Quand, le 6 juillet 1974, Phil Read a utilisé deux appendices aérodynamiques sur sa MV Agusta lors des essais du Grand Prix de Belgique à Spa-Francorchamps, il ne se doutait sans doute pas que cela allait être un sujet technique quelque peu discordant… 42 ans plus tard !
Car, bien que quelques expériences aient été faites ici ou là, il a fallu attendre 40 ans et la persévérance de Ducati en ce domaine pour que, enfin, les ailerons soient reconnus comme ayant une certaine utilité. En l’occurrence une utilité pour principalement empêcher les motos surpuissantes de se cabrer à l’accélération, une année où la nouvelle électronique unique le faisait un peu moins efficacement que par le passé. Du coup, les autres constructeurs ont emboîté le pas à Ducati, chacun avec ses propres solutions aérodynamiques, et ont découvert ainsi un domaine insoupçonné, encore pratiquement sans limite. (voir tous nos articles sur le sujet)
Pour explorer ce nouveau champ d’action, les méthodes de travail ont dû se moderniser, et l’on a rapidement abandonné la fumée et les traditionnels fils de laine utilisés en soufflerie pour passer à l’âge du numérique.
Matthieu Grosdecoeur, ingénieur dans le team CarXpert-Interwetten Moto2, nous explique ce bon en avant: « Il convient de bien différencier les deux composantes qui interviennent en aérodynamique; le flux d’air (mis en évidence avec la fumée et les brins de laine) et les distributions de pressions. Cela ne sert pas à grand-chose de peaufiner un élément s’il se trouve dans une zone de dépression. Il aura beau être très profilé, cela n’apportera rien du tout.
Nous sommes donc passés d’une certaine forme d’empirisme au stade du calcul. Sans la CFD (computational fluid dynamics ou MFN mécanique des fluides numérique), vous pouvez passer des journées entières en soufflerie sans avancer dans la bonne direction. Le calcul nous a énormément aidé, mais cela représente un travail titanesque.
Il a d’abord fallu numériser entièrement la moto en trois dimensions, extérieurement et intérieurement, avec et sans carénage. Il a également fallu, par exemple, fabriquer un banc d’essai pour mesurer la porosité du radiateur, afin de rendre plus précis le modèle mathématique. Cela a pris plus de six mois en collaboration avec la soufflerie de Genève appartenant à l’HEPIA.
Les premiers résultats nous ont montré les zones à
travailler (photo de tête d’article : flux d’air collé en
bleu, décollés en rouge) et les éléments les plus perturbateurs. De
là, nous avons dessiné de nouvelles pièces en 3D puis les avons
introduites dans le modèle. Une fois validées sur les ordinateurs,
nous les avons faites réaliser en prototypage rapide et essayées en
soufflerie.
Nous sommes donc passés des «bouts de cartons» à un vrai
travail d’ingénierie, mais cela aurait été impossible sans
l’expertise de l’HEPIA. »
Essais d’ailerons arrière en Moto2
Le modèle mathématique a donc pris le pas sur les essais en soufflerie, qui n’ont plus pour but que de valider les différentes solutions étudiées numériquement, et l’on aboutit déjà aujourd’hui à des éléments aérodynamiques très performants, pouvant engendrer un appui de l’ordre d’une quarantaine de kilos à 300 km/h pour une résistance à l’avancement presque négligeable.
Il s’agit là d’une fulgurante avancée technologique certes apte à satisfaire l’inventivité des ingénieurs, mais dont les deux points négatifs apparents, à savoir un problème de sécurité en cas de choc avec un pilote ainsi que des coûts de développement très importants, ont entraîné son interdiction pour la saison 2017.
Cela met ainsi un coup d’arrêt en MotoGP à des développements futurs qui avaient de quoi donner le vertige, comme ceux actuellement entrepris par la société d’engineering suisse Red Blue Motorbikes sur des ailes mobiles en développant un système de contrôle électromécanique (basé entre autre sur des capteurs optiques), qui déploie les ailerons au dessus d’une certaine vitesse et les garde horizontaux, même quand la moto s’incline en virage. L’étape suivante envisagée par le bureau de recherche helvétique consiste à faire varier l’angle d’incidence des ailerons en fonction de l’accélération et de la vitesse du véhicule et un frein aérodynamique intelligent appliqué sur la roue arrière est également déjà dans l’air du temps… Tout cela est strictement prohibé en MotoGP mais indéniablement intéressant d’un point de vue technique !
Ainsi donc, si la réglementation n’avait pas interdit tout cela, les constructeurs se seraient sans doute affrontés à grands renforts de budgets de recherche et d’ingénieurs d’exploitation sur le terrain, creusant encore un peu plus l’écart avec les teams privés, pour un spectacle où la place du pilote en serait sortie amoindrie.
Malgré ce ban, il convient cependant de rester attentif car seul l’avenir dira si les constructeurs reviendront à des carénages aux formes conventionnelles en 2017, ou si l’on verra apparaître des éléments un peu plus massifs dans leur partie frontale, ou bien des éléments à « double peau » avec ailerons dans le flux d’air interne: on connaît en effet la propension des ingénieurs, qui ont mis le doigt sur un domaine intéressant, à exploiter la moindre zone obscure d’un règlement…