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A priori, on ne présente plus Rémy Tissier aux passionnés de Grands Prix ! De retransmission en retransmission, sa voix les accompagne depuis maintenant près de deux décennies et, au fil des ans, il est devenu un personnage absolument incontournable du paddock…

Et pourtant, qui sait vraiment ce qui se cache derrière ses commentaires ? Nous avons profité d’un moment d’accalmie à Misano pour réaliser cette interview et tenter d’éclairer de nombreuses facettes de ce métier et de cet homme dont l’expérience est à ce jour rarement égalée.

La première partie de l’interview est accessible ici.


Y a-t-il encore d’autres difficultés qui viennent perturber votre travail ?

« Oui, par exemple, nous ne sommes pas toujours très bien placés, à part en Malaisie et à Jerez où la position des commentateurs est sensationnelle puisque l’on est juste en face des box, de l’autre côté de la piste. Mais quand on commente à Brno, on est décalé d’au moins 200 mètres, et on a à peine deviné que Jonas Folger était rentré deux fois à son box. Randy l’avait compris grâce aux informations fournies sur les écrans, mais on ne pouvait pas réellement le voir de nos yeux. Si on était toujours en face, ce serait vraiment sensationnel, mais c’est de moins en moins le cas. Il y a même des endroits, comme à Austin, où on est complètement décalé et on travaille carrément dans une petite cabine type Algeco et on ne voit strictement rien. C’est comme à Motegi ou au Mans: on n’a aucune aide visuelle et on pourrait aussi bien être à Paris, alors qu’avant, on avait une position vraiment privilégiée. Aujourd’hui, il ne reste que deux Grand Prix où on voit vraiment bien : ce n’est pas beaucoup sur une saison. Pour palier à cela, l’expérience est très importante pour sentir les choses. Plus le journaliste en aura, et plus le consultant sera encore en activité, mieux ce sera. Après, un pilote aura toujours plus l’œil affûté que moi et que la plupart des journalistes qui, en plus, avons plein de choses à penser et à régler. C’est aussi pour cela que j’ai instauré, quand c’est possible, la présence d’une troisième personne. Avec Randy, commenter à trois n’est pas obligatoire car il est toujours au faîte de l’action, mais quand il y a un drapeau rouge comme l’autre jour pendant deux heures au Japon, cela peut être utile. Cela permet à la troisième personne de ne jamais quitter des yeux le faisceau d’images de la Dorna, pendant que l’on regarde ses notes ou que l’on parle avec Vanessa dans la Pit-Lane. Dario Marchetti, en plus de son accent qui plaît énormément, est parfait pour cela. Je me souviens que sur une course que je commentais avec Philippe Monneret à Valencia en fin de saison, il n’y a eu qu’un moment furtif, dans le tour de chauffe je crois, où Stoner est tombé. Une seule vue d’hélicoptère, très furtive. Et ça, on ne l’avait pas vu car on était sans doute en train de faire autre chose. C’est vraiment la grande différence avec les journalistes de presse écrite ou sur Internet ; nous sommes dans l’instant et devons avoir une concentration de tous les instants.

Mais parfois, et c’est difficile quand nous sommes dans l’action nous devons aussi avoir du recul. Par exemple, lors du Grand Prix de Malaisie en 2015. Nous n’avons reçu aucune critique contre nous, Sébastien, Vanessa et moi, alors que certains se sont faits menacer de mort. Je me souviens que David Dumain  avait dit qu’il n’aurait pas aimé être à notre place… Là, je pense qu’on a bien senti les choses, mais après un mort, je pense que c’est le pire truc que j’ai commenté dans ma carrière. Ce n’est plus totalement du sport : il y avait trop de choses depuis la conférence de presse de jeudi qui étaient rentrées en compte. C’est horrible à commenter. »

Vous faites très souvent des références au passé, aussi précises que spontanées. Comment faites-vous pour avoir une telle mémoire ?

« Alors ça, c’est un point que le regretté Jean-Claude Olivier avait également souligné à Philippe Monneret. En fait, si j’ai commenté les Grands Prix concernés, je me souviens quasiment de tout. En revanche, quand je les ai simplement vus, par exemple à l’époque de Christian Sarron, là ce n’est pas pareil. Mais si j’ai vécu la course en la commentant, je la vis tellement à fond que je me souviens de tout. Donc si j’ai commenté, je me souviens. Après, il est vrai que j’ai toujours eu une bonne mémoire, déjà depuis l’école. Là, par exemple, je pense que je dois en être à mon 362e Grand Prix commenté.

Quand jugez-vous que la séance commentée a été réussie ?

