Grand Prix de France MotoGP, Bol d’Or et 24 Heures Motos en EWC, sont les trois rendez-vous majeurs motocyclistes dans l’hexagone, et les trois souffrent du même mal: les rupteurs y envahissent la nuit !
Faire du bruit n’est pas, n’est plus, dans l’air du temps, et même les motos de compétition sont maintenant soumises à des réductions sonores de plus en plus sévères, faute de s’aliéner une opposition toujours plus farouche. Pourtant, lors de chacun de ces grands rendez-vous, la nuit est envahie par le son des motos inlassablement au rupteur jusqu’au petit matin, gênant le sommeil des « honnêtes gens » qui auraient la prétention de vouloir dormir dans les campings environnants.
Cette année, lors du Grand Prix de France, cela a même commencé dès le mercredi soir, pour se répéter le jeudi, vendredi et samedi. Malgré toutes les mesures prises, nombreuses, pour endiguer le phénomène, ce qui est généralement considéré comme un fléau nuisant à l’événement se poursuit sans relâche, même si on peut noter épisodiquement une amélioration ponctuelle.
« Aberrant et débile ! » diront les plus
virulents, « incompréhensible » qualifieront les
plus placides, dont nos faisons partie. Mais pour comprendre,
encore faut-il se parler, et c’est ce que nous avons fait en
interviewant un défenseur de la cause de ces musiciens de
l’échappement.
Soyons honnêtes, notre première surprise est venue du fait que
notre interlocuteur ne correspondait pas à l’image que nous nous en
faisions, d’autant que son language et sa présentation en feraient
presque le gendre idéal…
Nous avons donc cherché à comprendre l’intérêt qu’il portait à
cette activité, jusque là uniquement nuisible pour notre sport, à
nos yeux.
Alexandre, peux-tu te présenter
?
“Je vais avoir 30 ans le mois
prochain. Je suis motard,
j’ai
passé
mon
permis
moto à 18
ans,
mais
j’ai
vite
arrêté
la route et
là
je
fais
de la
piste
avec
une
ZX 7R et
un
GSXR 600
quand
j‘ai
le
temps.”
Tu es donc passionné de moto et tu vas voir les épreuves
dans ta région, c’est à dire grosso
modo au Paul Ricard…
« Voilà. On va tous les ans au Bol d’Or, à la SRC, et après je suis toutes les courses Moto3,
Moto2 et MotoGP à la télé tous les weekends de course. »
Donc tu vas voir le Bol d’Or et tu dors dans un
camping où on sait que souvent c’est bruyant, avec des bruits de
rupteurs tard dans la nuit, comme il y a les tronçonneuses au
Mugello. Visiblement, ça ne te dérange pas, voire même tu es un peu
solidaire. Est ce que tu peux nous
expliquer ?
« Ce qui m’a fait le déclic, déjà
c’est c’est l’ambiance quand arrive la nuit dans le camping de la
ligne droite du Mistral. Il y a une espèce d’ambiance qui est
assez folle, où on voit vraiment les flammes des rupteurs qui se
reflètent sur les pins. C’est un peu comme à l’époque
le rallye de Monte-Carlo, avec les
flashs et tout le monde qui a son petit feu de camp. Tu as les les
rupteurs des bagnoles qui descendent ou qui montent à fond. C’est
une ambiance avec énormément de bruits et de lumières qui est assez
fascinante. Puis après, il y a ce côté moto. J’adore la moto, et
voir ce que peut subir une moto, c’est assez extraordinaire. Il y a
des mecs qui sont vraiment passionnés, il y a des équipes qui
travaillent à peu près toute l’année pour préparer des motos et
accumuler des vieux pneus. J’ai
vu des équipes aui se relayaient: dès qu’une moto tombait en panne,
c’était le collègue qui prenait la
suite.
C’est organisé à ce point
?
Ah oui, c’est très organisé, par des
passionnés. J’ai vu une équipe qui s’appelait la Rup’team 38, ils
avaient des rangées de pneus alignés, ils étaient 5 ou 6 et ils se
relayaient.
Rappelle-nous, c’est pour quoi faire, les pneus
?
« C’est pour les cramer. Ils
faisaient des burns et ils cramaient les pneus. C’est le
mélange burn plus rupteur, donc
ça devient irrespirable. Bon, les burns c’est moins cool quand tu
es dans ta tente.
Mais c’est une ambiance, quand on arrive
dans le camping il y a du bruit dans tous les sens, il y a des gens
qui se déplace en petits groupes pour aller voir les rupteurs.
Enfin, c’est un peu comme n’importe quelle passion en fait, tu te
retrouves à parler moto avec le mec à côté de toi, qui est venu là,
pour ça”.
Tu ne peux pas parler, il y a des moteurs à fond au
rupteur !
« Oui, mais ça ne dure pas. Au même
endroit, ça ne va pas durer pendant des heures.
Il y a aussi le fait que, par
exemple, au Bol d’Or, arrive 1 h du matin où dans le village tout
est fermé, tu ne peux plus t’acheter à bouffer, tu ne peux plus
t’acheter un coup à boire. Alors qu’est-ce que tout le monde fait,
passé 1 h du matin ? Bah une fois que tu as passé une heure à
regarder les motos rouler en bord de piste, tu prends ta bière, tu
vas dans la ligne droite du Mistral, tu rencontres des gens
et tu t’en prends plein les yeux et les oreilles. Moi, c’est
quelque chose que je ne connaissais pas vraiment avant le Bol d’Or,
c’est vrai. Pour moi, le mec qui faisait des rupteurs , c’était un
peu le con, le mec qui ruine sa moto, alors que, bon, quand la moto
est chaude, ce n’est pas deux rupteurs qui vont flinguer le moteur,
quand tu vois ce qu’ils arrivent à leur mettre sur des heures et
des heures et des heures et des heures. Les japonaises sont
incroyables ! C’est incroyable ce qu’ils arrivent à faire avec des
moteurs.
