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Avertissement :

Contrairement à l’immense majorité des articles de notre site, cette nouvelle rubrique ne reporte pas seulement des informations, elle laisse une certaine liberté, voire une liberté certaine, aux pensées de son auteur habitué du monde littéraire qui publiera sous le pseudo de Vernon Stoner.

Ici, on relate, bien sûr, mais on extrapole aussi, on suppute, on échafaude, bref, on discute et on échange !

Vous avez le droit de répondre en commentaire, de corriger, de clamer votre indignation, ou, au pire, si cela vous engendre vraiment des aigreurs d’estomac, de changer de rubrique…

Vous êtes toujours là ? Petits curieux, va… Allez, gaaazzzz !


La moto a ses raisons que la raison ne connaît pas!

Une passion aussi dévorante ne se quantifie pas plus qu’elle ne se rationalise. C’est peut-être d’ailleurs un des trucs qui agace le caisseux aigri fulminant de nous voir remonter les files dans les bouchons. Pourtant, au lieu de rêver à nous envoyer dans le décor via le pare-choc moche en plastoc de sa Golf à crédit, il suffirait à cet acariâtre de se décaler de quelques centimètres pour que le motard lambda le gratifie d’un merci parfois délicat à exécuter (abandonner un cale-pied en plein slalom, ça peut être complexe…). Car le motard est convivial, altruiste, généreux, et démonstratif ! Que dis-tu cher automobiliste, ça ne te plaît guère que l’on te salue d’un mouvement de bottes Alpinestars ? Tu voudrais quoi, qu’on lâche le guidon et qu’on soulève la visière pour te faire un clin d’œil ? Mais dis-moi, est-ce que de ton côté tu te fends ne serait-ce que d’un vague hochement de tête au mec qui a la même bagnole que toi ? Peut-être entre deux possesseurs de bolides de luxe, et encore… Il y a bien les routiers, les chauffeurs de bus, de tramway, etc, qui sont cordiaux entre eux, mais c’est plus parce qu’ils sont dans la même galère que pour signaler leur appartenance à un groupe de marginaux. Mouais, peut-être pas. En fait, j’en sais rien… Toujours est-il que nous, les acrobates du bitume sur deux roues, qu’importe la marque et le modèle de la monture, l’âge, le sexe, la couleur de peau, et autres critères très à la mode en cette ère aussi consensuelle que démagogique, on arbore avec plaisir et fierté le V de la victoire à la moindre occasion. Je m’égare, c’est juste le V qui veut dire que l’on croise un ami ayant la même déficience mentale que nous.

Crédit : Béatrice Queiros

Mais pourquoi ce signe ? A vrai dire, je ne m’étais, jusqu’à aujourd’hui, jamais posé la question. Peut-être parce que mettre les deux pognes en cœur n’est pas très pratique à moto? J’en doute. Alors un banal salut de la main ? Trop commun. Il fallait quelque chose qu’aucun autre usager de la route n’utilise. Car notre bécane, ce n’est pas un simple véhicule qui sert à aller du point Y au point Z. C’est un bijou que l’on chérit, que l’on admire, que l’on photographie plus souvent que le nouveau-né, et tant pis si Madame est jalouse. C’est un membre à part entière de la famille à tel point que, parfois, c’est même celui que l’on préfère…

 

C’est aussi une tenue, casque, cuir, bottes, gants, qui s’apparente presque à un déguisement pour le néophyte. Certains nous voient comme des Power Rangers, et y a pas de mal à ça. Mais pour le motard, c’est tout autant une protection qu’une bulle en dehors du temps, du monde, une bulle dans laquelle on se sent unique, invincible (oui, c’est faux, on le sait ! Inutile de s’exciter dans les commentaires…), intouchable, à la fois épargné par la connerie humaine, et en voyage loin des tracas du quotidien même si l’on ne se trouve qu’à quelques kilomètres du domicile. C’est ça la moto, une oasis d’oxygène et de bonheur dans un monde absurde qui voudrait que l’on arrête cette hérésie sous prétexte de sécurité et de normes, alors qu’il est question de liberté et d’adrénaline à haute dose. De vivre, en somme. Tant pis si l’on doit pour cela défier les lois de la physique tout autant que celles, avouons-le sans mauvaise foi, du code de la route… Et le fait que la camarde nous guette au tournant ne fait que renforcer cette alchimie, n’en déplaise au névrosé qui jette son yaourt périmé d’un jour par peur de choper la version écrémée de la Covid-19. Ça vaut bien un petit bonjour à chaque passionné croisé au détour d’un virolo, non ? Et donc, ce V, qui est-il, d’où vient-il ? Goldoraaaak ! Arrgh, je me disperse encore.

