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A priori, on ne présente plus Rémy Tissier aux passionnés de Grands Prix ! De retransmission en retransmission, sa voix les accompagne depuis maintenant près de deux décennies et, au fil des ans, il est devenu un personnage absolument incontournable du paddock…

Et pourtant, qui sait vraiment ce qui se cache derrière ses commentaires ? Nous avons profité d’un moment d’accalmie à Misano pour réaliser cette interview et tenter d’éclairer de nombreuses facettes de ce métier et de cet homme dont l’expérience est à ce jour rarement égalée.


Rémy, depuis combien de temps commentez-vous les Grands Prix ?

« Le premier Grand Prix que j’ai commenté était au Mans, avec Frédéric Viger qui travaillait à l’époque à Motors avec Jean-Luc Roy, et le deuxième était à Barcelone en 1995 avec Jean-Luc Roy. J’ai dû commenter avec au moins 10 ou 12 complices différents dans ma carrière, même si la grosse partie a été faite avec Philippe Monneret pendant 11 ans, puis avec Philippe Debarle et, plus récemment, avec Sébastien Charpentier. Pour l’instant, c’est mon 13e Grand Prix avec Randy, et ce n’est pas le moins bon des consultants. Une des raisons est qu’il est très jeune, c’est le plus jeune que je n’ai jamais eu, et qu’il est encore en activité. Il roule en endurance, il a roulé sur la KTM MotoGP qu’il a développée, ainsi que sur la Suzuki GSX–RR. Je pense qu’en fait, plus le sportif de haut niveau est encore en activité, mieux il connaît son domaine. En particulier, Randy connaît très bien les motos dont il parle à l’antenne. »

Vous dites que vous avez commencé par la radio. Quel est l’apport de cette expérience dans votre métier d’aujourd’hui puisque, après tout, les spectateurs ne vous voient quasiment pas, saufs quelques instants avant le début des séances ?

« C’est vrai, même si maintenant on nous voit un tout petit peu, mais de plus en plus, au début et à la fin de chaque séance grâce à une caméra GoPro dans la cabine. Effectivement, et c’est ce que je dis aux pilotes présents avec nous et qui sont parfois très stressés, il s’agit d’un commentaire presque radio, sur des images, quand même. Les trois années que j’ai passées à la radio m’ont énormément aidé. Par exemple, en radio, vous ne pouvez pas faire de blanc. De plus, vous devez imager pour que l’auditeur puisse imaginer ce que vous, vous êtes en train de voir. En télé, on a le support des images, et le téléspectateur aussi, donc on n’est pas obligé de se précipiter ni de parler tout le temps. Par exemple, lors des ralentis, les images peuvent se suffire à elles-mêmes. »

On ne vous voit quasiment pas, donc on peut imaginer que la qualité de la voix est très importante. Cela se travaille-t-il ?

« La voix, quand on a fait nos écoles de journalisme, on a très vite vu ceux qui l’avaient et ceux qui ne l’avaient pas. La voix est cruciale. Si elle agace, par exemple en montant dans les aigus, c’est un handicap. Après, il y a des techniques pour la poser et pour moduler. Moduler est très très important. Si vous braillez en permanence, cela lasse très vite. Si vous écoutez vraiment une séance, je peux parler fort sur une action mais aussi faire retomber ma voix en l’espace d’une seconde. J’ai fait le conservatoire d’Arts Dramatiques de Dijon et j’ai appris à shunter ma voix. C’est un exercice très particulier de poser sa voix, par rapport à commenter en direct. C’est plus facile de commenter en direct, en tout cas pour moi. Ce qui est excitant, c’est que tu vis le truc. J’ai des qualités et les défauts de quelqu’un qui est spontané et entier. Est-ce que ça me plairait, est-ce que j’ai le tempérament pour faire un papier écrit, une analyse fouillée en se basant sur plein de données, deux mois après, pour un magazine ? Ce n’est pas ma personnalité et ça ne va pas coller avec moi. »

Était-ce une passion depuis votre enfance ou est-ce arrivé au hasard d’une carrière ?

