Peur, amertume, manque de respect de la part des autres, voilà des concepts assez rarement abordés lors d’une discussion entre deux personnes, mais quasiment jamais dans le cadre d’une interview d’un pilote de Championnat du monde !
Pourtant, cette franchise absolue est une des facettes de Jules Cluzel, et il le démontre encore dans cette interview où il aborde de lui-même certains sujets très personnels.
Rarement nous avons pris autant de plaisir à interviewer un pilote, et nous espérons que vous en aurez autant à lire ses propos, diffusés en deux parties et que nous terminerons par une petite anecdote illustrant le personnage…
Merci Jules !
Bonjour Jules, on est au Yamaha bLU cRU Camp et c’est la
première fois qu’on se revoit depuis le coup de tonnerre de ton
annonce de l’arrêt de la compétition. Alors c’est aussi l’occasion
de te demander qu’est-ce qui a motivé cet arrêt alors que tu étais
encore tout à fait performant ?
« Comment dire ?
Plein de choses ! Un état d’esprit, des pensées depuis quelques
années, les blessures à répétition liées aussi souvent à des
erreurs de mes concurrents. Tout ça, ça fait que un peu de fatigue
par rapport à la récupération de toutes ces blessures. De la peur
aussi, de la peur de l’autre. Oui ! La peur de l’autre. La peur
qu’un pilote se rate au freinage. Pas peur de tomber, mais peur de
ce que peuvent faire les autres pilotes. Et donc avec tous ces
sentiments mélangés, finalement, bah, pour moi, la bonne décision
c’était d’arrêter. En fait, je ne me sentais plus en sécurité au
milieu du paquet. »
Et c’est une décision que tu as mis longtemps à prendre,
j’imagine ?
« Ouais, ça faisait quelques années que, je ne pensais
pas arrêter, mais où je ne prenais plus trop de plaisir. Et j’ai eu
quelques difficultés, quand même, les années avec le GMT, où je me
suis retrouvé régulièrement, et surtout la dernière année, dans le
milieu de paquet. Et le milieu de paquet, ça faisait des années que
ça ne m’arrivait pas, et je me suis rendu compte qu’il n’y avait
pas de respect dans le milieu de paquet, et que je me sentais pas
en sécurité. C’est dommage parce que si on avait été performant, je
me serais retrouvé peut-être plus devant avec des pilotes avec plus
d’expérience, comme ça a été le cas pour ma période Supersport en
majorité. Alors voilà, ça a accéléré la décision d’arrêter.
»
Alors une décision bien évidemment difficile à prendre,
mais c’est aussi difficile après : aujourd’hui regrettes-tu,
ou tu assumes et tu te dis que c’était vraiment la bonne décision
?
« Non, je ne regrette pas, non, pas du tout ! Je
suis retourné déjà 2 fois sur des courses et sur la grille de
départ et tout ça, et je ne me sentais pas à ma place sur la grille
de départ, je ne me sentais pas de repartir pour une course.
J’avais envie de rouler, par exemple à Donington j’avais envie de
rouler parce que je sentais et que je pouvais être vite, encore,
mais je ne me sentais pas prendre le départ de la course. Dans tous
les cas parce que j’ai aussi besoin de garanties, de garanties
d’avoir le matériel qui me permet d’être devant et de donner mon
maximum. Et surtout, si je donnais mon maximum et me retrouvais
devant, ce serait prendre moins de risques parce que,
automatiquement, quand on est devant, on prend moins de risques par
rapport à ne pas se retrouver dans des situations à risque, avec
les erreurs des autres pilotes. Donc non, je n’ai pas eu de regret,
même si ma vie de pilote me manque quand même. Ma vie de sportif,
de me préparer pour un objectif et d’avoir cet objectif d’être
champion du monde. Je l’avais jusqu’à l’année dernière encore. Donc
ça, c’était plutôt cool et c’est quelque chose qui me manque.
»
Après, on te retrouve sur Canal+, et là tu nous
impressionnes encore parce que tu es parfaitement à l’aise, tu
connais tous les noms des pilotes et leur carrière, même en moto 3.
C’est beaucoup de travail pour préparer ça ?
«
Oui, il a fallu travailler quand même, parce que c’est vrai que
le Moto3 c’est une catégorie qui change quasi toutes les années
parce qu’il y a des jeunes qui arrivent. Et moi, j’étais passé à
autre chose depuis quelques années, ma dernière course en Grand
Prix, c’était en 2011. C’est vrai qu’après je suis parti sur le
championnat Superbike, j’ai toujours suivi les courses Moto3 et
Moto2, mais de loin. Et finalement sur les dernières années, ça a
quand même pas mal changé, je trouve, surtout le Moto3. Il a fallu
s’y remettre, donc il a fallu bosser quand même, et c’est cool
parce que ça m’a remis dans un état d’esprit un petit peu
différent. J’étais un mis un petit peu, pas en danger, mais c’est
quelque chose que je connaissais pas : tu es devant le grand public
quand même, tu es jugé ! Et j’avais envie de faire ça bien, donc il
a fallu que je me mette un petit peu de stress, et ce stress qui
peut être aussi un peu un stress similaire à un départ de course.
Est-ce que je vais être assez bon ? Et ça, j’ai bien aimé, je me
suis mis un peu en danger, et finalement, bah, je ne sais pas si
j’étais assez bon mais j’ai donné mon maximum et j’ai eu des
retours positifs. Après, tu as toujours aussi des retours négatifs
mais ça fait partie du truc. J’ai aimé ça. Et puis surtout un truc
important, c’est que j’ai aimé vivre les courses de cette façon, et
ça, c’est un truc où c’était pareil : ça faisait un petit moment
que je prenais plus trop de plaisir sur les weekends de course, pas
spécialement de plaisir à regarder les autres, les autres courses,
d’autres catégories, parce que j’avais toujours ce côté un petit
peu amer, tu sais, de certains pilotes où je pensais être
meilleur qu’eux, mais qui ont eu d’autres possibilités. Et
finalement, là avec Canal Plus, moi j’étais plutôt positif sur tout
le monde et j’ai aimé vivre la course de ce côté-là, parce que
finalement, ouais, je voyais plus le côté positif de la
course. »
C’est donc une expérience positive, et tu repars dès que
tu peux de ce côté-là…
« Oui, si possible. Après,
il y a une équipe actuelle. Là, j’étais en remplacement jusqu’à
Silverstone : c’est ma prochaine et dernière course de l’année.
Voilà, c’était parti pour une course et ça a fini sur cinq. Je suis
content de ça. C’est une belle possibilité de transition pour moi
et je vais essayer de progresser aussi dans ce domaine. Après, sur
quoi ça débouchera ? Je ne sais pas, mais bon pour l’instant j’ai
essayé de donner mon maxi là-dessus aussi. »
A suivre…