On a comme l’impression d’un véritable gâchis. Le goût amer d’une impuissance à voir un enfant briser un beau jouet. Et la frustration de constater la fin du rêve d’un sport mécanique qui donnait enfin toute sa dimension aux pilotes sur la piste. Mais depuis le Qatar, le réveil est brutal. Les puissants et les dirigeants se déchirent autour d’un déflecteur monté sur le bras oscillant d’une Ducati. L’affaire se traitera dans un tribunal et le résultat acquis de haute lutte sur le bitume de Losail définitivement décidé sur le tapis vert. Le mal est fait.
La décision est à venir, mais les dégâts sont déjà là. Ce Grand Prix du Qatar n’est plus ce duel à couteaux tirés entre Dovizioso et Márquez séparés sous le drapeau à damier pour 23 millièmes, ces quinze premiers réunis en quinze secondes, ce sentiment que cette saison, décidément, allait être passionnante. Non. Ce premier rendez-vous de l’année aura été celui de la réclamation de quatre constructeurs contre un autre ouvrant un débat technique qui aurait pu être réglé bien avant.
La victoire de Ducati vacille parce que quatre autres constructeurs engagés en MotoGP ont porté réclamation après l’arrivée du Grand Prix du Qatar contre l’aileron arrière de la Desmosedici GP19. De plus en plus de voix s’expriment sur cette protestation. Aprilia, Honda, KTM et Suzuki ont attaqué sur le tapis vert la Desmosedici rouge Ducati victorieuse, en raison du rôle prétendument illégal d’un sabot arrière. Mais le plus navrant est qu’on aurait pu éviter d’en arriver là.
Les informations apparues ces derniers jours suggèrent que « tout le monde » savait que cette situation se produirait lors du premier Grand Prix de la saison 2019 ou peu après. « Tout le monde » comprend non seulement les constructeurs susmentionnés, mais également le promoteur du championnat Dorna, le directeur technique du Championnat du Monde MotoGP, et vraisemblablement les représentants de l’association internationale de sport moto FIM, présents au Qatar tout le week-end.
Les responsables d’Aprilia, Massimo Rivola et de Suzuki, Davide Brivio, ont d’abord informé Danny Aldridge, directeur technique du MotoGP, puis Gigi Dall’Igna, directeur général de Ducati Corse, qu’ils pensaient que la pièce fixée au bras oscillant était un élément aérodynamique, et pas simplement un élément dirigeant l’air vers le pneu arrière, comme le prétend le fabricant de Bologne.
Dall’Igna a rejeté ces accusations, affirmant que cette partie correspondait au point 7 de la clarification technique sur l’aérodynamique envoyée aux équipes le 2 mars. Il stipule que les déflecteurs sont autorisés à garder l’eau à l’écart de la roue arrière en cas de forte pluie, à refroidir le pneu ou à éliminer la saleté. Une série de spécifications doit être respectée pour pouvoir utiliser ces pièces légalement : elles doivent être attachées au bras oscillant, ne doivent pas se déplacer de manière autonome et ne produire aucun effet aérodynamique, c’est-à-dire aucune force d’appui.
Rivola et Brivio n’ont pas accepté la version Ducati et ont informé le directeur technique. Tout au long du week-end, il avait été prévenu à l’avance qu’une manifestation officielle suivrait si Ducati utilisait cet ajout pour la course sur les motos GP19. Il semble que le dernier avertissement ait été donné le dimanche avant le warm-up. Bien sûr, les hommes de Dorna étaient au courant de ce qui se passait.
Les trois pilotes d’usine Ducati, Andrea Dovizioso, Danilo Petrucci et Jack Miller, sont entrés dans la course avec le déflecteur … Et la manifestation a été lancée. La réclamation a été signée par quatre des cinq constructeurs MotoGP restants. Yamaha n’a pas signé parce qu’ils avaient eux-mêmes monté une aile sur le dessous du bras oscillant lors du Grand Prix de Valence, afin d’évacuer la masse d’eau qui heurtait la roue arrière lors de la course sous la pluie.
La protestation avait été initialement rejetée par l’organe responsable. Mais les plaignants avaient anticipé et remis en cause automatiquement la décision en présentant des documents techniques qui étayaient leur thèse sur les « winglets » de la Ducati.
Le commissaire d’appel de la FIM a alors déclaré qu’il ne disposait pas d’informations suffisantes pour prendre une décision après le deuxième appel et a transmis l’affaire à la cour d’appel du MotoGP, au siège de la FIM à Mies, près de Genève. Le tribunal n’a pas donné de date limite pour décider, mais il est probable que cela se produira avant le prochain Grand Prix d’Argentine, le 31 mars.
Ce sont les éléments connus actuellement. Mais les choses auraient pu se passer autrement. À la lumière de ces faits, la question se pose de savoir si les pilotes concernés étaient au courant de ce qui se passait autour des techniciens responsables de leur équipement. Dovizioso savait-il que sa victoire serait remise en question dès qu’il franchirait la ligne d’arrivée ? Logiquement, non. Inutile d’informer les pilotes de quelque chose qui pourrait les perturber. On les a donc envoyé au combat, et risquer leur vie peut être inutilement.