L’acte de contrition de Takaaki Nakagami sur son lit d’hôpital, le cou enserré dans une minerve et le corps bardé de perfusions, serre le cœur et renvoie le paddock et sa meute hurlante à une réalité du sport moto qui s’oublie vite dès lors qu’un enjeu sportif entre en ligne de compte : un pilote qui chute engage d’abord sa propre peau.
Bien sûr, il peut engager celle des autres lorsqu’il emmène avec lui d’autres pilotes qui n’en demandent pas tant, et c’est ce qu’a vécu l’infortuné Nakagami en fauchant Rins et Bagnaia (avec son casque !) au premier virage du Grand Prix de Catalogne. Mais à moins qu’il ne s’agisse d’une glissade volontaire ou qu’il sorte outrageusement des règles, une erreur de jugement sur un moment aussi critique et hasardeux qu’un freinage appuyé au premier virage relève d’un strict fait de course, parfaitement analysé par la direction de course.
Avant même de donner de ses nouvelles de son corps meurtri, le pilote japonais a adressé ses excuses à Álex Rins et à Pecco Bagnaia, ainsi qu’à leurs équipes. Signe de la pression qu’il subit pour avoir raté ce freinage à un endroit où par le passé on a vu pas moins de six motos dans le bac à graviers en 2006 (celles de Capirossi, Melandri, Gibernau, Pedrosa, De Puniet, Hopkins)… Que les pilotes qui sont certains de ne jamais « croiser l’avant » sous les roues d’un adversaire lèvent la main.
Certes, Taka est récidiviste, comme l’a été Bautista à une certaine période (fauchant même le Dieu Rossi devant son public au Mugello), certes il ruine la course de deux têtes d’affiche de la catégorie MotoGP, favorisant du même coup le leader du championnat, comme l’avait fait Lorenzo en « nettoyant » la piste derrière Márquez sur ce même circuit de Montmeló il y a trois ans. Mais l’adhérence dans ce genre d’action ne tient qu’à quelques centimètres carrés et il est évidemment hors de propos de penser que Takaaki Nakagami cible ses victimes.
Les plus grands ont commis ce genre d’erreur. On se souvient d’ailleurs d’un Takaaki Nakagami dans le rôle inverse à Assen en 2019, lorsqu’il avait été balayé par l’expérimenté Valentino Rossi. Paddock-GP relevait alors : « Valentino Rossi est immédiatement venu s’excuser, et le malheureux pilote LCR Honda ne lui en veut pas. « C’est une chute malchanceuse ». Il arrive même à penser positif : cela aurait pu être pire. « Même si je ne suis pas remis à 100 %, je ne suis pas blessé et c’est une bonne chose après une telle chute. J’ai tapé les protections et je ne me rappelle pas de tout, mais je veux remercier tout le staff pour m’avoir aidé ». »
Souvenons-nous encore de Stoner déclarant au sujet de Rossi que « son ambition a dépassé son talent » à la suite d’un autre freinage raté de Vale… Pas de quoi brûler une idole, mais il arrive que ces « pertes de l’avant » fassent couler beaucoup d’encre, notamment quand elles s’exercent entre coéquipiers. Notamment lorsque Pedrosa avait fait chuter Hayden alors que l’officiel Honda menait le championnat juste avant son terme, ou quand Iannone avait saccagé le doublé Ducati au GP d’Argentine 2016 en se couchant sous les roues de Dovizioso. Les conséquences de ces craquages tiennent souvent à la grandeur d’âme des victimes. Pedrosa épargné, Iannone viré… La liste de ces faits de courses est interminable et rater un freinage pend au nez de chacun de ces funambules évoluant constamment aux limites de l’adhérence. Souvenons-nous, cette année, de Miller entraînant au sol Mir au Portugal…
Il arrive certes que certains pilotes connaissent de mauvaises phases, l’altération de la confiance en soi nécessaire au haut niveau entraînant en général une spirale négative, mais la pression exercée sur la direction de course au sujet de Nakagami, comme celle qui avait cloué Zarco au pilori après son spectaculaire accrochage en Autriche avec Morbidelli, ont quelque chose de malsain. Où l’on peut voir les parias d’un jour se transformer en procureurs le lendemain.
David Dumain