« C’est une séance lors de laquelle on a bien réussi à analyser ce qui se passait. Par exemple, Nicholas Goubert (Michelin) nous a écouté commenter cette année, et il s’est rendu compte que l’on n’avait pas encore suffisamment d’informations concernant les pneus. Et pourtant, Dieu sait que Randy est bon ! On avait déjà les bandes de couleurs pour nous renseigner, et maintenant les types de pneus à l’écran, mais pour nous aider, ils sont en train de développer un système permettant de savoir si un pilote a fait toute la séance avec le même pneu ou s’il en a changé. Ce serait pour la saison prochaine et ce serait le must du must, car pour l’instant, Randy doit essayer de deviner  le pneu utilisé par le pilote et son usure, et ça pour tous les pilotes. Et ce facteur change tout, pour l’explication d’une séance. »

Ça, c’est le côté technique du métier. Mais quelle part de passion rajoutez-vous par-dessus la couche d’informations ?

« Chacun s’exprime comme il est, et je suis quelqu’un de passionné et d’entier. Si la course n’est pas top, je ne vais pas m’enflammer. Je me souviens d’une course Supersport, ici à Misano, où sur les six Français au départ, il ne restait plus que Costes au deuxième tour. Heureusement que Philippe Debarle était la ! Généralement, il avait moins de pêche que moi, mais là, j’étais tellement dépité que j’ai vraiment accusé le coup. Évidemment, le plus terrible à commenter, ce sont les accidents mortels. Encore ici, à Misano, on a dû commenter la course et celle des MotoGP après l’accident de Tomizawa. Ce sont les pires moments du métier ! Ça, les accidents de Dajiro Kato et de Marco Simoncelli. En direct, c’est terrible ! Une sorte de hantise… »

Alors, à l’inverse, quels sont vos meilleurs souvenirs en Grand Prix ?

« Le meilleur Grand Prix à commenter, et j’ai eu la chance de pouvoir en parler récemment avec les deux protagonistes, ça reste, par le suspense et tout ce qui s’est passé, la course 250cc à Donington en 2000, quand Waldman fait le bon choix de pneus, qu’à un moment il est à plus d’une minute trente avant de finalement gagner dans le dernier virage en dépassant Olivier Jacque. Un autre moment fort a été la première victoire de Norifumi Abe qui gagne au Japon. Il était sensationnel ce pilote, et je comprends que Rossi voulait s’appeler Rossifumi à ses débuts. Les courses d’Abe, c’était quelque chose, et je pense qu’il n’y a qu’un Japonais qui peut se débrancher le cerveau et faire ça chez lui. C’est incroyable ce qu’ils sont capables de faire !
Plus récemment, une course comme Phillip Island 2015, avec 54 dépassements entre les premiers, c’est exceptionnel ! »

Sous forme de plaisanterie, d’où vous vient cette passion animalière ?

« (Rires). Ils nous montrent des images d’animaux et je suis commentateur, donc je commente. Évidemment, ce n’est pas drôle quand la mouette se fait tuer, mais sinon il y a souvent des images amusantes avec les animaux qui traversent. Mais je le répète, ce n’est pas moi qui choisis les images… »

 Après tant d’années à commenter, n’est-ce pas un peu devenu une routine ? 

« Non, je suis toujours autant passionné et la moto me procure toujours autant d’adrénaline. Déjà, le samedi soir, je dors moins bien car je suis excité par ce qui va se passer durant la course. Et là, cette année, c’est dommage ce qui est arrivé à Valentino Rossi, mais cinq pilotes qui jouaient le titre, c’est exceptionnel. Ici, à Misano, il y a des années où c’est déjà plié, mais là, je vous mets au défi de me dire qui va remporter le titre. On ne peut même pas savoir qui va gagner dimanche… »

Comment avez-vous fait évoluer votre travail au fil des ans ?

« J’ai eu l’idée, il y a sept ou huit ans, d’inviter de temps en temps un ou deux téléspectateurs, et j’ai été étonné de voir à quel point cela les intéressait. Du coup, on essaie de le refaire de temps en temps car cela les passionne vraiment de voir comment on travaille. L’envers du décor intéresse les gens. Souvent, ils sont étonnés de voir dans quelles conditions on travaille, avec nos petites cabines et nos petits écrans.Sinon, bien évidemment on utilise maintenant énormément les informations disponibles sur les réseaux sociaux des pilotes et des équipes pour commenter. »

Au final, Rémy Tissier est donc un homme heureux ?

« Ben oui (rires) ! C’est un métier sensationnel ! Je pense qu’on a aussi la chance d’avoir des pilotes extrêmement accessibles et je ne suis pas persuadé que cela se passerait de la même façon en Formule 1. »