De façon très régulière, et depuis maintenant deux années, Hervé Poncharal nous fait l’honneur de nous partager son point de vue après chaque Grand Prix (Voir ici).
Écouter ses propos qui sont le fruit d’une expérience de 40 ans
est toujours un plaisir, d’autant que l’homme n’a pas sa langue
dans la poche. Nous vous partageons ainsi ses émotions, qui peuvent
fluctuer au fil des épreuves de la déception à la plus grande des
joies, sans pour autant occulter les petits grincements de dents
passagers ou, au contraire, les envolées qui vont bien au-delà du
sport…
Et nous l’en remercions grandement !
Accédez à la première partie : le départ inédit !
Accédez à la deuxième partie : les incidents et les réseaux sociaux…
Venons-en maintenant aux courses proprement dites. Aussi bien en Moto2 qu’en MotoGP, il est impossible que vous ne soyez pas pleinement satisfait…
« Oui, c’est évident que c’est peut-être passé un peu inaperçu à cause des polémiques dont on vient de parler, mais je suis parti d’Argentine extrêmement heureux. Franchement, cela a été un week-end très très dur, pour les pilotes et pour les équipes techniques. On vient d’en parler, pour les officiels et la Direction de course aussi. Donc chez nous aussi, techniquement, cela a été dur à gérer : pluie, sec, averses, piste séchante, slicks avec des patchs d’humidité un peu partout. Il est donc évident que la sérénité des pilotes, la Vista des techniciens par rapport à des décisions de réglages, que ce soit pendant les qualifs ou bien entendu pendant la course, tout cela a été primordial et on a encore vu qu’on a eu un podium intéressant puisqu’on a eu 2 équipes satellites aux 2 premières places et une usine, qui n’était plus abritée abonnée au podium, de retour, avec en 4e position une Ducati qui n’était pas officielle non plus. Donc 4 marques aux 4 premières places, pas forcément les gros bras qu’on attendait, et pas uniquement à cause des échauffourées qui ont eu lieu car sur le rythme de course, il y en avait qu’un qui pouvait être devant, c’était Márquez. je suis donc très satisfait parce que Johann a encore fait un boulot incroyable d’implication, de clairvoyance sur le plan technique et au niveau pilotage. Je peux vous dire que le vendredi soir, ça a été compliqué. Il en a moins parlé que la réalité mais il n’était pas satisfait car il n’était pas à l’aise sur la moto. Samedi, même si on a fait une belle qualif, on a eu la pluie toute la journée donc pas la possibilité de valider ce que pourrait être le réglage sec. Or, la course a eu lieu sur le sec et force est donc de reconnaître que Johann avec Guy Coulon et Alexandre Merhand ont trouvé la parade, même s’il manquait 2/10 pour gagner.
Quand on fait un petit peu le point après la 2e manche du championnat, les essais hivernaux se sont quand même plutôt passés favorablement, pole position au Qatar, en tête 17 tours sur 22 au Qatar et on sait pourquoi il y a eu entre guillemets cette contre-performance qu’est la 8e position, et puis re-première ligne en Argentine et 2e place sur le podium. Donc je suis excessivement heureux, et fier d’avoir Johann dans nos rangs, car c’est quand même un pilote qui, course après course, nous bluffe et continue de nous bluffer. Il nous impressionne, sans se plaindre en permanence comme on peut l’entendre ailleurs.
Et on n’en parle peu à cause de l’effervescence focalisée sur l’incident 93-46, mais la performance qu’a fait Syahrin est tout simplement fabuleuse. Fabuleuse car on oublie d’où il vient ! Il y a quelques mois, peu de gens à par les réels connaisseurs connaissaient son nom. La dernière fois qu’il a roulé sur une moto de course, c’était au Grand Prix à Valence : il n’a fait aucun test en moto depuis, jusqu’à ce qu’il monte sur la MotoGP à Buriram en février. 2 séances d’essais, le Qatar on a vu ce qu’il y a fait, et là, c’était impressionnant parce que en partant dernier suite à une qualif un peu loupée, le seul petit bémol de son week-end complet, il est remonté sur les basques des 2 Factory Yamaha. Un moment donné, il s’est retrouvé avec Rabat et Petrucci qui avaient des motos plus rapides que nous dans la ligne droite et il a un peu perdu le contact. Mais malgré tout, premier Rookie, 9e position, avec une moto qui est quand même une moto qui est relativement en-deçà de ce que sont les 3 autres Yamaha sur la grille. C’est fabuleux quand on sait ce qu’était ce gamin. Et c’est aussi fabuleux parce que je pense qu’il ne se rend pas compte. C’est pour ça qu’il n’a pas de pression et c’est pour ça qu’il sourit et rigole toujours. C’est comme s’il n’avait pas encore réalisé qu’il était en MotoGP ni la puissance de ses performances. Il continue de, quand je dis jouer entre guillemets il ne joue pas car il travaille beaucoup et les gens de Michelin m’ont d’ailleurs fait des gros compliments sur son ressenti. Et c’est génial de voir un petit gars comme ça qui est tellement humble, qui est tellement comme un minot devant un sapin de Noël, se faire plaisir et se bagarrer avec tous les gros bras qui ont des moyens techniques, financiers et humains totalement en décalage de leur côté. C’est beau ! Je ne dirais pas que c’est David contre Goliath mais le côté humain est génial. Tenez, vous me demandez souvent une anecdote : en voilà une. Ce week-end, il avait oublié sa veste dans sa chambre d’hôtel, et donc, il emprunte la veste à quelqu’un car il faisait un peu frais sur le circuit. En Malaisie, beaucoup de gens roulent sur des petits deux-roues et ont la caractéristique de mettre leur veste à l’envers, avec la fermeture derrière. Ils roulent tous comme ça. Et bien, quand on lui a donné sa veste, il l’a mise à l’envers comme tous les minots qui roulent en ville à Kuala Lumpur pour aller au lycée sur leur petite moped. Je trouve ça génial, parce qu’il a gardé cette fraîcheur, cette décontraction et cette insouciance que beaucoup de top guns ont perdu. On est donc super heureux, de sa perf et de l’avoir avec nous. Là, il est comme un fou parce qu’il est parti avec ses copains Kaihruddin, Norrodin et Sasaki, qui sont en Moto2 et Moto3, au ranch de Colin Edwards pour faire du dirt. Franchement, je suis très heureux parce que c’est une bouffée d’air pur et d’oxygène d’avoir un gars comme ça.
