Avec deux victoires à Brno et Misano, et un total de onze podiums cette année, Gilles Bigot et son pilote Tom Lüthi n’étaient plus qu’à 29 points de Franco Morbidelli à deux Grands Prix de la fin. Mais une fracture à l’astragale de la cheville gauche subie le samedi à Sepang allait ruiner la fin de saison du Suisse. Il n’en terminait pas moins vice-Champion du Monde, et partait avec Gilles chez Marc VDS en MotoGP pour 2018.
Quel est le bilan de ta saison 2017 en Moto2 avec Tom Lüthi ?
« Terminer second au Championnat pour la deuxième année
consécutive c’est bien mais cela aurait été fantastique de livrer
la dernière bataille à Valence. En début de saison nous avons eu à
faire face à une petite crise de confiance de la part de Tom avec
des chutes lors des essais avant le premier GP au Qatar, premier GP
avec un bitza donc du temps de perdu pour donner une moto qui lui
donne entière satisfaction. »
« Avec le temps nous avons comblé l’écart qui nous
séparait de Franco Morbidelli mais Franco était très fort cette
année. Ses deux chutes ont permis à Tom d’être en lice pour le
titre mais Franco dominait. L’annonce du passage en MotoGP et le
fait que les principaux sponsors du team ont décidés de le suivre
et d’arrêter avec le Moto2 a perturbé Tom et il n’a pas eu la
sérénité nécessaire qu’il lui aurait fallu pour mener ce combat en
fin de saison, ce qui explique ses chutes au Japon en Australie et
en Malaisie. Tout est fait de détails, un grain de sable puis un
autre et ce qui était déjà compliqué le devient encore plus. Comble
de malchance, la chute de Sepang s’est soldée par une fracture de
l’astragale et l’arrêt de la saison pour Tom, il a également perdu
les deux séances d’essais MotoGP qu’il devait faire. »
« Maintenant il faut tourner la page et regarder
devant. »
Tom a l’air enchanté de toi, affirmant que « Gilles Bigot vaut de l’or ». Ce commentaire est-il révélateur de la qualité de votre rapport ?
« Son commentaire et bien sûr très exagéré, Il est vrai que
nous nous entendons bien, lorsque l’on travaille ensemble je ne
limite pas la discussion a l’aspect technique, je cherche
avec lui comment surmonter certaines difficultés et aussi
comment le rendre plus fort, il me fait confiance et c’est
important pour un chef mécanicien d’avoir ce genre de rapport.
»
Lors des tests hivernaux, en raison de la blessure de Tom, tu as dû faire rouler la Honda RC213V que tu découvrais avec Alex Marquez. N’était-ce pas compliqué ?
« Cela s’est bien passé, en fait Michael Bartholémy a eu la
bonne idée de demander au HRC si il était possible de faire rouler
Takumi Takahashi pour nous permettre à moi, à Enrico le
nouveau responsable du mapping et Achim un mécanicien de nous
familiariser avec l’équipe et surtout la moto donc à Valencia ce
fut un peu la découverte sans stress ni pression car le but était
de faire des tours et des changements sur la moto pour voir comment
elle réagissait. Pas facile pour Takumi car il roule Bridgestone au
Japon et il n’est pas venu pour faire des chronos. »
« A Jerez nous avons roulé le 1er jour au matin avec
Takumi et ensuite Alex a pris le relais avec la seconde moto qui
avait des réglages conseillés par la HRC. Alex était encore fatigué
de ses deux jours d’essais de moto2 à Valence donc nous avons
réduit les runs pour éviter qu’il ne soit trop fatigué pour le
lendemain car la MotoGP est très exigeante. »
« Le lendemain nous l’avons fait rouler sur la deuxième
moto avec des réglages moins typés et en tenant compte des
commentaires qu’il avait fait la veille et après une bonne nuit de
sommeil. Alex a roulé plus vite dès son premier run, ensuite nous
avons continué à faire des changements en fonction de ses
commentaires pour plus de performances, essais de plusieurs
pneumatiques avant et arrière. »
« Ce fut très intéressant pour nous car Alex avait de
bonnes sensations et nous a permis de comprendre un peu plus le
comportement de la moto, il a amélioré ses chronos régulièrement et
il termine à 2,1 secondes d’Andrea Dovizioso avec des pneus
mediums, donc satisfaisant. »
« Je pense que l’expérience avec Alex va être utile
pour nous à Sepang pour les premiers essais de Tom avec le Honda
RC213V, une des premières choses sera d’éviter de faire trop de
tours le premier jour. »
Tom Lüthi était présent lors de ces tests. Qu’en a-t-il appris ?
« Tom était présent à Valence mais pas à Jerez. A Valence il
a pu voir du bord de piste et comparer des styles de pilotage et
ensuite être avec nous dans le box pour discuter de notre première
rencontre avec la RC213V. »
« Après les essais de Jerez avec Alex, nous avons parlé de ce qu’Alex avait ressenti et de notre avis comment débuter avec lui à Sepang, il sait qu’il devra nous écouter pour ses premiers tours de roues. »
Depuis que tu as été Champion du Monde avec Alex Criville en 1999 en 500, les mécaniciens n’ont plus le droit d’ouvrir un moteur, et l’électronique a pris une importance capitale. Est-ce toujours pour toi le même métier ?
« Le métier évolue, pour le mécanicien c’est vrai qu’il
n’ouvre pas le moteur mais il y a des interventions en MotoGP qui
prennent du temps donc ce n’est pas trop monotone, pour le
responsable technique qui travaille avec son pilote. »
« Le but reste le même, essayer d’optimiser la moto,
bien comprendre le ou les problèmes et essayer d’apporter des
solutions avec tout le staff technique car ce que l’on veut c’est
de la performance. En fait nous passons plus de temps à dépouiller
les datas qu’à l’époque des 500 cm3 ou c’était plus basique,
beaucoup moins dans le détail. »
Tom Lüthi et Franco Morbidelli ont lutté l’un contre l’autre cette année pour le titre mondial en Moto2. Après avoir terminé aux deux premières places du Championnat, ils passent en MotoGP où ils vont se disputer la place de meilleur rookie. Jusque-là tout est normal. Qu’ils le fassent dans la même équipe, par contre, n’est-ce pas un peu déstabilisant ?
« Le premier adversaire est son coéquipier donc rien de
déstabilisant mais il va falloir être concentré car le pilotage de
la MotoGP est plus exigeant mentalement, ensuite ils peuvent
s’entraider s’ils le désirent. »
Arriver en MotoGP comme rookie juste la saison d’après Johann Zarco, est-ce intimidant ? Est-ce que ça oblige à hausser ses objectifs ?
« Oui, Johann a mis la barre très haute, son adaptation à la
catégorie MotoGP, son pilotage, sa force mentale, donc oui pour un
rookie c’est assez intimidant. Ensuite il faut avoir des objectifs,
alors s’inspirer de Johan n’est pas une mauvaise idée. En fonction
des premiers essais et du temps que Tom va avoir pour s’adapter à
sa nouvelle moto il va falloir être réaliste et faire sa feuille de
route. »
De quelle moto Tom et toi allez-vous disposer ?
« Tout simplement la même que celle des essais car c’est le même châssis utilisé par le HRC depuis la mi-saison. »
Photos Gilles Bigot DR