A peine revenu de son voyage de 40 heures en provenance d’Indonésie, et quelques heures avant le voyage de plus de 24 heures qui le mènera au fin fond de l’Argentine, Hervé Poncharal a eu la gentillesse de nous partager son ressenti sur le nouveau et très exotique Grand Prix d’Indonésie.
Pour cette première sur l’île de Lombok, le côté sportif n’a pas été évoqué, privilégiant ainsi un côté « carnet de voyage » moins retransmis par les caméras…
Hervé Poncharal, après la désormais traditionnelle ouverture de saison au Qatar, une épreuve maintenant bien connue et sans grand public, le championnat du monde MotoGP a posé ses valises en Indonésie sur le tout nouveau circuit de Mandalika. A peine arrivé sur place, vous avez découvert une ambiance chaleureuse et une population aussi motivée qu’accueillante, ce qui a ensuite été confirmé par l’annonce de la vente des 65 000 billets disponibles, or les tribunes nous sont apparues relativement vides. On se trompe ?
Hervé Poncharal : « Une chose est sûre,
c’est que tout le monde était très excité d’aller en Indonésie,
parce qu’on le sait par rapport aux supports, par rapport aux
réseaux sociaux, par rapport à la manière dont est suivi le MotoGP,
ses pilotes et ses équipes: c’est incroyable ! C’est aussi un des
plus gros marchés du deux-roues de la planète, et c’est aussi là où
les constructeurs japonais ont leur plus grosses usines de
production, donc c’est un pays clé. Je me souviens qu’à l’époque de
Johann (Zarco) et de Hafizh (Syahrin), et même de Pol Espargaró, on
avait été faire des journées de promotion en Indonésie pour Yamaha,
et c’était incroyable ! On s’était retrouvés avec plusieurs
milliers de personnes, juste pour faire un Meet and Great et signer
deux ou trois trucs. C’était donc important, quasiment obligatoire,
d’aller dans ce pays là. Il y avait donc évidemment une grande
excitation, mais aussi une interrogation quant au nouveau circuit.
Le Grand Prix d’Indonésie aurait pu se faire sur le site où il y a
le circuit de Sentul, où on est déjà allé en 1996 et 1997, mais la
décision a été prise de créer de toutes nouvelles infrastructures
sur l’île de Lombok. Cela a été la décision du président, du
gouvernement et des autorités locales, et c’est évident que cela a
encore créé plus d’attentes, encore plus de questionnements, encore
plus d’excitation, parce qu’on allait se retrouver à un endroit
entièrement nouveau. On avait des informations de part les visites
que les gens de la FIM, de l’IRTA, de Dorna faisaient sur le
circuit pour voir l’évolution des travaux. Il y a eu aussi le
Superbike qui a roulé à la fin de 2021 et on a fait les essais au
mois de février, donc on savait que tout le monde travaillait 24
heures sur 24, 7 jours sur sept, mais que ce serait limite-limite
au niveau du timing pour que tout soit fini. On savait aussi que ce
serait un peu rock’n’roll parce que l’île est encore excessivement
sauvage avec des infrastructures encore très basiques. Donc tout
cela faisait que c’était quand même un Grand Prix un peu
particulier, d’autant que pour y aller, il faut passer par Jakarta
avec des procédures administratives excessivement lourdes: on est
donc parti en sachant qu’on allait vivre des choses différentes,
parfois peu plus compliquées à gérer, mais aussi plus excitantes
que sur un Grand Prix normal. »
« Alors évidemment, le circuit a été construit pour pouvoir
accueillir autour de 200 000 spectateurs, mais vu les
problématiques d’accès à l’île en avion, où, là, cela a été un
miracle que l’on puisse faire venir et repartir tout le monde, vu
les problématiques d’hébergement, vu les problématiques
d’engorgement du trafic, car on parle de chemins non goudronnés
pour la plupart, non destinés à accueillir les nombreuses voitures
de location des équipes, il a été décidé d’un accord général de
toutes les parties de limiter à 65 000 la vente des billets la
première année. C’est évident qu’ils auraient pu en vendre beaucoup
plus, mais déjà là je pense qu’on était à saturation par rapport
aux capacités d’arrivées sur l’île, aux capacités d’hébergement et
aux capacités de trafic. Je pense donc que c’était la bonne
décision mais force est de reconnaître que ça s’est mieux passé que
ce que l’on pouvait craindre. »
« Et les gens sur place, les Indonésiens, fantastiques !
