ça m’a
vraiment touché, et plus que les ennuis et la charge de travail
supplémentaire, totalement bénévole à je tiens à le préciser, je
considère cela comme un immense honneur. Et aujourd’hui encore, car
quand tu dois trouver des solutions avec Carmelo pour supporter les
équipes financièrement, tu te sens vraiment investi d’une mission
utile. Ce que j’adore aussi dans mon travail, en tant que président
de l’IRTA, c’est la proximité de Carmelo, de pouvoir l’appeler
n’importe quand, de pouvoir le voir n’importe quand et de pouvoir
échanger avec lui. C’est quelqu’un pour qui j’ai un respect énorme
et une admiration incroyable. Avec lui, tu apprends. Tu apprends
professionnellement parlant, tu apprends humainement parlant, et tu
t’aperçois que des gens qui sont présentés au départ comme des
hommes d’affaire froids et durs sont, en fait, des vrais êtres
humains avec de l’empathie et même plus de l’empathie, de l’amour,
pour leur sport et pour les personnes qui y participent.
»
« Donc pour l’instant, chaque fois que j’envisage avec Carmelo le
fait d’arrêter, il me répond que je suis jeune, ou en tout cas plus
jeune que lui. Je vais donc encore continuer un certain temps, en
tout cas, tant que les équipes me demanderont de les représenter et
que je pourrai physiquement à la fois gérer 20 Grands Prix par an,
une société comme Tech 3, le fait de bien représenter ces équipes,
et aussi longtemps que j’y prendrai du plaisir. »
Retrouvez ici la première partie concernant Kenny Roberts, Barry Sheene et le projet World Series
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Crédit photos: MotoGP.com