Le constructeur suisse Suter, pour qui travaille Didier, a conçu et fabriqué pour l’équipe MV Agusta Idealavoro Forward, la Moto2 qu’utilisent Dominique Aegerter et Stefano Manzi. Suter a réalisé l’intégralité du châssis (cadre, bras-oscillant et réservoir) en collaboration avec MV-Agusta. Comme pour toutes les Moto2, le moteur et l’électronique sont d’origine Triumph et Magneti Marelli, tandis que les suspensions proviennent de chez Öhlins, l’échappement de chez SC Project et les jantes forgées en magnésium de chez OZ.
Lors de ses débuts en novembre à Jerez, la MV se classait 14e avec Manzi, puis lors du GP d’ouverture au Qatar Aegerter terminait 18e et Manzi 20e.
Didier, que penses-tu du début de la carrière de la MV Agusta Moto2, qui a été réalisée en grande partie par Suter ?
« Je pense que ce n’est pas assez bien parce qu’on connait le palmarès de Dominique Aegerter et on sait qu’il est capable de faire mieux. Les résultats de la moto ne sont donc pas bons en fonction des références du pilote. Pour le moment, ils sont en-dessous du potentiel. Mais comme nous ne sommes pas impliqués directement dans la partie exploitation sur les circuits, il est difficile pour nous de juger. »
La vitesse de pointe de la MV n’est pas extraordinaire avec presque – 8 km/h par exemple au Qatar. Quelle en est la raison ?
« En analysant les partiels, on voit que ce n’est pas dans le sinueux qu’elle perd le plus de temps. Au Qatar la ligne droite est longue – plus d’un kilomètre – et toute faiblesse à cet endroit est rédhibitoire. Même pour le moral du pilote, c’est un gros handicap. On l’a vu en MotoGP : si vous n’avez pas la moto qui permet de suivre à l’aspi, vous partez perdant.
« Le déficit en vitesse de pointe en Moto2 ne vient jamais des moteurs, pas plus maintenant qu’avant avec les Honda. Les moteurs sont réalisés de façon très professionnelle, avec une tolérance assez faible. Entre le meilleur et le moins bon, la différence ne justifie pas l’écart de 8 km/h.
« Donc ça vient de l’aéro, c’est-à-dire du carénage, mais aussi de la position du pilote. Avec un casque un peu trop haut, on peut perdre facilement 2 km/h. Les protections de genoux qui dépassent coûtent facilement 1 km/h. Autant avec les pieds, avec la position du pilote, avec la longueur de la selle qui empêche le pilote de bien se positionner…
« Tous les teams de pointe passent en soufflerie et ajustent le pilote sur la moto. Mais celui-ci peut ne pas respecter la position ainsi définie quand il roule sur circuit. L’erreur est humaine, et ça arrive fréquemment. On obtient parfois un package idéal en soufflerie, mais sur la piste le pilote peut ne pas avoir la même bonne position. Si on a la chance et le budget de pouvoir repasser en soufflerie, il faut peaufiner tout ça. Donc forcément les teams qui ont plus de moyens sont favorisés ».
L’utilisation du nouveau moteur Triumph et de l’électronique Magneti Marelli a-t-elle obligé à reconcevoir la totalité de la partie-cycle ?
« Oui, car l’architecture du moteur est totalement différente du 4 cylindres Honda en ligne précédant, donc l’implantation et les fixations sont différentes. Les ingénieurs de Suter ont calé sur l’ordinateur le moteur et les roues par rapport au centre de gravité. Mais il est hors de question de modifier un ancien cadre destiné au moteur Honda, si l’on veut être performant. »
Le début de saison de KTM en Moto2 au Qatar n’a pas été extraordinaire pour les officiels (Brad Binder 12e et Jorge Martin 15e), ni pour les privés (les 5 qui terminent étaient entre la 21e et la 26e et dernière place). C’était étonnant pour ce constructeur qui a terminé 2e du Championnat l’an dernier avec Miguel Oliveira. En vois-tu la raison ?
« Il y a peut-être un rapport avec le sujet précédent. Il faut mettre le moteur au bon endroit dans le châssis par rapport aux roues. Donc tout est à revoir, y compris l’équilibrage des masses. Ça ne se joue pas à coup de centimètres, mais de millimètres. Avec le nouveau moteur, on a eu moins de temps pour concevoir une nouvelle machine, et à mon avis chez KTM ils doivent être assez préoccupés par la MotoGP. Par contre, eux ont les moyens de rectifier, de modifier, de repasser en soufflerie, de refaire des châssis autant qu’ils en veulent.
« L’avantage et l’inconvénient qu’ils ont est qu’ils fabriquent leurs propres suspensions (WP appartient à KTM). Ils sont les seuls à utiliser cette suspension, donc c’est un peu moins facile. Öhlins en face est quand même une sacrée référence ».
Fabio Quartararo, mais aussi Joan Mir, ont réalisé un début de saison impressionnant en MotoGP, alors qu’ils brillaient moins en Moto2 l’an passé. Pourquoi, d’après toi ?
« En Moto2, tout se joue sur des détails. On n’est pas loin d’une coupe de marque. Chaque détail est important, qui peut être technique, mais aussi humain. Il faut avoir la bonne équipe, le chef mécano qui s’entend bien avec le pilote. Il peut y avoir des non-dits, ou le courant peut moins bien passer, et ça peut faire une différence énorme en Moto2. Cinq dixièmes dans cette catégorie, ce sont parfois dix places !
« La Moto3 est une très bonne formation, et ensuite un pilote peut ne pas avoir de résultats exceptionnels en Moto2 en raison des petits détails précités.
« La MotoGP, c’est un autre monde. Le pilote arrive et est complètement pris en charge par tout un tas de gens. Il y a énormément de personnel dans un team de MotoGP. Par rapport à la Moto2, il y a beaucoup plus de paramètres sur lesquels il est possible d’agir. Il peut être ainsi possible de compenser un petit problème en faisant bien fonctionner l’essentiel de la machine. En Moto2, non, ce n’est pas possible. Si on laisse un petit problème non réglé, c’est rédhibitoire.
« Je connais bien Didier Lambert qui a été l’ingénieur piste de Joan Mir en Moto3 chez Leopard. Il m’avait dit « celui-là, il n’y a pas de soucis à se faire pour son avenir ». Ça voulait tout dire. Didier a été plus de vingt ans chez Aprilia sur les circuits et il sait de quoi il parle. Mais même sans les paroles de mon ami, j’avais vu comme beaucoup de gens que Mir c’est de la balle.
« Quartararo nous a fait un coup de calcaire pendant deux ou trois ans, mais ce n’était pas que de sa faute. Il y a eu des apprentis-managers qui ont voulu se faire les dents, mais manque de chance il en a été victime. Fabio est bourré de talent. Son début de saison a été une surprise, il faut être honnête. Ce qu’il a fait en MotoGP depuis qu’il y est, c’est bluffant. Mais ça fait longtemps qu’on sait qu’il est bon. Et même très bon ! »
Vidéo : La présentation de la MV Moto2
Photos © Forward Racing