D’une gentillesse incroyable, souriants, toujours prêts à aider et
évidemment tous raides dingues de MotoGP ! Quand on est arrivé, on
a vraiment ressenti une impression de chaleur humaine, et tout le
monde était super heureux. Évidemment, il y a beaucoup d’enfants et
tous couraient partout avec les T-shirts du Grand Prix
« Mandalika GP » ou « Mandalika GP
week ». »
« En 2018, Ils ont malheureusement subi une inondation qui a
complètement ravagé cette partie de l’île, donc ils ont dû
reconstruire, puis Ils ont dû faire face à la Covid, sans quasiment
personne, et là, c’était la première réouverture après la
destruction suite à l’inondation puis la Covid : c’était un peu le
retour à la vie et tout le monde était heureux. Il y avait donc des
petites tentes partout avec des barbecues où ils mettaient des
poissons à griller, et des petites échoppes avec les couleurs de
Mandalika. Si tu veux, la venue de ce Grand prix, ça été
concomitant à la réouverture de l’île après la reconstruction et la
Covid, donc une sorte de renaissance avec beaucoup de joie.
»
« De notre côté, c’est évidemment un Grand Prix très très très exotique. Alors évidemment il y a la météo qui est exotique, il y a le fait que tu te retrouves dans des chemins où il y a des chiens et des poules partout, les gens qui sont à quatre ou cinq sur des scooters, les marchands ambulants en deux-roues, les parkings et les marchés avec des champs de mobylettes, puisque le deux-roues est l’engin que tout le monde utilise pour bouger. Les gens portent des chemises traditionnelles et un Songkok sur la tête, et tout ça c’est sympa: par rapport au Qatar, justement, qui est quand même un endroit très aseptisé avec du béton partout, des autoroutes à six ou sept voies et des hôtels des chaines mondiales dans les tours, là c’est vraiment l’opposé. Les deux premiers Grands Prix de la saison sont vraiment aux deux extrémités de la palette de ce qu’on rencontre pendant la saison. »
« Dans le petit village de Kuta où nous étions logés, tout le paddock était là et sortait le soir, dans la nuit puisqu’il n’y a aucun éclairage, en essayant d’éviter les nids-de-poule remplis d’eau et les chiens qui dormaient pour aller manger dans les petites échoppes locales. Quand on est parti, on a senti que les locaux étaient un peu tristes: « à l’année prochaine et peut-être qu’on se reverra pour les tests ». Il y avait eu quatre ou cinq jours d’activités intenses, et le lundi ça retombait dans le train-train quotidien. »
« Et puis, évidemment, on ne peut pas passer sous silence le fait qu’un président d’un pays qui a quasiment 300 millions d’habitants s’est personnellement impliqué, a invité Carmelo Ezpeleta et tous les pilotes au palais présidentiel, les a reçus pour un petit déjeuner en cuir et a donné le départ de la parade avec son blouson G20. Jakarta est une ville tentaculaire et les grandes artères avaient été bloquées pour cette parade. Le weekend, il est venu pour la course et il a passé le dimanche, de la fin de la matinée jusqu’à l’arrivée des MotoGP, avec le paddock. Ce qui nous a surpris, c’est qu’il semble assez proche du peuple et qu’une ferveur émanait des tribunes à son égard : dès qu’il sortait un peu, en attendant le départ à cause de la pluie, il était applaudi et acclamé. »
« Au final, cela a été un week-end très exotique mais rafraîchissant. Ce n’était quand même pas une aventure car nous étions bien encadrés, mais c’était quelque chose d’intéressant, de différent et de rafraîchissant, surtout quand tu sais comment va le monde aujourd’hui. »
Une sorte de retour en arrière dans le passé, comme l’a évoqué Paolo Simoncelli avec la Mototemporada Romagnola ?
