L’Espagnol a rejoint les grands noms de la catégorie reine lors du GP d’Espagne. Une distinction qui vient couronner une carrière prolifique.
« Toutes les Légendes du MotoGP sont des Champions, mais tous les Champions ne sont pas des Légendes. Je suis donc très heureux d’en faire partie. » C’est par ces mots que Jorge Lorenzo a accueilli son intronisation parmi les Légendes du MotoGP, en marge du GP d’Espagne qui s’est tenu le weekend dernier sur le circuit de Jerez.
Une reconnaissance qui intervient deux ans et demi après avoir raccroché, et qui vient consacrer une carrière entamée en 2002 en GP, dans la catégorie 125cc, et qui sera ponctuée par l’obtention de cinq titres mondiaux, dont trois dans la catégorie reine (en 2010, 2012 et 2015, les deux autres étant acquis en 250cc en 2006 et 2007).
L’Espagnol rejoint ainsi 32 autres grands noms de la compétition de vitesse moto, une récompense bien méritée compte tenu de ses statistiques affolantes développées en un peu moins de deux décennies : 68 victoires pour 152 podiums, 69 pole positions pour 297 GP disputés.
Une carrière emplie de moments forts
Les chiffres comptent, les événements marquants et symboliques aussi : lors de son premier sacre en catégorie reine en 2010, Lorenzo devenait ainsi le deuxième Espagnol de l’histoire à être couronné dans la catégorie reine, 11 ans après Álex Crivillé.
Des moments forts également, comme cette première victoire après seulement trois courses disputées en MotoGP en 2008 lors du GP du Portugal, à Estoril, ou bien encore ce duel (perdu) qui restera à jamais dans les annales avec son coéquipier chez Yamaha Valentino Rossi, à peine un an plus tard en Catalogne.
Mais ce sont davantage les premières fois qui ont laissé un souvenir impérissable dans la tête de l’Ibère, qui en retient trois majeurs : « Mes meilleurs souvenirs ? Pour sûr je dirais déjà ma première victoire au Brésil en 2003, car c’est ce qui m’a fait prendre conscience que j’allais pouvoir vivre de la compétition moto. Avant cela je dois dire que c’était loin d’être assuré, mais après ce premier succès j’ai été comme soulagé. Mon deuxième meilleur souvenir doit être mon premier titre en 250cc obtenu en 2006, et enfin mon troisième est mon premier titre en MotoGP en 2010, car c’est le maximum que vous puissiez obtenir dans ce milieu. A partir de là je savais que je pouvais prendre ma retraite avec le sentiment du devoir accompli, et dès lors tout ce que je pouvais faire c’était essayer de renouveler cet exploit, et c’est ce que je suis parvenu à faire à deux reprises. »
Le Majorquin a en effet récidivé en 2012 et en 2015, à chaque fois pour le compte de Yamaha, équipe qu’il avait rejointe dès ses débuts dans la discipline en 2008, pour finalement la quitter fin 2016 pour passer chez Ducati. Après une première saison des plus laborieuses chez les Rouges, Lorenzo était finalement parvenu à trouver la clé pour exploiter à fond la Desmosedici l’année suivante, avec trois victoires pleines de promesses, avant qu’un lourd accident survenu lors des essais libres du GP de Thaïlande ne vienne mettre un terme à cette bonne dynamique.
Il est vrai que le numéro 99 avait de toute façon décidé de changer de crèmerie pour passer chez Honda sitôt son premier triomphe obtenu avec la marque de Borgo Panigale, au Mugello en juin 2018, conséquence des nombreux soucis techniques et difficultés d’adaptation dont il avait fait l’objet lors de sa première saison avec le constructeur italien.
Un caractère bien trempé
Réputé pour être un pilote doté d’une détermination sans faille, Lorenzo reconnaît lui-même avec le recul avoir sans doute eu les défauts de ses qualités, avec un caractère parfois difficile à appréhender pour ceux œuvrant auprès de lui (sans compter ses frasques parfois déroutantes sur les réseaux sociaux). « Je sais que je n’ai pas été quelqu’un de particulièrement facile à vivre, que ce soit pour les ingénieurs, ou les mécaniciens, ainsi que pour mes rivaux », assume l’Espagnol. « J’avais mes idées, et j’étais très direct quand je les exprimais. Sur le plan professionnel, je pense que la plupart de mes adversaires s’accordent à dire que j’étais très déterminé, en particulier lors des dix dernières années de ma carrière. Je ne chutais plus beaucoup, car ma capacité de concentration était l’un de mes grands atouts. »
Mais le quintuple Champion du monde l’assure : sa retraite des circuits lui a fait le plus grand bien et l’a aidé à pondérer son comportement : « Je pense que toutes les personnes qui me sont proches seront d’accord pour dire que j’ai beaucoup changé depuis que j’ai pris ma retraite, car maintenant je suis bien plus tranquille. Je mets moins la pression aux gens qui sont autour de moi, essentiellement parce que ma vie est bien plus facile à présent. Je peux m’organiser comme je l’entends, sans le moindre stress. Avant cela j’étais toujours très concentré, parfois même un peu bougon si les choses n’allaient pas comme je le voulais. Et même quand tout se passait bien j’étais quand même agacé car j’en voulais toujours plus. J’avais un très haut niveau d’exigence envers moi-même, mais également envers toutes les personnes autour de moi. »
Ce très haut niveau d’exigence ne s’est sans doute jamais mieux exprimé que lors du GP des Pays-Bas 2013, à Assen. En lice pour un nouveau titre mondial après le deuxième décroché dans la catégorie reine un an plus tôt, Lorenzo se fracture la clavicule gauche lors des essais libres.
