Ce n’est rien de dire que, depuis la fin de cette saison 2022, Carlo Pernat est un homme inquiet. Pourtant, il a de quoi être satisfait de ce millésime qui a vu son poulain Enea Bastianini éclore au point de prendre maintenant racine dans le box officiel Ducati. Avec sa troisième place au championnat, il a aussi eu sa prime exceptionnelle qu’il a si bruyamment défendu. Mais le manager chroniqueur s’inquiète pour le paddock et la catégorie. Et il le fait savoir en attaquant frontalement Carmelo Ezpeleta. Pour tout dire, il se demande si Dorna, dont il reconnait les mérites de 1922 à 2020, est encore à la hauteur de la situation. Une charge au cœur du dispositif qu’il est le seul à mener.
Quelle mouche a donc piqué Carlo Pernat ? A un moment où le MotoGP aborde des défis cruciaux qu’il faudra relever dès 2023 pour ouvrir une nouvelle ère carrément nécessaire à la pérennité de tout le dispositif, on supposerait une cohésion des acteurs pour avancer en rang serré vers l’échéance. Mais il y a visiblement des fissures et des doutes que l’Italien met au grand jour. Ce qui n’est jamais risque…
Sur Corsedimoto, il s’est ainsi exprimé sur le promoteur Dorna et son patron Carmelo Ezpeleta d’une façon qu’ils n’ont sans doute pas l’habitude d’entendre… Reste à savoir si cela engendrera une écoute… Le manager d’Enea Bastianini et de Tony Arbolino dit ainsi : « nous devons beaucoup à Dorna, quand elle nous a repris en 1992, nous étions honnêtement un peu gitans » reconnait-il dans un premier temps. « Certains avaient des pantalons rouges, d’autres des chemises jaunes, d’autres vertes… Nous n’étions pas très professionnels. Elle est entrée, elle a fait une belle opération marketing et à mon avis elle a bien travaillé jusqu’en 2020 ».
A partir de là, tout s’est rapidement gâté : « puis la pandémie a un peu tout gâché… Il y a eu un manque de spectateurs, et Dorna a certainement perdu beaucoup d’argent. Alors le fonds Bridgepoint a mis la pression ». Et il en identifie ainsi les conséquences : « à ce moment-là, Dorna a pris des décisions instinctives plutôt que de raisonner à leur sujet. Il y avait deux chemins : soit vous preniez deux managers comme la F1, par exemple un Davide Brivio et un commercial, soit vous preniez un chemin plus familier. Il a parfaitement le droit de le faire, mais les premiers signes ne sont pas très positifs, car au lieu d’engager des professionnels, il a pris des membres de sa famille ».
Carmelo Ezpeleta a déjà répondu à Carlo Pernat : « est-il interdit d’être mon neveu ? »
Une évaluation qui ne pourra que blesser les personnes concernées… Mais Carlo Pernat assume : « c’est très dangereux, c’est un championnat du monde, certaines décisions doivent être prises au bon moment et avec les bonnes personnes ». Et il identifie déjà quelques dégâts : « par exemple, la décision viscérale de ces courses de sprint, sans en parler avec les pilotes ni même avec les constructeurs, est incompréhensible. Avec tous les problèmes liés, car s’il y a des courses de sprint il faut aussi qu’il y ait des primes pilotes. L’assurance coûte beaucoup plus cher… Vous pourriez faire comme la F1, n’en faire que quatre ou cinq et comprendre ce qui en est ressorti. C’est une décision qui, à mon avis, n’a aucune logique. Ce sont des choses qu’il fallait évaluer et il y a aussi l’absence de la Fédération Internationale qui laissent tout faire ».
A écouter Carlo Pernat, on n’est pas loin de la panique devant l’actionnaire poussant à se recroqueviller sur son pré carré, une réaction instinctive, rassurante mais mortifère puisque, disons les choses telles que l’Italien les présente, Dorna sombrerait dans le coupable népotisme. On ne peut décemment pas faire plus sévère… Carlo Pernat fait allusion à la décision de Carmelo Ezpeleta de mettre aux fonctions de FIM Safety Officer, en lieu et place de Franco Uncini qui a choisi de quitter son poste, Bartolomé « Tomé » Alfonso qui est son neveu. Une parenté qui n’a échappé à personne. Et qui s’ajoute au fait que le fils de Carmelo, Carlos, est employé par Dorna en tant qu’officier sportif et que sa fille Ana s’occupe de l’Asian Talent Cup.
Certes, mais comme a déjà répondu Carmelo Ezpeleta : « est-il interdit d’être mon neveu ? ». Car le nouveau venu a un CV qui parle pour lui, une expérience qui lui donne les compétences pour assumer cette nouvelle charge. Et partout où il est passé, il n’a laissé que des bons sentiments. Par ailleurs, dans de nombreuses équipes du paddock, de Tech3 à Gresini et Pons, la relève familiale a pris le relais. De son côté, Carmelo Ezpeleta n’est pas seulement un actionnaire majeur de Dorna depuis 1993, il jouit de la pleine confiance des principaux actionnaires Bridgepoint Capital et de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada.
Il faudra donc juger sur pièce des résultats de tout ce remue-ménage mais il est clair que l’inquiétude est grande dans le milieu qui a assurément compris que 2023 devra être un succès à tous les points de vue. Carlo Pernat, par sa sortie à la sulfateuse, a moins ancré ça dans tous les esprits.