Et puis, ce qui me plaît dans ce côté un peu casse-couilles, un peu rebelle, c’est que quand j’ai annoncé la première fois aux vieux de mon boulot que ce weekend j’allais au Bol d’Or, tout le monde m’a dit “le Bol d’Or, c’était mieux avant !”, “les Grands Prix, c’était mieux avant”, “c’était mieux avant, c’était mieux avant, c’était mieux avant”… Et c’est relou ! J’ai commencé le Bol d’Or, j’avais 20 ans, et le premier truc qu’on te disait en allant là-bas, c’est “ouais mais de toute façon c’était mieux avant”. OK, c’était peut-être mieux avant, mais écoute, qu’est ce qu’il nous reste maintenant ? Bah il nous reste toujours des motos qui tournent, et toujours de la bière que tu payes bientôt 10 balles ta pinte. Alors il te reste des rupteurs à 02h00 du matin, des mecs qui font fumer des pneus, qui font cramer des moteurs. Et quand tu te dis que peut-être que maintenant sur la route, dans 5 ans, dans 10 ans, j’exagère peut-être le trait, mais on sera tous à l’électrique. Et quand tu entends tous les anciens, tous nos parents dire “à l’époque on faisait les cons, on était en mobylette, on tournait en mobylette et on faisait les cons à mobylette ou à moto », Eh bien nous maintenant, à notre époque, on ne peut plus faire les cons à mobylette. Même sur ta mobylette, il faut un contrôle technique ! J’ai encore eu un peu la chance d’avoir eu une 50 débridée pour pouvoir faire un peu le con, mais c’est tout, et je me dis que ce qu’il nous reste, c’est un festival moto où quelques mecs font des conneries avec des motos. J’ai la chance de connaître ça. Si ces mecs ne se battent pas pour faire un peu de bruit, dans les 2 sens du terme, il ne nous restera plus rien. A 01h00 du matin, le village exposant sera fermé, on se retrouvera encore avec les derniers vaillants en bord de piste jusqu’à 2 ou 3 heures du matin entre nous, mais il manquera une ambiance, une chaleur pareille dans les deux sens du terme, qui ne sont pas encore tout à fait interdites.
Autant sur la route de tous les jours, faire du bruit, je ne suis pas pour et je comprends tout à fait les législations qui veulent réduire le bruit sur la route. Mais sur circuit, ça me fait chier qu’ils réduisent au maximum, encore et encore et encore. Mais je me dis que j’ai la chance de connaître ça, même si ce n’est peut-être “que ça” par rapport à ceux qui disent “c’était mieux avant”. Mais je pense que quand u vas dormir au Mistral, tu sais comment ça va être. Moi j’ai toujours dit “tu viens au Bol d’Or pour les rupteurs et tu repars à cause des rupteurs”, parce qu’effectivement, au bout de 3 ou 4 jours, t’en as plein le cul quoi. Mais tu ne peux pas râler, car tu y va en toute connaissance de cause. Tu vas à un festival moto, tu sais que ça va être des déglingos (rires). Il ne faut pas se mentir, il de l’alcool, même si je n’ai j’avais vu personne de vraiment déchiré, et ça aide à faire des rencontres. On est tous là autour de la même passion, ça fait du bruit, il y a une odeur d’huile, d’essence, des mecs qui se sont fabriqués un pot d’échappement d’un mètre cinquante de long sur 80 centimètres de diamètre. C’est un peu iréel mais c’est une manière de s’exprimer et c’est un défouloir. Bah pendant quatre jours c’est génial quand au quotidien on te parle de l’électrique, de l’écologie, du machin. Laissez-nous tranquilles, quoi !”
C’est intéressant. Mais à l’heure où on s’oriente
clairement vers un spectacle plus familial, où il y a de plus en
plus de familles, d’enfants, et de moins en moins de mecs bourrés,
que réponds-tu à ceux qui se plaignent du bruit nocturne
?
“Je comprends que si tu arrives avec ta
petite famille, il vaut mieux choisir un coin plus calme. Au Bol
d’Or, c’est ce qu’il y a. Ce qui
est dommage, c’est que c’est réservé aux motos, ou alors il faut te
garer en voiture et marcher jusqu’au camping du lac, où là c’est
beaucoup plus tranquille. Tu y dors très bien, tu n’auras presque
pas de rupteurs, 1 ou 2 par-ci, par-là, mais c’est vraiment anecdotique. C’est une bonne solution là-bas,
mais c’est réservé aux motos ou
aux piétons. Au Mistral, il y a tellement de monde que tu as très
peu de place, il faudrait
peut-être un peu segmenter, parce que ça manque de place, surtout
si tu arrives un peu tard, le vendredi passé 18 heures, tu te mets
là où tu peux. Et là où tu peux, c’est souvent là où personne n’a
voulu se mettre, donc en plein milieu des rupteurs (rires). Je
comprends qu’il faut que ce soit un festival moto pour tout le
monde, mais les rupteurs sont quelque chose qui fait partie
intégrante du Bol d’Or. Et puis je suis persuadé que dans un an, 2
ans, 3 ans, 5 ans, ce sera interdit, et comme ça y est encore, je
ne pourrai pas me plaindre, parce que j’aurais connu ça, même si ça
me fera chier de dire à mon minot dans 20 ans, « c’était
mieux avant!”
Merci Alexandre.
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