Là où beaucoup d’autres pilotes auraient tiré un trait à minima sur le reste du GP, l’Ibère va pour sa part faire un aller-retour express en Espagne pour se faire opérer et participer in extremis à la course, dont il finira à une héroïque cinquième place. Du jamais-vu jusque-là : « En ce qui concerne Assen, je voulais vraiment remporter le titre cette année-là, et je me souviens qu’à ce moment c’était Dani Pedrosa qui menait le championnat. Je ne voulais en aucun cas perdre des points sur lui, mais le fait est que la douleur était phénoménale. Je ne voulais pas attendre le lundi suivant la course pour être opéré, alors j’ai pris un jet privé pour aller faire cette chirurgie. »
« Ce n’était pas du tout parce que je voulais absolument courir, mais vraiment parce qu’il fallait que cette douleur s’amenuise. Juste après l’opération je me suis senti tellement mieux que quelques heures auparavant que je me suis dit « pourquoi pas ? » Je ne voulais vraiment pas laisser Dani s’échapper, donc j’ai décidé de tenter ma chance. J’ai réussi à finir cinquième de la course au final, j’avais 25 ans, et je ne pense pas que ce soit quelque chose qui puisse se reproduire à l’avenir, car c’était complètement fou. Malheureusement j’ai de nouveau chuté lors de la manche suivante au Sachsenring et j’ai endommagé la plaque qu’on m’avait mis. Je pense que ça restera comme l’un des scénarios les plus fous qu’on ait vu, et c’est moi qui en fut l’acteur. »
Arrivé au sein de la Cathédrale d’Assen avec sept points de retard au championnat sur Pedrosa alors qu’il venait de remporter les deux dernières manches, Lorenzo ne cédera que deux points sur son compatriote ce dimanche-là, après avoir terminé l’épreuve à la cinquième place, juste derrière le pilote Honda.
1er pilote à avoir battu Márquez en MotoGP
Cette fantastique témérité ne sera finalement pas récompensé au championnat quelques mois plus tard, ni lui ni Pedrosa n’étant finalement couronné à l’issue de la saison. Marc Márquez venait en effet de débuter dans la catégorie reine en 2013, ce qui augurait d’une nouvelle ère et d’une domination que seul Lorenzo est, aujourd’hui encore, parvenu à contrecarrer jusqu’ici sur la piste (Márquez ayant participé cette année-là à l’intégralité du championnat en 2015, au contraire de ces deux dernières saisons).
2015, un millésime qui est resté dans les mémoires pour sa fin quelque peu polémique, Lorenzo se retrouvant aux prises avec son coéquipier Rossi pour le gain du titre, avec Márquez en arbitre de ce duel fratricide. Un affrontement qui laissera des traces, avec les événements que l’on sait en Malaisie, et l’atmosphère plombée par la méfiance dans les rôles joués par chacun dans l’issue de la saison. Lorenzo et Rossi n’enterreront la hache de guerre en public que deux ans et demi plus tard, lors de la conférence de presse faisant suite à la première victoire de l’Ibère avec Ducati au Mugello, en 2018, où le Docteur donnera l’accolade à son ancien voisin de garage, le félicitant chaudement pour cet accomplissement, les deux hommes faisant preuve d’une complicité qu’on ne leur avait pas connue jusque-là.
Loin des controverses, Lorenzo a maintenant rejoint Rossi au rang des Légendes du MotoGP, le weekend dernier à Jerez, sur le circuit Ángel Nieto, nom du célèbre pilote espagnol décédé en août 2017 et titulaire de 12 + 1 titres (par superstition, celui-ci avait toujours refusé à dire qu’il avait conquis 13 sacres).
La boucle est donc en quelque sorte bouclée à présent, Nieto ayant été l’une des idoles et l’un des exemples de Lorenzo dans la poursuite de sa carrière. L’un des premiers à avoir décelé toute l’étendue de son talent aussi : « Je me souviens d’une anecdote, c’était en 1998 à Carthagène », reprend Lorenzo. « Je devais avoir tout juste dix ans. J’étais dans la voie des stands et j’attendais que ma moto soit prête pour pouvoir rouler. J’étais en train de discuter avec Ángel Nieto, c’était la première fois que je le rencontrais. Après cela il a déclaré que je serai un jour Champion du monde, car j’avais les yeux, le regard, d’un Champion. »
Force est de constater que Ángel Nieto ne s’était pas trompé.