Et puis, je n’oublie pas Remy Gardner, car c’est quelqu’un qu’on adore, pas seulement parce que c’est le fils de Wayne qui était notre ami, mais aussi parce que c’est un jeune, marrant et un peu décalé. Mais on avait un peu des doutes. C’est vrai que l’année dernière, à chaque fois qu’on voyait qu’il avait des flashs de talent, il n’arrivait pas à concrétiser. Et à chaque fois que cela comptait, il perdait un peu ses moyens. Et là, il nous a déjà fait un week-end très très solide au Qatar, et en Argentine, il nous a fait un week-end plus que solide ! Quand je l’ai vu faire le meilleur temps en FP3, j’ai été franchement bluffé et j’ai espéré que les conditions seraient humides car il est fort dans celles-ci. Comme la course s’est passée en slicks, j’ai été un peu plus dubitatif et quand je l’ai vu qui se faisait un peu décrocher par les 4 premiers, je me suis dit « aïe, aïe, aïe ! Ça c’est que ce qu’il n’aime pas et il a du mal à rouler vite seul. Il va commencer à cogiter, à baisser de rythme et à perdre le moral ». Et bien c’est le contraire qu’il a fait : même si c’était dur il s’est concentré pour garder le rythme seul, il a progressé tour après tour et a fait ses meilleurs chronos sur la fin, et il a quand même gardé des gars comme Aegerter et je crois Sam Lowes derrière lui, et a même augmenté l’écart sur eux. Je veux lui tirer mon chapeau parce que c’est la première course Moto2 qu’il fait de manière si convaincante et qui nous fait dire « ce gars là peut devenir un grand pilote » ! Je tiens à le remercier. Je pense qu’il a été beaucoup décrié et qu’à un moment il a douté de son équipe technique, car quand ça ne marche pas, on doute de tout. Et bien, on a tout gardé, on a gardé Remy Gardner, on a gardé la même équipe, et maintenant ça marche. Comme quoi, des fois, ça vaut le coup de faire passer des messages. Cet hiver, j’ai été assez rude et clair vis-à-vis de Remy en lui disant que je le gardais mais que c’était sa dernière chance. Il y a des fois où ça rentre et ça passe, et j’ai trouvé ça fabuleux.
Je suis déçu pour Bo Bendsneyder car si quelqu’un en qui je crois
beaucoup, qui a fait un super hiver comme Rookie, mais en
Argentine, je ne sais pas si c’est la pression ou qu’il ne se
sentait pas, mais il est passé totalement à côté. Il nous a dit «
les gars, ne me parlez pas de technique, ne me parlez pas de la
moto, c’est moi à 100 %. Je ne suis pas arrivé à rouler pendant
tout ce Grand Prix ». Il s’est excusé mais il a eu une
réaction très correcte en disant « je repars de là, je rentre chez
moi et je vais essayer de tout remettre à l’heure et d’être un Bo
Bendsneyder différents aux USA ». Je lui fais confiance pour
ça.
En conclusion, on est donc une équipe heureuse chez Tech3. On sait que toutes les courses ne seront pas au niveau de l’Argentine, mais quand on voit les polémiques, quand on voit les autres qui ne se crachent pas dessus mais pas loin, je suis assez fier de mes hommes. Ça fait un peu couillon de dire « mes hommes » car je ne suis pas un général de quoi que ce soit, mais comme je l’ai toujours dit, et vous le savez, on travaille dans notre box, on reste entre nous, on essaie de faire le mieux possible en respectant tout le monde est en ne faisant pas des déclarations à l’emporte-pièce, mais en se concentrant sur être fort mentalement, être fort techniquement, partager, échanger. Et franchement, j’ai passé le week-end de course quasiment en tête-à-tête avec Johann, les petits-déjeuners, les dîners, et ça fait plaisir d’avoir ce genre de relations, ce genre d’échanges et de partage. C’est bien. C’est bien aussi de voir des équipes indépendantes sur les 2 plus hautes marches du podium, et deux équipes indépendantes qui sont 1e et 2e du classement des équipes. Je ne dis pas que ça va durer jusqu’à la fin, mais ça montre qu’avec des moyens plus limités et une stratégie différente, peut-être plus d’humain et de respect de la hiérarchie, ça peut fonctionner, et David peut chatouiller Goliath ».