Comme nous en avons très régulièrement le plaisir, Hervé Poncharal nous a partagé ses différents points de vue sur cette saison outre-mers.
Mais, pour une fois, actualité oblige, inversons l’ordre classique des sujets pour commencer par la MotoE, continuer par la Moto2 et terminer par la MotoGP.
Hervé Poncharal, nous en arrivons à la MotoGP. Après cette première partie de saison outre-mer, pouvez-vous déjà dresser un premier bilan, avec les points positifs et les points négatifs ?
Hervé Poncharal : « en regardant les premiers
essais hivernaux, à Sepang et au Qatar, j’avais dit à mes pilotes,
à mon équipe et à quelques amis des médias, que l’objectif, au
moins sur les 3 premières courses avant d’attaquer la saison
européenne à Jerez, ça serait de marquer au moins un point. Parce
qu’en regardant les feuilles des temps, on voyait que c’était très
serré et qu’en faisant l’addition des Yamaha, des Ducati, des
Suzuki et des Honda, qui sont sur le papier devant nous, on arrive
à plus de 15.
Franchement, on a manqué le point de 3 fois rien au Qatar, et par
contre, que ce soit en Argentine ou au Texas, on était bien dans
les points avec évidemment une mention spéciale pour l’Argentine
puisque Miguel Oliveira a été beaucoup plus proche de la tête que
ce que l’on aurait pu imaginer même dans nos rêves les plus
positifs, que ce soit en qualification ou en course. On a été très
très heureux et très fier de ce qui s’est passé en Argentine ! Au
Texas, on a été content parce que partir dernier et remonter dans
les points n’était pas nécessairement facile, mais on l’a fait,
même si l’écart était plus important avec la tête, comme on s’y
attendait ».
« Mais je voudrais aussi souligner rapidement que l’on est également content de ce qu’a fait Pol Espargaró ! Parce que pour nous, on peut toujours se dire « on a été dans les points mais il y a eu quelques chutes devant » ou « on a été dans les points mais l’écart en temps par rapport au vainqueur est très important », mais quand on voit les performances que fait Pol, notamment sur un circuit très compliqué et particulièrement difficile à gérer pour KTM lors des 2 premières années, sa performance ET en qualification ET en course, où il finit 8e, c’est quand même quelque chose qui ne peut que nous donner du baume au cœur et que nous rendre plus positifs. Nous, mécaniciens, techniciens et pilotes ! ».
« Je lis rapidement quelques commentaires d’internautes qui disent parfois que je suis politiquement correct et que je me contente de peu, mais c’est évident qu’aujourd’hui on n’est pas capable de se battre avec les 4 marques de pointe. Mais j’entends aussi dire que Pol fait des tours rapides en apnée, les yeux fermés, en qualification, or il a fait autant de tours que les autres en course, en restant sur ses roues, et a terminé 8e ! Donc ça, ce sont des choses positives et c’est en ayant un ou des pilotes rapides qui ont un état d’esprit constructif et positif qu’on arrive à faire avancer le développement, et surtout le faire avancer plus rapidement. Parce qu’à un moment donné, dire que cela ne va pas assez vite, on le sait et tous les gens impliqués dans ce projet le savent ! Mais si on a une attitude constructive, c’est plus efficace sur le court terme que si on dit qu’il n’y a rien qui va ».
« Je vous en ai déjà parlé, je suis extrêmement heureux et
satisfait de ce que fait Miguel Oliveira. Hafizh Syahrin a plus de
mal à s’adapter à cette nouvelle moto et il est de façon claire pas
au niveau de ce qu’il faisait avec la Yamaha l’année dernière. Dans
l’organisation, on pensait au moins en début de saison que le
pilote qui avait une année d’expérience en MotoGP allait être
devant le rookie, mais aujourd’hui c’est plutôt l’inverse. C’est
aussi intéressant de réfléchir à ça et d’analyser car ça semble
indiquer que quand tu arrives avec un œil neuf, directement de la
Moto2 sans avoir jamais roulé sur une MotoGP, tu te poses peut-être
moins de questions : pour toi, la MotoGP c’est la KTM et tu
dois adapter mon style de pilotage ! ».
On aurait aimé qu’Hafizh marque au moins un point sur ces 3
courses. C’est passé très, très, très près en Argentine où il a
fait sa meilleure des 3 courses, c’est clair, mais ce n’est pas
passé assez près. Ça montre aussi qu’on n’a pas atteint l’objectif
dont je vous parlais au début durant ces 3 premières courses avec
notre 2e pilote. Ça met en avant ET les belles performances de
Miguel ET le côté pas si évident que ça d’être dans les points
».
