Près de dix ans après sa retraite du MotoGP et plus de trois années après sa dernière apparition dans le paddock en 2018, Casey Stoner était de passage ce weekend à l’occasion du Grand Prix d’Algarve, sur le circuit de Portimão. L’occasion pour le pilote australien d’accorder une conférence de presse exhaustive.
Le double Champion du monde en 2007 (avec Ducati) et 2011 (avec Honda) a en effet passé au crible tous les sujets, avec le franc parler qu’on lui connaît. De son avis sur la saison 2021 à sa relation avec Valentino Rossi, des succès de Ducati cette saison au développement de la Honda, de ses problèmes de santé à la convalescence de Marc Márquez, de son opinion sur les règlements technique et sportif à celui sur la jeune génération, Stoner s’est livré sans concession. Instructif…
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Vous avez déclaré que vous adoriez l’exercice des qualifications. A ce niveau on peut imaginer que vous adorez donc Jorge Martín, qui se révèle particulièrement explosif dans ce domaine ?
« Il est clair que j’ai le plus grand respect pour les pilotes qui sont très rapides sur un tour, mais encore plus pour des gens comme Jorge Martín qui sont capables d’enchaîner les chronos, tour après tour. Je dois avouer que pour moi je préfère encore plus un pilote qui se montre très dominateur en course, plutôt qu’un autre qui est certes très véloce sur un tour, mais perd un peu pied sur la distance. »
Parmi tous les pilotes qui sont en train de faire leur trou, que ce soit en Moto3 ou Moto2, lesquels vous semblent les plus prometteurs ?
« Il y a beaucoup de jeunes talents qui sont en train de pointer le bout de leur nez, c’est certain. En particulier Pedro Acosta [qui a par ailleurs remporté le titre en Moto3 à l’issue du weekend, ndlr], qui réalise un travail vraiment impressionnant cette année. C’est fantastique de voir un pilote si jeune mais avec autant de maturité. Sergio Garcia est aussi incroyable. »
« Mais après avoir dit cela, il faut souligner que ce n’est pas parce que vous êtes rapide dans les catégories inférieures que vous le serez nécessairement en MotoGP. Dans mon cas, j’ai à l’inverse rencontré bien plus de soucis dans les catégories inférieures que dans la catégorie reine. Pour ce qui est du Moto2, Raúl Fernández et Remy Gardner s’en tirent très bien eux aussi. »
« Marco Bezzecchi mérite aussi qu’on s’attarde sur ces performances, même si elles sont un peu en baisse cette année. J’aimerais donc voir ce qu’il peut faire à l’avenir, sur une plus grosse moto en MotoGP notamment. Mais c’est très difficile de prédire l’avenir. On voit souvent beaucoup de jeunes talents, mais parfois quand ils passent dans les catégories supérieures ils commencent à rencontrer davantage de difficultés dans différents domaines. C’est un monde très difficile vous savez, très compétitif. »
Ces dernières années, cela a été très difficile pour certains pilotes de passer d’une moto à une autre. On peut penser bien sûr à Jorge Lorenzo ou bien encore à Andrea Dovizioso. A quoi cela peut-il être dû selon vous ? Dans votre cas, vous êtes passé de Honda à Ducati, avant de revenir de nouveau chez Honda, et vous avez gagné quasi instantanément…
« Encore une fois, je ne peux pas parler à la place des autres pilotes. Je ne suis pas à leur place et tout le monde a sa propre façon de s’adapter. Beaucoup de pilotes accumulent les tours afin d’acquérir un certain feeling. Dans mon cas j’ai toujours su, sitôt sur une nouvelle moto, me figurer les points de freinage et les différents repères me permettant d’être rapidement à l’aise. »
« C’est finalement quelque chose qui est assez facile à faire, et par la suite il s’agit surtout de menus ajustements, notamment sur vous-même. Mais la plus grande différence entre moi et d’autres pilotes est que dans mon cas je suis content de devoir m’adapter, alors que chez d’autres on entend souvent des phrases du genre « cette moto ne me va pas, elle ne convient pas à mon style de pilotage ». »
« Il faut bien se dire que chaque moto a quelque chose de bon en elle. Toutes les motos ont leurs propres forces et faiblesses. C’est un compromis à trouver au niveau des réglages, entre la façon dont vous voulez que soit la moto, et la façon dont la moto doit être pilotée. En somme il y a beaucoup d’éléments qui peuvent rendre une adaptation difficile. Mais me concernant j’ai toujours été disposé à travailler sur la moto. »
« Contrairement à d’autres pilotes, j’ai toujours été content de devoir m’adapter à une nouvelle moto »
Si vous deviez faire quelques tours avec une motogp actuelle, quelle moto choisiriez-vous ?