« Je me suis toujours intéressé à la moto. Mon frère faisait des compétitions contre les frères Marc et Philippe Joineau qui faisaient le rallye Paris-Dakar car venant de la Côte-d’Or, il était plus facile de faire du motocross vers chez nous. Et par l’intermédiaire de mon frère et de ses copains, le premier champion pour lequel j’ai vibré s’appelait Jacky Vimond. À l’époque, il n’y avait pas de retransmission télévisée du motocross, et on était obligé d’attendre à la radio les résultats. J’ai donc commencé par suivre des courses de motocross. J’avais été commenter pour Radio France, en début de carrière, la première victoire d’Yves Demaria. À l’époque, ce n’était pas du direct mais plutôt des interviews avec un Nagra. Donc oui, j’aimais vraiment la moto. Cela a commencé avant mes 14 ans puisque j’avais une TSA Peugeot, avant de m’acheter à 16 ans chez Jeunet Motos, sans l’autorisation de mon père, une Honda XR 125cc que je suis allé par la route cacher chez ma grand-mère en Saône-et-Loire car mon père voulait la ramener au magasin. »

Si cela n’avait pas été la moto, et le football, quel autre sport auriez-vous aimé commenter ?

« La boxe ! C’est un sport que j’adore. C’est rapide et ça me correspond. »

Le grand public ne s’en rend pas forcément compte mais vous ne faites évidemment pas seulement que vivre votre passion. Vous êtes un véritable chef d’orchestre de toute une structure, avec son organisation et ses règles très professionnelles…

« Il y a énormément de règles et très souvent, ceux qui viennent dans la cabine le casque sur leurs oreilles, se rendent compte de la difficulté de notre métier. Des fois, on a des cabines absolument minuscules, comme par exemple en République tchèque où on peut difficilement rentrer à trois. Dans le casque, il y a toujours des gens qui parlent en différentes langues, par exemple en anglais pour les décomptes, plus la régie qui nous parle depuis Paris. Il y a vraiment beaucoup de choses qui peuvent interférer. Maintenant, on a aussi quatre écrans devant nous, avec beaucoup d’informations à traiter, comme les abandons, les départs volés, etc. Grâce aux progrès faits par la Dorna dans ce domaine, on peut suivre un pilote en particulier et c’est sensationnel, mais le moment où vous avez l’œil sur cet écran, vous ne pouvez pas regarder sur les autres écrans pour voir ce qui s’y passe. Au niveau du son, il y a des boutons à monter pour régler les volumes, comme par exemple celui qui concerne Vanessa dans la Pit-Lane. Rajoutez à cela quelqu’un qui vous parle très souvent dans le casque, et cela fait déjà beaucoup de choses à gérer quand tout se passe bien. Il y a aussi l’exercice qui n’a l’air de rien mais qui est très difficile de la traduction simultanée. Il faut savoir que si vous demandez à un traducteur professionnel, il vous dira qu’il est épuisé au bout de 10 minutes. Et c’est son métier ! Cela demande une concentration extrême. Et pour nous, cela vient avec après parfois plusieurs heures d’antenne. À l’époque, avec Philippe Monneret, il nous est arrivé de commenter jusqu’à sept heures d’affilée ! Après, il peut aussi y avoir un problème technique et du stress qui viennent encore compliquer les choses.

Il y a plein d’exercices, dans le commentaire. On ne commente pas du tout de la même façon une séance FP1 que déjà la FP3 qui, en MotoGP, est déjà devenu une vraie séance de qualification, notamment pour Johann Zarco qui veut absolument éviter la Q1. Ensuite, avec Randy, on monte en puissance sur la Q2, avant de retomber un peu pour le Warm up. Mais la course, on la commente totalement différemment de tout le reste du week-end !

Autre exercice, la course va être rediffusée, donc il ne faut pas se précipiter avant de parler. Dans la presse écrite, on peut réécrire son texte avant qu’il ne soit diffusé. Là, quand c’est dit, on ne peut plus revenir en arrière. »

A suivre…