MotoGP et les ailerons VIDEO : comment la même scène peut être différemment interprétée suivant les intérêts en jeu

C’est une scène qui fait froid dans le dos, vue lors de la FP1 du Grand Prix d’Italie au Mugello et qui oppose Aleix Espargaró pilote d’une usine Aprilia performante qui a relancé la thématique des ailerons en en posant un à l’arrière de sa RS-GP, et Miguel Oliveira, pilote d’une KTM qui n’y arrive pas et dont l’employeur clame à qui veut l’entendre qu’une partie de son malheur et celui de la catégorie vient des ailerons qu’il faut bannir. Les images sont rapides puisque les deux champions roulent à plus 350 km/h et on voit le Portugais qui s’écarte dangereusement hors de la trajectoire à la fin de la ligne droite lorsque l’Espagnol le passe. A partir de là, les versions divergent…

D’abord, il faut rappeler que cette scène n’a pas été répétée entre d’autres concurrents au même endroit ce qui la classe objectivement parmi les moments isolés. Mais dans une ambiance où ceux qui perdent trop souvent sont excédés par les autres qui gagnent trop fréquemment, ça reste un élément au dossier ouvert sur les effets nocifs des ailerons.

On voit que dans la longue ligne droite départ/arrivée, Aleix Espargaro (Aprilia) se glisse dans le sillage de Miguel Oliveira (KTM) pour le doubler sur la droite. Espargaró passe, mais Oliveira est poussé hors de la piste vers la gauche sur sa KTM à pleine vitesse sans qu’il y ait le moindre contact. Oliveira a eu de la chance qu’il y ait de l’asphalte à cet endroit après une courte étendue d’herbe. Le Portugais a su garder sa moto sous contrôle et éviter une chute. Néanmoins, il en a été quitte pour une belle frayeur. Et en effet, il a commenté sur Motorsport-total : « ça fait peur. J’étais conscient que j’arrivais dans l’herbe, mais je suis resté cool. J’ai quand même eu le virage ».

Dans le déroulé des faits, Oliveira ne critique pas Espargaró, mais il critique l’aérodynamique de plus en plus sophistiquée des MotoGP : « Aleix a été aspiré dans mon sillage et cela m’a poussé vers l’extérieur. Nous arrivons sur une crête à ce stade et il y a le mur là. Nous sommes un peu inclinés à ce moment-là. C’est à la limite, surtout quand soudain le vent arrive », explique Oliveira qui finit par dérouler le discours de KTM sur les ailerons : « quand ces choses arrivent, vous réfléchissez un peu. Le spectacle avec les ailerons est-il vraiment meilleur ? Nous avons roulé sans ailerons pendant de nombreuses années. Nous aurions alors moins de performances disponibles et devrions mieux les contrôler. Il faudrait être un meilleur pilote. Ce serait une bonne solution. Peut-être que c’est un peu trop dangereux. Nous devons discuter sérieusement de cette question. Mais tous les pilotes doivent être impliqués et pas seulement de temps en temps un pilote ou un constructeur ».

Justement, Aleix Espargaró, qui a vécu la scène de tout aussi près que Miguel Oliveira s’implique : « la scène avec Miguel était vraiment dangereuse. Je lui ai parlé et je lui ai tout de suite présenté mes excuses parce que je suppose que je l’ai un peu mal jugé et c’est pourquoi nos motos se sont trop rapprochées. Mais il a dit : ‘Non non, tu étais loin de moi. Mais le vent t’a emporté vers moi. Et c’est aussi le vent qui m’a fait dévier de la piste ».

« Retirer les ailerons reviendrait à repenser complètement les motos, cela changerait tout, de la puissance à la géométrie« 

Et les ailerons ? L’officiel Aprilia se montre clair : ils sont, au contraire, utiles à la sécurité : « nous ne pouvons pas simplement interdire les ailerons maintenant, car alors les motos changeraient complètement leurs caractéristiques. Cela aurait un impact beaucoup plus important que celui qui a eu lieu lorsque la marque de pneus est passée de Bridgestone à Michelin. En gros, on pourrait certainement revenir à la conduite sans ailerons. Mais après tout le développement qui a eu lieu, cela ne se fait pas du jour au lendemain. Cela prend du temps », explique le pilote Aprilia.

Et il termine : « les retirer maintenant reviendrait à repenser complètement les motos, cela changerait tout, de la puissance à la géométrie. Avant c’était très difficile d’affronter le premier virage, maintenant avec les ailerons c’est devenu beaucoup plus facile ». Repenser totalement les motos ? Ce serait certainement une bonne nouvelle pour au moins deux constructeurs qui sont à la pointe de la campagne réclamant la disparition pure et simple des ailerons. Après tout, la manœuvre politique et médiatique a fonctionné pour obtenir l’éradication du FRHD amené par Ducati.

On rappellera cependant que Marc Marquez a une opinion plus équilibrée, appelant à une étude approfondie et à une limitation plutôt qu’à un bannissement, puisqu’il reconnait certains bienfaits non seulement des ailerons, mais aussi du correcteur d’assiette. On en est là dans un MotoGP qui a pour vocation tout de même d’aligner des prototypes, au contraire du WSBK. Et une moto efficace, c’est une moto qui se montre la plus rapide en respectant un règlement, ce qui met en exergue le savoir-faire de ses concepteurs qui doivent être félicités pour ça et non mis à l’index ou ridiculisés. Il faut de tout pour faire un monde et aux nostalgiques de la machine simple et épurée d’antan, on leur donne rendez-vous à la « Sunday Ride Classic » en juin au Castelet.