« Je dirais la Yamaha, pour la simple et bonne raison qu’elle a été ma plus grande concurrente tout au long de ma carrière. Peu importe pour quelle équipe je pilotais, c’était toujours la machine la plus difficile à battre. Ce serait intéressant de comparer mes sensations entre le fait de me battre contre elle, et le fait de devoir la piloter. Ce serait aussi intéressant pour voir si une autre façon de piloter que celle de mes concurrents aurait été envisageable, ou bien si j’aurais dû la manœuvrer comme eux l’ont fait. »
Cela fait bientôt dix ans que vous avez remporté votre titre avec Honda, et depuis lors il semble que la marque concentre tous ses efforts sur Marc Márquez pour mener à bien le développement de sa moto. Malheureusement, Honda a payé cette stratégie ces dernières années quand Marc a dû s’absenter. Quel regard portez-vous sur cela ?
« Je pense que tout le monde est d’accord pour dire que Marc est quelqu’un de très talentueux. C’est un pilote qui dispose de réflexes incroyables, et il n’y a qu’à voir ses sauvetages pour s’en convaincre. Mais je pense que l’une des erreurs qu’ont fait Marc et son équipe, c’est de s’être concentrés quasi exclusivement sur les freinages en entrée de virage. »
« Tout est affaire de compromis. Si vous transformez un domaine en point fort, c’est que vous créez d’un autre côté un point faible, vous ne pouvez pas tout avoir. C’est d’ailleurs pour cette raison que différents constructeurs parviennent à s’imposer selon les courses, car personne n’a le package parfait. Je me souviens en effet que chez Honda ils mettaient vraiment l’accent sur les freinages, et en particulier la stabilité de la moto dans les phases de freinage. »
« Le gros atout de Marc, c’est qu’il est capable de cacher les problèmes annexes de la RC213V. Mais il n’est pas non plus à l’abri d’un faux pas, souvenez-vous de la saison 2015 où il n’a pas réussi à remporter le titre et où son équipe a dû revenir sur un châssis de deux ans d’âge simplement pour retrouver des sensations, notamment en milieu de virage où il avait des difficultés pour bien faire tourner la moto. »
« Me concernant, j’ai toujours été en mesure de me battre avec une moto donnée, mais ce qu’il me faut pour être à l’aise peut différer de ce que veulent d’autres pilotes. C’est difficile pour moi de dire ce qui va mal avec la Honda, car je ne peux baser mes commentaires que sur ce que je connais des châssis que j’ai moi-même utilisés avec l’équipe à l’époque. Nous savons tous à quel point Marc est bon, mais Pol Espargaró est en train de remonter également la pente après un début poussif, il commence à se rapprocher des avant-postes. »
« Le gros atout de Marc Márquez, c’est qu’il est capable de cacher les problèmes annexes de la RC213V »
Aimez-vous le règlement technique actuel ou préféreriez-vous plus de diversité ?
« Si j’aime le règlement actuel ? Certainement pas ! J’aimerais avoir mon mot à dire dans la règlementation technique pour être honnête, car je pense qu’il y a des éléments qui sont là alors qu’ils n’ont pas de raison d’être. Tout est axé sur le développement, au contraire de la gestion de la sécurité par exemple. »
« J’aimerais donc voir certains points être effacés du règlement, au niveau de l’électronique par exemple. Même en introduisant une électronique standardisée il y a quelques années, le niveau de performance était toujours meilleur que la saison précédente, donc ce n’était pas vraiment un pas en arrière comme tout le monde l’attendait. »
« J’aimerais voir les pilotes glisser sur la piste, j’aimerais les voir commettre des erreurs, rencontrer des difficultés à trouver le grip en sortie de virage. Certains pilotes moins rapides parviennent à se retrouver devant et inversement à l’heure actuelle, et ce ne serait pas la même chose sans toutes ces aides. Je pense qu’il ne faudrait pas modifier grand-chose à la réglementation pour améliorer le spectacle. »
« Si j’aime le règlement actuel ? Certainement pas ! »
Il y a quelques années vous aviez eu des problèmes de santé. Comment vous portez-vous à l’heure actuelle ?
