Certaines histoires font froid dans le dos.
Certaines font rires, certaines font pleurer. L’histoire que nous
allons découvrir est un mélange d’émotions, une leçon d’humilité.
Cette histoire, c’est celle d’un héros courageux, d’un pilote
extraordinaire pourtant oublié. C’est celle d’Ernst
Degner.
Si vous ne connaissez pas Ernst Degner, pas de panique ! Il fait
partie de ces légendes que l’histoire a engloutit. Né en 1931, il
fut un grand champion motocycliste,
champion du monde 50cc 1962. Son palmarès n’est pourtant pas ce
qui importe le plus chez Ernst.
La folle histoire débute à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le
père d’Ernst vient de mourir. Le reste de sa famille doit
absolument partir de Gliwice – sa ville natale, aujourd’hui situé
en Pologne – afin d’éviter l’avancement de l’armée Russe vers
l’Ouest. C’est ainsi que le jeune Ernst, accompagné de sa sœur et
sa mère, s’installent à Luckau, non loin de Berlin.
Comme beaucoup d’autres villes importantes de la région, elle sera,
quelques temps plus tard, située sur le territoire de la
République Démocratique Allemande. Pour couronner
le tout, sa mère décède durant cette difficile période de
transition.
L’histoire ne commence pas de la plus belle des manière. Mais plein
de bonne volonté, Ernst, doué à l’école, décide de faire des études
à Potsdam. C’est à cette époque qu’il rencontre un passionné du nom
de Daniel Zimmermann. Passionné de mécanique, ce
dernier était en pleine élaboration d’une toute nouvelle
machine.
C’est sur ces motos 125cc que Degner commença la compétition en
1952. Les ZPH tenaient tête aux meilleurs
deux-roues est-allemands, ce qui lui valut de se faire repérer fin
1955, et pas par n’importe qui. Le célèbre ingénieur allemand
Walter Kaaden, responsable de MZ.
MZ, à l’époque, était une référence dans le domaine du deux temps.
C’est ainsi qu’en quelques années, Degner se retrouve propulsé au
rang d’ingénieur/testeur chez MZ, dans les mythiques ateliers de
Zschopau. Après avoir triomphé en championnat national,
Degner et MZ se lancèrent à l’assaut du mondial en
125cc à partir de 1956.
Dès 1959, les travaux avant-gardistes de Kaaden payent. La
première victoire lors du Grand Prix des Nations à Monza fait grand
bruit dans toute la RDA. Mais Degner n’est pas aveugle. Lui et sa
femme observent le mode de vie des gens d’Europe de l’Ouest et du
Sud, lors des différents déplacements dans le cadre du mondial.
Ainsi, Degner se met en tête de « libérer » ses
proches. Autrement dit, organiser une véritable évasion
d’Allemagne de l’Est.
Tout se passe au Grand Prix de Suède 1961. Lors de la course,
Degner peut encore être titré mais un mystérieux problème mécanique
coupe court à sa course. Pendant ce temps-là, sa famille avait déjà
mis les voiles en direction de Dillingen, non loin
de la frontière française, d’une manière on ne peut plus
rocambolesque, qui ne pourra malheureusement pas être détaillée
ici. En plein milieu de la nuit, il prend sa modeste voiture et
part en direction du Danemark, pour prendre le ferry.
Une fois arrivé en RFA, il met cap au Sud pour retrouver sa famille
en sécurité. Une évasion digne des plus grands films hollywoodiens.
Ils seront régularisés un peu plus tard par un ingénieur
responsables des motos EMC, le Dr Joe Ehrlich.
Entre temps, le clan MZ est furieux. Alors qu’ils étaient en mesure
de jouer le titre mondial, l’équipe se retrouve sans pilote. Les
dirigeants de l’entreprise sont persuadés que ce dernier a trafiqué
son moteur pour ne pas avoir à terminer la course. En Allemagne de
l’Est, tout se sait vite.
Quelques semaines plus tard, MZ dépose plainte; l’état l’accuse
d’avoir abandonné le pays en ayant délibérément cassé sa machine.
Immédiatement, sa licence est déchirée. La plainte déposée à la
F.I.M n’aboutira pas, pour le plus grand bonheur d’Ernst et sa
famille.
La situation n’est pas stable. Degner sait ce qu’il représentait
pour la RDA, et que les hommes de mains est-allemands n’ont pas de
frontières. L’occasion rêvée se présente quand Suzuki l’approche,
en novembre 1961. Direction Hamamatsu, Japon, pour
un autre chapitre dans une vie décidément mouvementée.
Rendez-vous demain pour la suite de cette histoire
ubuesque.
Photo de couverture : Joop Van Bilsen / ANEFO