Crédit : Valentin Dupuis

Je pourrais vous faire toute l’historique de ce signe à travers les âges comme l’a fait le youtubeur Valootre sur sa chaîne (que je recommande), mais déjà que c’est limite chiant en vidéo, par écrit c’est couru d’avance que je vais vous saouler direct et que vous allez décrocher. Venons en donc de suite au pilote légendaire qui a instauré le V; j’ai nommé l’immense Barry Sheene (vous savez, le barjot qui avait fait un trou dans son casque pour pouvoir fumer sa clope sur la grille de départ). Le double champion du monde 500 (1976 et 77) brandissait son index et son majeur en V après chaque victoire (comme quoi je ne m’égarais pas tout à l’heure). Les motards se sont peu à peu approprié ce geste qui, d’un symbole de succès, est devenu symbole de salutations respectueuses et cordiales sur toute la planète (enfin, peut-être pas au fin fond de l’Amazonie).

Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce toujours en vigueur, ou cette marque de fabrique inhérente à la moto est-elle en train de tomber en désuétude ? Hélas, comme pour nombre de pratiques conviviales, la société moderne n’a pas épargné notre communauté. Je me souviens d’un temps ou les seuls à ne pas répondre au V étaient les bikers en Harley et les vieux, pardon, les seniors, fuck, les mecs en BMW, qui étaient à juste titre décriés pour leur sectarisme condescendant. La roue a tourné puisque ces derniers tendent à tendre de plus en plus leurs deux doigts avec ferveur. Auraient-ils noté que tout, y compris l’esprit motard, part à vau-l’eau ? Il semblerait que oui et, perso, j’avoue que, au guidon de ma sportive, je kiffe de saluer franchement un groupe de bikers. Quel bel emblème représentatif de notre grande famille! Mais alors, qui sont ces motartampions contemporains qui se croient au-dessus des règles de bienséance multiséculaires?

Je ne vais pas me faire des amis sur ce coup là (ça tombe bien, je n’en cherche pas) mais force est de reconnaître que ce sont en grande majorité les A2. Du haut de leurs petites motocyclettes castrées à 47 poneys, les débutants n’ont que faire du sacro-saint V, du partage, de l’héritage, du respect du clan, et tutti quanti. Eux, leur dada, c’est Instagram (prononcer Innsstagwâaam). Leur bande-de-peur est plus large que le bas de contention de ma grand-mère, ils croient que Barry Sheene est un acteur Américain qui joue dans Mon oncle Charlie, mais ça, les gars, en 2021, on s’en cogne ! Tout ce qui compte, c’est les belles photos, les followers, et les likes en pagaille ! Et n’allez pas leur faire remarquer, sinon c’est le lynchage assuré : « Ouais, j’ai une BDP de cinq centimètres parce moi, môssieur, je tiens à la vie ! Non, je ne fais pas de piste, ça sert à rien et ça coûte trop cher ! Pis, à quoi bon, moi je respecte le code de la route. » Sauf en ligne droite, mais ça non plus, faut pas le dire ! Bref, il y aurait de quoi faire un bouquin avec les inepties acnéiques colportées sur le Web par certains novices plus préoccupés par leur image de rebelle que par l’attitude qui la caractérise. Je vous entends déjà pester que de rentrer vivant et entier à la maison est la seule chose qui compte, et vous avez raison. Je répondrai cependant qu’il est possible de rouler en sécurité sans pour autant être à l’arrêt complet et que prendre de l’angle, mettre un poil de gaz quand c’est possible, s’arsouiller un brin entre potes, sont un tout petit peu plus les préceptes fondamentaux de la bécane que de faire de beaux clichés pour se faire mousser sur Facebook & cie…  Bon, si tu roules en Fatboy, il est vrai que l’esprit est de cruiser et le propos est différent. Quoique,  j’ai vu des bikers en gros custom envoyer du bois sévère! Tous les jeunes permis ne sont pas comme ça, bien entendu, et je salue ceux qui font partie de la family, mais je constate avec dépit au hasard des bornes parcourues chaque semaine que ce sont presque toujours les MT07, Z650 et autre XJ6, qui m’envoient cordialement me faire foutre avec le plus grand dédain en réponse à mon V. Bon, ils ne sont pas les seuls. Les gros trails gris, orange, et… Bref…

A l’heure des réseaux sociaux omniprésents, de l’égoïsme exacerbé, du Moi Je à outrance, j’ai bien peur que la solidarité motarde ne soit en passe de devenir obsolète, et c’est dommage… Paraît qu’il faut vivre avec son temps, je sais, mais j’ai vraiment du mal à m’y faire (#CétaitMieuxAvant).

Sur ce, chers frangines et frangins, le vieux réac’ que je suis vous salue d’un auguste V à l’ancienne !

Ride safe (mais sans être à l’arrêt non plus, hein!).

Je penche, donc je suis.

Vernon

                                                         Crédit : Mai Ris