« Pour être honnête, depuis que j’ai arrêté d’être pilote d’essais avec Ducati, j’ai entamé la reconstruction de mon épaule, ce qui a été fantastique. J’ai malheureusement aussi rencontré beaucoup de problèmes avec ma santé, arrivant jusqu’à un point où je ne pouvais même plus sortir du canapé pendant à peu près cinq mois [Stoner souffre de problèmes d’anémie, ndlr]. »
« Durant tout ce temps, mon exercice physique principal s’est résumé à faire des allers et retours entre mon canapé et mon lit. Ce fut très dur mentalement et physiquement. Ces quatre dernières années j’ai donc surtout essayé de gérer cette situation et d’apprendre comment économiser mon énergie tout au long de la journée. »
« A la fin de l’année dernière, j’ai commencé à me sentir mieux vers le mois de décembre. Je me suis alors dit que même si je n’étais pas encore tiré d’affaire, je pouvais tout de même gérer cela, mais par la suite j’ai rechuté. Pour l’heure je suis donc un peu moins optimiste avec tout cela, et je prends les jours les uns après les autres. Parfois je suis très fatigué, et je ne peux juste pas expliquer pourquoi, alors que d’autres jours ça va. Mais typiquement je ne suis jamais à plus de 60% de mes capacités. »
« Je ne suis jamais à plus de 60% de mes capacités »
Pensez-vous qu’il faudrait allouer plus de soutien aux jeunes pilotes pour faire en sorte que les problèmes de sécurité soient bien ancrés dans leurs esprits ?
« C’est un sujet difficile, je pense que le soutien doit davantage venir de la Direction de course. Je pense qu’il faut plus de clarté ou des décisions plus définitives sur les manières de courir. Il n’y avait plus eu de problèmes depuis des années, mais maintenant que les limites de piste ont été repoussées avec de grands dégagements, les pilotes se croient tout permis. »
« Ils peuvent se pousser les uns les autres tout en se disant que ce n’est pas grave car il y a de l’espace au-delà de la piste. Tout le monde devrait avoir plus de respect, et je ne pense pas que ce soit un problème qui affecte exclusivement les jeunes pilotes. J’ai vu des concurrents censés être bien plus matures et être bien plus expérimentés faire des choses similaires. »
« Je pense que cela est aussi rendu possible par le fait que les sanctions ne sont pas assez dures, pas assez définitives et claires. S’il y avait un durcissement à ce niveau-là, tout le monde serait un peu plus réservé dans ses actes. Mais je pense que le plus grand drame qui soit arrivé à la compétition moto c’est tous ces dégagements qui ont fait disparaître les limites de piste. »
« Le plus grand drame qui soit arrivé à la compétition moto c’est tous ces dégagements qui ont fait disparaître les limites de la piste »
Quelle est votre opinion sur les pilotes australiens ? Jack Miller évolue à la cinquième place du championnat en MotoGP, alors que Remy Gardner pourrait bien remporter le titre ce weekend en Moto2…
« Ce qui m’impressionne le plus, c’est que tous ces pilotes ont beaucoup travaillé sur eux-mêmes. Ils ont rencontré des moments très difficiles ces dernières années, mais ils ont beaucoup travaillé sur eux-mêmes : Ils ont travaillé sur leurs points faibles et en ont fait des points forts autant que faire se peut. »
« C’est très impressionnant car la chose la plus dure est peut-être de se remettre en question et de changer son approche des choses. Au lieu d’être des pilotes purement instinctifs, ils ont réussi à incorporer beaucoup de réflexions dans leur façon de courir. C’est bien de constater cela et de voir tous ces Australiens aux avant-postes, car cela faisait malheureusement quelques temps que ce n’était pas arrivé. »
Vous avez fait beaucoup d’éloges à propos de Valentino Rossi, et l’inverse est également vrai. Pourtant, on se souvient de votre rivalité en piste qui a parfois été source de tensions…
« Il y a eu cet incident à Jerez en 2011, mais après cela je suis passé à autre chose et je me suis remis à penser à mon championnat. A l’époque, nous avions la conviction, et cela s’est confirmé par la suite, que Valentino n’allait pas pouvoir jouer le titre cette année-là. Dans les faits nous étions bien plus inquiets par Jorge Lorenzo. »
« Mais malgré cela ce fut une rivalité fantastique avec Valentino, avec des bons et des mauvais côtés. J’ai beaucoup appris de lui et je pense que l’inverse est également vrai. C’était à la fois difficile et marrant à la fois. Lors de mes deux dernières années en MotoGP j’avais pris plus de recul par rapport aux événements, et cela m’a permis de mieux vivre tout cela. Vous ne pouvez pas avoir de compétition sans rivalité. »
« Après avoir pris ma retraite, j’ai pu prendre tout cela avec plus de perspective et je dois dire que je n’ai aucun ressentiment vis-à-vis de Valentino ou ce genre de choses. Vous ne pouvez pas piloter à ce niveau de compétition sans avoir de respect pour les autres pilotes et pour ce qu’ils ont accompli, cela ne fait aucun doute. »
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