Le MotoGP, en 2021, est excitant à bien des égards. De
nombreux pilotes peuvent jouer les avant-postes, voire la gagne.
Cependant, cette diversité et cette homogénéité croissante n’est
pas forcément une bonne chose pour le championnat.
Explications.
Fin 2015, les spécialistes sont unanimes. Le passage à
l’ECU unique (« engine control unit », soit
l’unité de contrôle des systèmes électroniques embarqués) et
standardisé Magneti Marelli deviendra la plus
grande révolution en MotoGP depuis le passage aux quatre temps.
Cette mesure est couplée à l’attribution d’un
IMU unique en 2019 (unité de mesure
inertielle), visant à limiter une nouvelle course à l’armement.
Quels est le but de ces mesures ? Pour faire simple, limiter les
coûts et donner une chance aux privés de se battre avec les usines
sans avoir à se ruiner. Sur le papier, c’est une bonne chose.
Dans les faits, pas tant que ça. Réponse en trois
points.
I) Le MotoGP, futur MotoE
?
Le principal problème de cette mesure est la
standardisation, justement. Si l’on aime la
MotoGP, on apprécie forcément la diversité entre les différentes
machines, et l’on soutien l’innovation. Or, si l’on considère que
tous les systèmes électroniques embarqués sur les motos sont
uniques, toutes les MotoGP sont identiques à 40%
(en n’oubliant pas les pneumatiques, essentiels à la
performance).
Les sports mécaniques de très haut niveau devraient mettre en avant
les technologies les plus poussées. Comment expliquer que
Suzuki doive développer son propre ECU en
championnat du monde d’endurance mais pas en MotoGP, le pinacle des
sports motos ?
Cette politique, entamée
dès 2012 avec les CRT, a considérablement rempli la
grille (Cf Suzuki, Aprilia, KTM). Une
baisse des coûts se traduit par un appauvrissement de la
technologie embarquée et donc d’une production plus aisée, et c’est
ce qu’à compris Ducati. L’année prochaine, la
firme fournira quatre équipes. À raison de deux machines par
pilote, cela signifie 16 motos dont la majorité de l’année en
cours. Garde-t-on cet esprit « prototype » ? Cela
s’apparente plus à de la série très limitée ou de
la « compé/client » (Cf les championnats
GT3). Avant, il était impensable que des pilotes privés bénéficient
de la Desmosedici de l’année (n). Il n’était pas rare
d’apercevoir des n-1 et n-2 chez des équipes en
fond de grille.
Il y a fort à parier qu’une limitation des coûts couplée à une
liberté dans le développement aurait pu régler le problème sans
aller dans les extrêmes (Cf réglementation F1 2022
prometteuse ou Hypercar aux 24 Heures du Mans
auto).
II) Vers une
désacralisation générale ?
Les résultats de cette politique ont été immédiats. De 2007
à 2015 (ère 800cc puis 1000cc), aucune victoire d’un
pilote privé n’était à comptabiliser. Depuis 2016, l’on en
compte 12. Rien que cette année, 14 pilotes
différents (à l’heure où ces lignes sont écrites)
sur 22 sont montés sur le podium. Les exploits des
« petits », à l’image de la troisième place d’Enea
Bastianini à Misano paraissent donc moins
impressionnants, au vu de l’homogénéité du plateau.
Le nombre de vainqueurs différents a explosé : Neuf en 2016
(record), bientôt égalé par l’année 2020
(neuf). En cette année 2021, sept se sont
déjà imposés. Plus de prétendants gagnent, moins la victoire à de
valeur. Ce n’est que la froide réalité du sport, quel qu’il soit,
le principe même de l’exclusivité et de
l’inflation. Les places chez les équipes officielles sont
aussi dévalorisées. Avant, un pilote satellite devait se
décarcasser pour espérer décrocher un guidon d’usine (Cf
Cal Crutchlow en 2013) mais aujourd’hui, mis à part le salaire, il
n’est plus bénéfique de disposer du « meilleur matériel »
(Cf Jorge Martin, qui n’a pas autant de pression que s’il
était chez Ducati Corse).
Certaines déclarations trahissent cette
désacralisation. Marc Márquez ne se dit
pas tant heureux (et craint même l’année 2022) alors qu’à bien des
égards, sa performance cette année est exceptionnelle. Deux
victoires après un comeback sensationnel. Ceci mériterait de faire
la une pendant des mois. Avec deux victoires, Valentino Rossi était
vice-champion du monde 2014. Des époques bien différentes.
III) Le spectacle n’est pas ce
que vous croyez.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, « spectacle
» ne rime pas qu’avec dépassements. On ne
peut pas le nier : Depuis 2016, les courses sont plus disputées
pour toutes les raisons expliquées précédemment, et les arrivées
bien plus condensées qu’auparavant. Certes, l’action en piste est
l’une des dimensions du spectacle, mais c’est bien plus que
cela.
L’intérêt pour le championnat s’est vu considérablement
altéré. Quand la domination de Márquez a
cessé pour raison médicale, nous avons observé l’un des plus
faibles championnats de l’histoire des Grands Prix (factuellement).
Quand les pilotes d’usines dominaient, la victoire se jouait
toujours entre trois à quatre personnes. Ceci
permettait de s’accrocher à un personnage et créait de l’intérêt
pour le championnat tout entier, malgré le fait que les manches
n’étaient pas plus disputées.
Márquez vs Lorenzo, Lorenzo vs Rossi, Pedrosa vs
Stoner… Nous attendions tous ces joutes légendaires,
chaque weekend, même avec de grands écarts à l’arrivée (Cf
la saison 2015, l’une des plus grandes de tous les
temps). De nos jours, un pilote sur le podium n’est pas garanti de
terminer dans les points lors de la manche suivante (Cf
Miguel Oliveira, un cas inexplicable qui n’aurait
pas eu lieu sous l’ancienne règlementation).
Les rivalités ont, par le fait, disparu.
Pourtant, elles sont nécessaires à la pérennité. Les âges d’or de
n’importe quels sports mécaniques sont marqués par des rivalité.
Ceci nuit donc à la légitimité et à la puissance.
Exemple concret : Une dizaine de pilotes pouvaient
jouer le titre lors de la dernière manche de la saison 2021 de
Formula E. Ceci décrédibilise le championnat qui
devient trop aléatoire pour être apprécié. Sans aller dans de tels
extrêmes, la MotoGP a indéniablement pris ce chemin depuis cinq
ans. Les années 1980 en Grands Prix (ou en
Formule 1) sont le contre-exemple parfait. Jamais
la moto n’a été aussi spectaculaire et pourtant, quelques pilotes
seulement dominaient.
IV) Conclusion : Est-ce trop tard
?
Nous ne pouvons nier que cette vision a déjà fait ses preuves dans
d’autres disciplines mais uniquement à court terme (Cf
Rallycross). C’est là tout le problème. Si l’on veut conserver de
la passion pour un sport, il faut à tout prix retrouver des idoles.
Marc Márquez, de 2016 à
2019, était l’arbre qui cachait la forêt. Mais
gardons espoir car si Fabio arrive à s’affranchir de cette
homogénéité grâce à son talent, il devrait pouvoir endosser ce
rôle.
Que pensez-vous de la question ? Dites-le-nous en
commentaires !
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Photo de couverture : Michelin Motorsport