Aleix Espargaró a signé sa première victoire au terme de son 200e départ en MotoGP ce dimanche sur le circuit Termas de Río Hondo, en Argentine. Le pilote Aprilia est revenu sur sa prestation lors de la conférence post-course, et nous vous retranscrivons ici l’intégralité de ses propos.
Aleix, vous avez enfin
réussi à vous imposer pour votre 200e participation en MotoGP après
avoir signé votre première pole-position avec Aprilia hier.
Pouvez-vous nous décrire vos émotions ?
« Je suis
vraiment content, car je dois dire que depuis le Qatar, voire même
depuis les essais hivernaux, j’ai pris conscience que j’avais entre
les mains la meilleure machine que je n’ai jamais eue de toute ma
carrière. Bien sûr, il est toujours difficile de savoir durant la
présaison si cette moto peut vous permettre de vous battre
précisément pour le top 10 ou le top 5. Mais cela étant dit, je me
suis senti proche des têtes d’affiche lors de chacun des tests
hivernaux. Aujourd’hui, ce ne fut pas une course disputée sur le
mouillé, ou une course qui se jouait sur un coup de chance. Non, je
pense qu’hier nous avons prouvé que nous étions les plus rapides en
qualifications, et aujourd’hui ce fut la même chose en course. Tout
cela me rend extrêmement heureux, d’autant plus que nous sommes
probablement dans l’une des saisons les plus difficiles : le niveau
de mon coéquipier est énorme, tout comme celui de tous les
constructeurs impliqués. Je suis très content non seulement pour
moi, mais aussi pour toute l’équipe dans le paddock et à Noale. Je
suis très content aussi pour ma famille, car à 32 ans j’ai enfin
atteint cet objectif, et je pense que je le mérite. »
Vous êtes passé par des
moments difficiles, non seulement vous mais aussi Aprilia qui a eu
beaucoup de mal en revenant dans la catégorie reine en 2015. Quand
vous regardez derrière vous, vous devez vous dire que vous avez
bien fait de vous serrer les coudes lorsque vous vivez des jours
comme aujourd’hui…
« Je suis évidemment très
content d’avoir remporté la course, mais ça ne change rien chez moi
: je suis une personne très chanceuse. Ma passion est mon travail,
j’ai une famille de rêve, j’ai tout ce qu’un homme peut rêver.
Cette victoire ne va pas changer grand-chose dans ma vie, mais pour
tout le monde chez Aprilia c’est une étape énorme de franchie. Je
me souviens qu’en 2017 quand j’ai quitté Suzuki pour rejoindre
Aprilia, personne ne voulait rejoindre cette équipe. Personne ne
croyait alors au projet, donc le fait d’atteindre cet objectif,
c’est incroyable. »
Vous menez à présent le
championnat. Pensez-vous pouvoir vous maintenir à cette position à
l’avenir ?
« Cela va être très difficile. Nous
sommes dans le coup pour la victoire, c’est une certitude, car
comme je l’ai dit auparavant nous méritons totalement cette
victoire car aujourd’hui ce n’était pas une course sur le mouillé
ou autre. Il faut néanmoins garder les pieds sur terre, car le
championnat est très long cette année. Si nous ne commettons pas
d’erreur, alors oui je pense que nous pourrons nous battre pour le
podium et la victoire chaque weekend. Je vais tout faire pour en
tout cas. Je suis très content de ce que nous avons fait
aujourd’hui, mais je songe déjà à Austin, à Portimão ou bien encore
Jerez, et j’aimerais bien conserver cette dynamique. Je suis entré
dans la seconde partie de ma carrière car j’ai 32 ans, et je veux
par conséquent finir de la meilleure façon possible. »
Les derniers tours vous ont
vu au coude à coude avec Jorge Martín. A quel point ces dernières
boucles ont-elles été stressantes, sachant que vous étiez vraiment
proches et connaissant vos liens d’amitié très étroits
?
« Ce ne fut pas facile, car dès le début de la
course je savais que ça ne se passerait pas comme lors des essais
libres, car je sais très bien que Jorge est un killer le dimanche.
Dès que les lumières s’éteignent c’est un killer, et ce ne fut pas
facile pour moi de le suivre et j’ai fait quelques erreurs. J’ai
touché à l’électronique, par exemple j’ai essayé de jouer avec le
traction control pour économiser le plus de pneu en vue des
derniers tours. Mais Jorge a été très courageux, car il a tenu le
coup durant la majeure partie de la course. Durant ma carrière j’ai
toujours mis un point d’honneur à dépasser de façon propre et à
livrer des batailles loyales, d’autant plus quand c’est face à un
ami. Mais même si on se serait touchés, comme cela a pu être le cas
lors des dernières courses, cela aurait fait partie du jeu.
