Ernst Degner est l’un des plus grands hommes
que ce sport ait compté dans ses rangs. Un courage lié à un talent
fou en ont fait une légende. Cet épisode fait suite à la première
partie,
trouvable ici même.
Après avoir fait échapper sa famille d’Allemagne de l’Est en 1961,
Degner est contacté par Suzuki afin d’aider au développement d’une
nouvelle machine deux temps. En novembre 1961, la petite troupe
fait ses valises pour Hamamatsu, Japon. Un endroit d’apparence bien
plus sûr que Dillingen, proche d’une RDA qui chassait le
déserteur.
L’expérience acquise chez MZ en matière de deux temps est la clé du
succès de Suzuki, quelques mois à peine après son arrivée sur
l’archipel. Suzuki se lance à l’assaut des petites catégories en
1962. Degner remporte le titre de champion du monde
50cc, tout en courant en 125cc. Une victoire historique,
puisqu’il s’agit du tout premier titre de la
mythique firme japonaise.
Ce succès à le goût d’une revanche sur la vie pour Ernst. Lui qui,
il y a moins d’un an, devait faire évader sa famille de RDA dans
des conditions dantesques. Fin 1962, il prit part au meeting
d’inauguration de la piste de Suzuka. Le circuit, très technique,
ne laisse pas de place à l’erreur. Au virage n°8, Ernst chuta sans
gravité. Les propriétaires décidèrent donc de nommer le virage
‘Courbe Degner’, en l’honneur de la toute première
chute de l’histoire du tracé.
En 1963, il doit laisser la couronne de champion 50cc à
Hugh Anderson, lui aussi sur Suzuki. Le natif de
Gliwice n’est cependant pas ridicule, terminant à la troisième
place avec un nouveau succès à la clé.
Cependant, le Grand Prix du Japon ne tourne pas à son avantage.
C’est alors la toute première fois qu’il est couru à Suzuka dans le
cadre du mondial. Degner chute très lourdement au deuxième virage
du premier tour. Le réservoir plein se brise. Une véritable boule
de feu s’agite en bord de piste : Le champion Est-Allemand
est à la merci des flammes.
Échappant de peu à l’asphyxie, Degner s’en sort dans un
sale état. Les commissaires, armés d’extincteurs ont
réussi à éviter le pire. Ce jour-là, les dieux de la moto étaient
avec lui. Le bilan est extrêmement lourd. Les médecins restent
dubitatifs quant à son intégrité physique et pour cause : il faudra
attendre un an et cinquante (!) greffes de peau pour qu’Ernst
puisse remonter sur une moto.
Un véritable guerrier de la trempe de Niki Lauda.
Lorsqu’il revient, ce n’est pas pour plaisanter. Il figure sur le
podium à Monza pour son grand retour, puis remporte le Grand Prix
du Japon 125cc un an après le drame.
1965 fut une année mitigée, ponctuée par trois nouvelles victoires
et deux quatrièmes places au scratch, catégories 50cc et 125cc. À
34 ans et marqué par les blessures – dont une grave à Monza ‘65 -,
le légendaire est-allemand planifie sa retraite pour 1966. Une
dernière danse, courue avec son employeur-sauveur Suzuki. Son
visage n’était plus le même, dans tous les sens du terme.
Sa femme n’était plus là, et il semblait débuter une
addiction à la morphine.
Sa retraite ne fut pas de tout repos. Il travaille alors pour
Suzuki-Allemagne en tant qu’importateur à Munich, puis décide de
rejoindre Tenerife, dans les Canaries, pour gérer une concession de
voitures – et accessoirement prendre le soleil -.
Coup de tonnerre en 1983, quand l’on apprend par l’intermédiaire de
la presse la mort de l’ancienne légende à seulement 51 ans.
À ce jour, les causes du décès ne sont toujours pas
élucidées. Certains affirment que sa dépendance aux
médicaments, imposée par son énorme accident de 1963, eut raison de
lui. En revanche, son certificat de décès stipule une crise
cardiaque. La piste de l’assassinat politique par la Stasi, dans un
contexte de guerre froide, n’a jamais pu être vérifiée, bien
entendu. Toujours est-il que le mystère reste
entier.
Degner est un cas à part. Son histoire pourrait être relatée au
cinéma tant elle est énorme, grande et pleine d’enseignements.
Ernst tombait deux fois et se relevait trois fois. Tout n’est pas
rose dans son parcours, certes. Le courage d’un homme qui osa dire
« non » à son état, véritable régime autoritaire,
n’en reste pas moins des plus admirables.
Photo de couverture : Joop Van Bilsen / Degner à la bataille avec Nello Pagani et Hugh Anderson à Assen.