« Totalement ! J’ai fait le Dakar en Afrique dans les années 80, et quand tu te promènes dans les petits villages, ça peut très bien te rappeler l’Afrique ou la Thaïlande des années 80. Je te l’ai dit, en dehors des voitures de location pour le Grand Prix, quasiment tout le monde circule en deux-roues, vélo ou mobylette, mais surtout mobylette. Tout le monde fait ce qu’il a fait avec ce genre de véhicule, donc on voit des poulets dans des cages sur les mobylettes. Si tu vas sur les marchés, c’est vraiment ce qui a été ramassé dans la végétation luxuriante autour, dans une sorte de serre à ciel ouvert, puisqu’il pleut, il fait chaud, il pleut, il fait chaud, etc. Donc oui, ça fait remonter dans le temps et tu te dis parfois que l’on n’a pas nécessairement avancé dans le bon sens parce que, oui ils sont pauvres, mais ils te disent tous qu’ils sont heureux: je n’en ai pas vu un qui s’est plaint. Dans certains endroits, tu es assailli par les gens qui te demandent de leur donner quelque chose. Là, pas du tout ! Les enfants ne sont pas envoyés en commando pour essayer de récupérer quelque chose à tout prix. Au contraire, ils sont souriants et tellement mignons avec leurs grands yeux émerveillés, et il y avait vraiment une belle ambiance. »
« Après, c’est vrai qu’il y avait des choses qui n’étaient
pas faciles, mais c’est le corollaire de tout ça. La piste a été
refaite mais il faisait très chaud et elle n’a pas été laissée
assez tranquille, donc elle s’est un peu dégradée et c’est pour ça
qu’il y a eu des réductions de course en Moto2 et MotoGP. Il faut
le reconnaître, on a aussi été sauvé par la météo pluvieuse, parce
que la dégradation aurait certainement été bien plus importante si
les courses avaient été sur le sec. Mais tout le monde a joué le
jeu ! On avait mis 10 minutes de plus entre chaque séance pour
mettre un petit coup de balai pour éviter qu’il y ait trop de
cailloux projetés. Les pilotes ont dit qu’il y avait beaucoup moins
de cailloux qu’aux essais et que ce n’était pas grave qu’ils soient
projetés car ce n’était pas dangereux au niveau du grip, donc on a
pu faire le Grand prix dans de bonnes conditions. Le président
s’est engagé, dès que le Grand Prix a été terminé, à entièrement
resurfacer. Ce sera certainement fait différemment car il y aura
moins de pression de temps, puisque toutes les personnes concernées
te disent qu’idéalement parlant il faut laisser reposer 45 jours
sans y toucher, surtout dans des pays où il fait aussi chaud que
ça. Là, le problème, c’est que dès que l’asphalte était refait, on
roulait rapidement dessus.
Mais malgré tout, pour avoir été fait si à l’arrache après
avoir travaillé dur sept jours sur sept, tout était quasiment
relativement au niveau des standards que tu peux attendre pour une
course du championnat du monde organisée en 2022. Tout a
fonctionné, les nouveaux drapeaux électroniques, les transpondeurs,
les timings, la direction de course, le circuit a été considéré
très bien au niveau de la sécurité des zones de dégagement,
Etc.
Et le président, malgré son emploi du temps très chargé avec 17
500 îles à gérer et le déménagement de la capitale de Jakarta à
Bornéo, s’est engagé à ce que Mandalika devienne la plus belle
course du championnat du monde. En tout cas, ils vont continuer de
travailler pour faire évoluer cette infrastructure, et je pense que
c’est possible car le tracé est très beau. On y est allé très tôt,
je n’ai pas dit trop tôt, et tu sens qu’il y a une volonté du
gouvernement et de son président, plus un méga support de tout le
monde sur place, pour faire en sorte que ça devienne un événements
clé et une des épreuves majeures du championnat du monde
MotoGP. »