Globalement, on a quand même vu une progression de vos 2 pilotes depuis les essais hivernaux jusqu’en Argentine, puis un peu plus de peine au Texas qui est sans doute le circuit le plus difficile à la fois techniquement et pour des débutants. Si on se projette maintenant sur les circuits qui arrivent, Jerez sera peut-être encore un peu difficile mais Le Mans pourrait mieux convenir à la KTM devant les fans français…
« Oui. Mais il faut toujours se méfier car on est arrivé au Texas avec les commentaires de tout le staff KTM et de Pol qui était le seul pilote KTM à y avoir roulé. Et ils nous avaient dit que ça allait vraiment être difficile et qu’on aurait du mal à être performant. Or il se trouve que cela a été la meilleure qualification d’une KTM sur le sec et la meilleure position en course d’une KTM sur le sec. Donc il faut toujours se méfier de faire des pronostics car beaucoup de choses changent d’une année sur l’autre. C’est clair que, sur le papier, Tech3 devrait être un petit peu mieux que lors des premières courses car on commence à beaucoup mieux comprendre la KTM, la moto évolue, et nos pilotes deviennent de plus en plus à chaque course des pilotes KTM MotoGP. Je sais que Miguel adore Jerez alors que c’est loin d’être la piste favorite d’Hafizh. On espère également toujours avoir des évolutions. On attend et je ne vais pas me lancer dans une liste de choses, mais on peut voir que dans le team officiel ils ont un ensemble selle-réservoir-échappement différent du nôtre… Peut-être qu’on aura la chance de recevoir ces éléments à Jerez. Peut-être pour la course ou peut-être pour les essais qui auront lieu le lundi après celle-ci ».
« Et comme vous l’avez souligné, je pense aussi que Le Mans est
un circuit où l’on devrait être pas trop mal. Maintenant, encore
une fois, pas trop de pronostics, que ce soit dans un sens ou dans
l’autre. Mais oui, on donne rendez-vous à tous les supporters
français au Mans ! ».
« Bien sûr, nous n’avons pas de pilote français cette année, et
l’engouement que l’on a vécu l’année dernière nous a énormément
marqué : c’était vraiment un moment magique ! On n’aura donc
pas la même chose cette année mais en tout cas, on va tout faire
pour que les KTM fonctionnent là-bas et il ne faut pas oublier
qu’il y a un pilote français, Johann Zarco, qui roule sur une KTM
officielle. Donc si les KTM se comportent mieux au Mans, cela va
être intéressant ».
Sans rentrer dans les secrets techniques, quel est le principal point faible de cette moto ?
« Sans rentrer dans les détails, il n’y a pas un problème
spécifique. Il n’y a pas de gros point noir qu’il faut absolument
solutionner pour avoir une machine performante. Je pense qu’on perd
un petit peu partout. C’est une addition de tout un tas de petites
choses. Aujourd’hui, on n’a pas le meilleur moteur et la moto est
encore peut-être un peu lourde, mais il n’y a pas de gros
défauts.
Lors des premiers tests que nous avons faits à Valence et à Jerez,
les pilotes avaient une difficulté pour se sentir bien en sécurité
par rapport au ressenti du train avant. Aujourd’hui, quand je
discute avec Miguel, il me dit « je fais des trucs incroyables
et le train avant est rivé au sol. Il y a des moments où je rentre
trop fort et je tourne quand même en gardant les freins et ça ne
bouge pas ». Donc là, on a fait des progrès énormes. C’est à
la fois la moto qui a évolué et le pilote qui a compris comment
gérer ce package technique, et c’est aussi une équipe technique qui
arrive à mieux cerner tout cela. Donc on n’a pas de handicap majeur
et il faut qu’on progresse partout. KTM en est très très conscient
et la moto a déjà connu des progrès très importants au niveau du
ressenti des pilotes depuis fin novembre, ce qui n’est pas très
très vieux. Le problème, c’est qu’on avance mais que tout le monde
avance aussi. Il faut donc qu’on avance plus vite que les
meilleurs, et ce n’est pas aussi facile à faire qu’à dire ».
Mais honnêtement, et je pense que c’est important, il y a un bon état d’esprit dans le groupe KTM MotoGP. Que ce soit l’équipe de développement ou les 2 équipes de course, on est côte à côte mais il n’y a pas de mur : on est tout le temps en train de discuter et d’échanger, et il y a vraiment un ressenti positif et une envie. Tout se passe dans une saine ambiance, même si on travaille tous d’arrache-pied, et c’est à noter ».
Entre Pol et Miguel, le courant passe super bien, ils se poussent l’un l’autre et ça fait plaisir à voir. C’est l’intérêt pour tout constructeur d’avoir 2 équipes et 4 pilotes : on a plus de retour d’informations et c’est clair que les pilotes se poussent les uns les autres. D’ailleurs, Miguel l’avait déclaré et avait dit que son but était d’arriver à être le meilleur pilote KTM. Il y a encore du boulot mais il faut continuer, et en tout cas c’est son objectif. Pol ne veut surtout pas perdre sa place de meilleur pilote KTM. Je pense que Johann travaille très très fort. Je vois bien ce que fait Pol et il se chamaille aussi avec Miguel : il était derrière lui en Argentine et devant lui au Texas. Donc voilà, ça fait une saine émulation et tous les pilotes se poussent les uns les autres. Et c’est comme ça qu’on avance, c’est évident ! ».