»
Vous en êtes à votre sixième
saison avec Aprilia. Pouvez-vous nous dire ce qui a changé ces
derniers temps pour que l’équipe parvienne à vous fournir une moto
apte à jouer la victoire ?
« Beaucoup de choses
ont changé depuis 2017, mais je dirais que l’organisation a
beaucoup changé depuis que Massimo Rivola nous a rejoint il y a
trois ans. Romano Albesiano chapeautait un peu tout jusque-là, mais
Massimo Rivola a changé l’organisation à Noale ainsi que la façon
de travailler. Romano Albesiano s’est davantage concentré sur le
développement de la moto. La RS-GP22 est désormais l’une des
meilleures motos au monde, et je pense que par conséquent
l’organisation qui a été mise en place par Massimo a été la clé de
notre succès. Notre potentiel était là de toute façon, les
ressources ont été augmentées au cours des dernières saisons ainsi
que le nombre d’ingénieurs, car de toute façon il n’aurait pas été
possible d’atteindre un tel résultat sans cela. Mais passé cela,
les gens qui ont débuté le projet sont toujours à Noale, et c’est
quelque chose qui me rend très heureux et fier. »
Aprilia a pendant longtemps
été un constructeur sous-évalué. On imagine que vous appréciez le
fait de pouvoir prendre votre revanche aujourd’hui.
«
Je me souviens très bien quand j’étais chez Suzuki avec
Maverick et que je n’étais pas performant. Lorsque Aprilia m’a
appelé, on ne peut pas dire que je faisais partie des pilotes les
plus rapides. Aucun bon pilote ne voulait rejoindre cette équipe,
et personne ne croyait au projet. Alors dès le premier jour je me
suis dit que j’allais essayer de mettre cette moto au premier plan,
et je n’aurais jamais pensé que cela m’aurait pris autant de temps,
mais finalement j’y suis parvenu après cinq ans. Il y a trois ans
j’essayais de convaincre des pilotes de Moto2 de venir chez
Aprilia, mais ils me répondaient qu’ils préféraient attendre qu’une
autre moto soit disponible. Tout cela m’a donc donné plus de
motivation, et je me suis dit que plus tard ces pilotes allaient se
souvenir de ce jour où ils ont dit non à Aprilia. Hier, juste après
ma pole-position, les pilotes avec qui j’ai courus chez Aprilia, à
savoir Sam Lowes, Scott Redding ou bien encore Andrea Iannone m’ont
envoyé des messages pour me dire à quel point ils étaient contents
pour moi et pour Aprilia, car ils savent très bien à quel point
cela a été difficile. Je pense qu’il reste encore beaucoup de
travail à effectuer, mais les jeunes pilotes présents en Moto2 et
Moto3 perçoivent désormais le projet d’Aprilia de façon un peu plus
sérieuse, et le considèrent comme une éventuelle option viable pour
leur avenir. Je pense que c’est quelque chose de bien pour notre
sport, car dans les faits tous les constructeurs sont dans le coup
à présent, et vous pouvez vraiment vous imposez avec n’importe
quelle moto. Cette année Ducati a déjà gagné, tout comme KTM, mais
Honda est aussi très forte, tout comme Suzuki et Yamaha. »
Nous n’en sommes qu’à la
troisième manche de la saison, et pour autant tous les
constructeurs sont déjà montés sur le podium. Qu’est-ce que cela
veut dire au sujet du championnat selon vous ?
«
Pour moi ce n’est pas une surprise, car nous savions depuis
l’année dernière déjà que nous avions un avantage. Nous avions
certes la moto la plus sous-évaluée, mais nous savions que nous
pouvions combler l’écart. Il y a quelques années vous n’aviez que
deux constructeurs qui se battaient pour la victoire, mais
maintenant vous en avez six, donc c’est vraiment très sympa,
fantastique. »
On vous a vu serrer votre
frère Pol dans vos bras dans le Parc Fermé. Pouvez-vous nous
décrire ce moment ?
« Pol a un caractère très
différent du mien, et je sais à quel point c’est difficile pour lui
lorsqu’il chute. Quand il est venu me voir il était presque en
train de pleurer. Il sait que j’ai une mentalité de gagnant, et que
j’ai beaucoup travaillé pour cela, et je pense donc que ma victoire
du jour a rendu sa chute moins douloureuse pour lui. Je suis triste
pour lui car il faisait une très belle course et menait une belle
bataille face à Álex Rins. Cela aurait été bien de le voir aussi
sur le podium, mais au final il est venu me féliciter dans le Parc
Fermé, et c’était très sympa. »
Le moins qu’on puisse dire,
c’est que la piste était très bosselée. Comment avez-vous fait pour
vous accommoder de cela durant le weekend ?
