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Certaines blessures ne cicatrisent jamais, mêmes après des dizaines d’années. En 2019, la mort de Jarno Saarinen laisse encore un goût amer, d’inachevé. Retour sur cette légende nordique qui révolutionna son sport.

Son talent lui permit de monter rapidement les échelons. Il arriva à convaincre des banquiers de le financer, leur faisant croire qu’il étudiait durant l’année 1970. Le tout en effectuant la préparation de ses montures. À l’aise dans les petites catégories, il remporta sa première victoire en carrière en cette année 1971 en 350CC. Courant également en 250CC, il commence à faire son trou, étant repéré et engagé par Yamaha. Impressionnant de vitesse, il est déjà titré dans cette catégorie en 1972 pour sa troisième année complète en mondial. À ce jour il demeure le seul Finlandais couronné d’un titre mondial en Grands Prix moto. Légendaire.

 

Phil Read (n°1) devant Saarinen (n°22) au Grand Prix des Pays-Bas 1972. Photo : Fotocollectie Anefo

 

Mais sur la catégorie 350CC règne le roi Ago. Le jeune Jarno Saarinen, étoile montante; contre Agostini, héros en place : cela sonne comme un duel pour l’éternité. Malgré trois grands prix remportés en 1972, la marche est trop haute. Terminant second, il força malgré tout MV Agusta à concevoir une nouvelle machine tant il représentait une menace. Ce genre d’anecdotes qui ne se traduit pas par les statistiques caractérise Jarno.

Début 1973, il confirma. Ou plutôt domina. Il est vainqueur des trois premières courses en 250CC ainsi que des deux premiers grands prix 500CC, catégorie reine. Et avec la manière s’il vous plaît. Il bat le mythe Phil Read de 16 secondes au Paul Ricard, premier grand prix de l’année. En seulement trois grands prix, il devient un prétendant au titre dans deux catégories.

Homme qui savait tout faire, il a su s’offrir d’autres moments de légende. Un des plus connus fut sans doute les prestigieux 200 miles de Daytona 1973, où il gagna la course sur une Yamaha TZ350 contre des montures de 750CC. Il devint ainsi le premier européen à remporter cette épreuve, et ce avec une machine de cylindrée deux fois inférieure.

Son style de pilotage, qu’il perfectionna au fil des années grâce à des courses sur glace, était exceptionnel, brut et rare. Son extrême déhanché le caractérisait, tout comme ses « travers » de l’arrière. Ce style était nouveau et ses dérapages saccadés, mais Kenny Roberts lui même dit qu’il était le précurseur du pilotage en glisse. Quand l’on connaît le nombre incalculable de pilotes que Roberts a inspiré, on imagine ce que Jarno avait perfectionné.

Bien que possédant un style novateur et décrit comme « à la limite », il était très conscient du danger. Il ne participa jamais au Tourist Trophy durant sa carrière, et à l’heure d’arriver à Monza en 1973, il était concerné par les barrières de sécurité bordant la piste. Le « temple de la vitesse » était encore un circuit très rapide, sans chicanes, et des rails avaient été installés pour prévenir les accidents de Formule 1. Cela ne laissait aucune marge d’erreur pour les pilotes motos.

Il s’était pourtant bien préparé afin de battre Agostini sur ses terres, mais le destin en décida autrement. Lors de la course des 250cm3 le nom moins célèbre Renzo Pasolini chute dans la Curva Grande , le premier virage du circuit. Sans dégagement, la moto revient sur la piste et percute Saarinen. Derrière, plus d’une dizaine de pilotes sont pris au piège.

Les circonstances de la chute de « Paso » sont encore aujourd’hui floues : de l’huile se serait trouvée sur la piste après la course des 350CC et n’aurait pas été correctement nettoyée par les organisateurs pourtant prévenus par le pilote australien John Dodds. La piste du serrage de l’Aermacchi de Pasolini qui aurait entraîné le blocage de la roue arrière a été aussi avancée.

Le buste à l’honneur de Saarinen à Turku, son village de naissance. Ce pilote marqua son époque et son pays. Photo : Ilka Jukarainen

 

Le monde des Grands Prix fut plongé dans le noir. Deux héros, deux personnalités étaient définitivement parties, sans pouvoir traduire leurs plus grandes ambitions sur la piste. Yamaha se retira pour le reste de la saison en hommage au Finlandais, et par la suite, de grandes améliorations en terme de sécurité furent effectuées. Mais cela n’enlève en rien cette amertume, cette tristesse immense, et ce regret quand au potentiel immense de Saarinen.

Sans cet accident personne, absolument personne ne peut dire quels sommets ce talent brut auraient gravis. Mais comme une étoile, Jarno brilla puis disparut subitement, en une fraction de seconde. Son héritage, lui, rayonnera pour toujours.