Alors que tous les pilotes et la plupart des techniciens composant le paddock des Grand Prix sont contraints à un relatif repos forcé pour cause de trêve hivernale, pour certains, la saison 2017 a déjà bel et bien commencé. C’est notamment le cas chez ELF, dont l’essence destinée aux tests MotoGP de début février à Sepang a quitté la région lyonnaise la semaine dernière.

Jacky Hutteau, l’incontournable et inoxydable pilier du paddock, travaillant aujourd’hui pour le pétrolier français qui approvisionne 70 % des MotoGP, nous explique pourquoi.


Jacky Hutteau :  « Nous envoyons toujours l’essence par bateau à toutes les épreuves outremer pour diminuer le coût final pour les clients, et il est nécessaire de s’y prendre largement à l’avance car un bateau ça n’est pas très rapide ! Mais surtout il faut tenir compte de tous les aléas qui peuvent survenir, notamment liés aux conditions climatiques qui nous ont déjà donné quelques sueurs froides.
Quand le bateau arrive à quai, il y a des centaines de containers à décharger, et si le nôtre est en fond de cale, et bien c’est plus long.
Si on tombe un jour férié précédent ou suivant un week end, on attend encore. Et si les dockers se mettent en grève, alors on continue à attendre en espérant que ça ne dure pas trop longtemps et ensuite une fois sur le quai, c’est la douane qui doit vérifier le chargement et les documents correspondants.

Puis le container est chargé sur un camion qui prend la direction du circuit, en souhaitant que la dernière révision a bien été faite, et qu’il ne va pas rester en panne.

J’exagère à peine, car toutes ces situations et bien d’autres encore sont déjà arrivées, et que quelques soirées ont été plutôt tourmentées à attendre les dernières informations du transporteur et la situation plus ou moins précise des événements.

Heureusement on a un service logistique plutôt rôdé aux situations de crises qui peuvent arriver à tout moment et il s’agit d’être réactif, car un GP ou un WSBK, ça n’attend pas et tout doit être prêt à temps.

Et puis la plupart du temps tout se passe bien, sinon je serais déjà complètement sec avec toutes ces péripéties. Mais une fois les bidons entreposés sur le circuit ou a proximité, on respire quand même.

En tous cas je n’oublierai jamais cette première fois à l’époque des 2T dans toutes les catégories où le jeudi à Phillip Island on n’entendait pas un bruit !!! Faute de carburant et de lubrifiant, quasiment pas une moto ne pouvait démarrer. Une grève avait retardé le déchargement, et c’était la panique dans les équipes qui voulaient faire tourner les moteurs à peine remontés pour certains.
J’avais beau tourner en rond, çà ne changeait rien, et le téléphone chauffait avec le transporteur resté sur le port et essayant de négocier avec des gars qui ne l’écoutaient même pas.
Miracle ou pas le soir vers 21h, le camion est arrivé, et une ruée de mécanos s’est précipitée. Moi au milieu de tout ça avec mon carnet pour au moins refiler un bidon à chacun dans un premier temps.

« Et un bidon pour Monsieur, avec deux litres d’huile pour mélanger !! »

En quelques minutes le camion s’est pratiquement vidé, et moi aussi je l’étais parce qu’ensuite il a fallu transporter tous le reste dans un container à l’autre extrémité du paddock.
Et on voudrait qu’après ça, je sois cool !!!

Donc si le carburant pour les tests de Sepang est déjà quelque part sur l’océan, les bidons pour Phillip Island viennent juste de partir tant pour les tests des MotoGP que ceux des WSBK et leur course qui va suivre. Le Qatar partira les premiers jours de janvier, pour les trois catégories cette fois, puisque le groupe Total/Elf a été confirmé comme fournisseur officiel des Moto3 et Moto2 en plus des clients en MotoGP.

Et puis en Europe, c’est Eddy et son beau camion qui amène le tout à bon port après que Fabrice, le chef de la logistique, ait préparé tous les documents de transport et de dédouanement.
Parce que malgré l’Europe et ses facilités, les produits dangereux doivent être toujours déclarés. »

jacky-hutteau

PADDOCK_GP : Au cours d’un voyage de plusieurs mois, l’essence se dénature-t-elle un petit peu ?

Jacky Hutteau: « Heureusement pas, car si à peine arrivés après tout ce bazar, il fallait en plus recommencer à cause des produits dénaturés alors on n’en finirait pas !!

Non pas du tout. Quand un bidon est ouvert, l’essence a tendance à perdre certains de ses composantes les plus volatiles, surtout quand il fait chaud. C’est pour cela que je passe dans les box rappeler de bien fermer les bidons au Qatar, par exemple.

Mais le carburant peut même se garder de nombreux mois sans problème dans un bidon bien fermé sans perdre de ses qualités.

Malgré tout, quelques techniciens restent convaincus qu’une fabrication plus récente sera meilleure, ou en tous cas qu’un stockage prolongé ne va pas l’arranger. Tout dépend encore une fois des conditions.

Toujours à l’époque des 2T, c’est incroyable le nombre de préjugés qui envahissaient le paddock. Combien de mécanos se séparaient du mélange de la veille de peur de casser, et devaient préparer une nouvelle quantité pour les essais ou surtout la course.

Il y a toujours une certaine méfiance envers ces produits plutôt méconnus des techniciens, et composés par des ingénieurs spécialisés à partir de bases pures « agrémentées » de nombreux additifs pour apporter les « calories » nécessaires aux différents moteurs.
Et d’ailleurs, j’en connais même qui ne veulent surtout pas en utiliser dans leur propre voiture de crainte de voir surgir des problèmes insoupçonnés !! Ce qui n’est pas le cas de tous, je vous rassure, puisque d’autres profitent des fonds de bidons pour alimenter divers engins de loisirs depuis des années
Un jour, à la fin d’un GP outremer, un responsable technique très connu me demandait quoi faire du reste des bidons après avoir vidangé les réservoirs des motos pour les mettre en caisse. Voyant beaucoup d’autres remplir les réservoirs des voitures de location je lui propose cette solution.
« Jamais ! » me dit il, « c’est des coups à rester en panne sur le bord de la route ».

« Ah bon ?? » répondis-je…

Le lendemain sur une autoroute sans fin, j’aperçois au loin une voiture garée sur le bas côté et tout en me rapprochant, je vois plusieurs gars en descendre, que je finis par reconnaître. Je m’arrête aussitôt et demande si je peux aider. Les mécanos sont morts de rire en me voyant « Tu n’as pas un peu d’essence, on est à sec, et lui n’a jamais voulu en mettre hier soir » en montrant le chef mécano quelque peu gêné !!

Tout ça c’est la vie des GP, et des courses en général, et les carburants font partie de tous les éléments qui vont permettre d’améliorer performances et consommation, fiabilité et propreté.

Et moi je suis là pour organiser simplement une petite partie de tout ça. »

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