«
C’était vraiment difficile franchement. L’Aprilia et les bosses
ne font pas vraiment bon ménage. J’ai été en difficulté tout le
weekend de ce point de vue-là, et l’usage du ride-height device à
l’arrière était vraiment délicat sur ces aspérités. Par ailleurs la
piste avait vraiment un faible niveau de grip aujourd’hui. Je ne
sais pas à quoi cela était dû : la température, le passage des
moto2 et moto3 juste avant… Cela a été difficile pour tout le monde
je pense. »
Quand vous regardez votre
carrière, lorsque vous étiez en championnat de vitesse espagnol
vous étiez déjà avec votre frère, mais aussi Marc Márquez ou bien
encore Tito Rabat. Ils se sont tous mis par la suite à remporter
des courses. Cela vous a-t-il fait douter à un moment
?
« Cela n’a clairement pas été facile, mais il ne
peut y avoir qu’un seul vainqueur. J’ai une vie de rêve. J’ai fait
de ma passion mon métier. Je suis payé pour cela, et j’ai une
famille magnifique. Alors même si je ne gagnais pas et que je
rencontrais de grosses difficultés, c’était mon travail. Plusieurs
fois dans ma carrière je n’ai pas été au niveau, mais d’autres fois
c’était assez frustrant car j’étais très fort mais n’avais pas la
moto pour obtenir de bons résultats. Les choses sont ce qu’elles
sont, et au final les résultats arrivent. Certains pilotes peuvent
remporter un titre très jeune et par la suite disparaître de la
circulation et rentrer chez eux. Il y a beaucoup d’exemples comme
cela de pilotes Moto3 et 125cc qui ne sont plus en compétition.
Mais pour moi c’est l’inverse, comme le bon vin je me bonifie avec
le temps ! »
On vous a vu avec votre
femme au téléphone dans le Parc Fermé. A quel point son soutien
a-t-il été important au cours de toutes ces années ?
«
Par moment cela a été difficile, mais quand je dis que ma femme
Laura est le meilleur soutien que je n’ai jamais eu, je ne dis pas
de bêtise, c’est la stricte vérité. Quand je rentre chez moi, elle
arrive toujours à me procurer un soutien inconditionnel, et je me
souviens que par le passé quand je rentrais chez moi il m’était
impossible de ne pas penser à ma mauvaise course du dimanche. Mais
lors des trois ou quatre dernières années, elle et mes enfants ont
vraiment fait ma force. Ils m’ont donné une énergie vraiment
positive. Dans les faits je pense que je pilote toujours de la même
façon, mais à présent j’ai un état d’esprit bien plus positif, et
c’est quelque chose qui a été incontestablement déterminant.
»
Ces dernières années, vous
avez évoqué à plusieurs reprises votre volonté de prendre votre
retraite. Est-ce que votre résultat du jour est suffisant pour vous
inciter à continuer dans la discipline ?
« Il est
clair que ce ne serait pas juste pour moi d’arrêter maintenant. Je
pense qu’après tout le travail que j’ai fait, ce serait plus juste
pour moi de poursuivre encore une ou deux années. Je me sens
suffisamment bien pour continuer, et franchement je ne me préoccupe
pas vraiment de l’avenir. Je veux continuer à prendre du plaisir
ici à essayer d’être compétitif et rapide. J’ai encore suffisamment
d’énergie pour continuer à courir, et dans le même temps pour moi
c’est très difficile d’être éloigné de ma famille. Si je parviens à
rester devant au championnat ou à pouvoir jouer la gagne sur les
courses, cela rendrait cette situation plus facilement
supportable. »
Pensez-vous que le fait de
n’avoir qu’une seule journée d’essais a pu vous aider d’une
quelconque manière que ce soit ?
« Je crois que le
temps de roulage que nous avons eu était au final plus ou moins le
même qu’au cours d’un weekend de course normal. Bien sûr, nous
avons dû travailler d’une façon différente. Ducati a énormément de
motos en piste, donc ils peuvent bénéficier de toutes les données
qu’ils veulent et établir plus facilement une bonne configuration
pour la course. »
Quand allez-vous décider si
vous prenez votre retraite ou non ?
« J’aimerais
bien rester une ou deux années de plus, mais tout de suite je veux
juste savourer le moment présent. Je veux profiter de cette moto et
de ce moment, car je pense que ce championnat va être une très
bonne opportunité pour moi. Je ne souhaite pas penser à mon avenir
pour l’instant. »
Tous les pilotes sont très
contents de votre victoire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous
?
« Je pense que c’est l’une des choses qui me
rend le plus heureux. Comme j’ai eu l’occasion de le dire
auparavant, cette victoire ne va pas changer ma vie. Mais voir la
façon dont tout le monde réagit, et ce dans chaque équipe, c’est
fantastique. Vous ne pouvez pas imaginer combien de messages j’ai
reçus hier suite à ma pole-position. C’est quelque chose de très
important pour moi car cela signifie que les gens m’apprécient. Je
remercie tout le monde pour cela. »