Nous perpétuons notre habitude de vous reporter intégralement les propos de Johann Zarco, de façon brute, donc sans aucune mise en forme ou déformation journalistique.
A côté de la communication parfois un peu formatée des traditionnels communiqués de presse, les échanges entre le pilote français et les journalistes dans l’hospitalité du team Monster Yamaha Tech3 sont d’une richesse et d’une simplicité que les vrais passionnés apprécieront (vous pouvez retrouver tous ses débriefings passés dans notre rubrique “Interviews“).
Il y a toujours le petit détail qui fait plonger chaque jour davantage les passionnés en immersion dans le monde de la MotoGP…
Regardes-tu le football en ce moment ?
« Je regarde ça de très loin mais c’est sûr que j’ai regardé la demi-finale. J’étais content ! Quand il y a des Français devant, quel que soit le sport, tu regardes les Français. J’aime bien y jouer mais je regarde moins. Après, les 3 buts qu’ont marqué le Real face à Liverpool, c’était beau. Je regarde les matchs uniques ».
Gamin, tu n’étais pas fan de foot ?
« Non, seulement la coupe du monde 98. Quand Laurent parle de motos, il est resté dans les années 80, moi, quand je parle de foot, je suis resté en 98 (rires) ».
As-tu pu analyser la course d’Assen pour savoir ce qu’il avait manqué ?
« Oui, j’ai re-regardé la course, et de la manière dont j’ai
vécu les premiers tours, j’avais l’impression d’avoir doublé plus
de monde. Finalement, je n’ai pas doublé beaucoup de monde. Mais
d’avoir pu recoller au groupe, et à un moment donné d’avoir pu les
dépasser, c’était ça le bon signe que j’avais retrouvé une bonne
manière de conduire la moto dès le début de course. Parce que,
encore une fois, j’ai eu du mal au premier virage et j’ai perdu des
places, mais par contre, je les ai vite regagnées. C’est ça qui a
été le point fort de la course et qui a, j’espère, remis dans le
droit chemin pour le Sachsenring et tout le reste de la saison.
Après, j’ai baissé de rythme dans la fin de course, et c’est encore
un peu dû au fait d’avoir fait des hauts et des bas le vendredi et
le samedi. J’arrive le dimanche et je ne suis pas assez prêt, et ça
se ressent car j’ai eu plus de mal sur la fin de course parmi tous
les autres.
Parti, perdu des places par un fait de course, les redoubler et
rattraper le groupe, c’est signe que dès que j’arrive à diriger la
moto comme il faut, la mentalité de guerrier est toujours là. Je
fonce et je suis toujours apte à les doubler. Je suis content de
ça, et finalement, Mugello, Barcelone, ça a été les 2 courses un
peu moins bonnes. Et si mon petit creux de la saison est là, avec
Assen aussi, j’ai quand même gardé la 4e place au championnat. Et
ça, ça me motive parce que j’ai l’impression d’avoir un creux dans
la saison plus tôt que l’an dernier, et pourtant je suis toujours
4e. C’est donc ultra motivant pour se dire d’aller chercher cette
2e place. Avec ou sans victoire cette année, on verra, mais les 2
choses sont possibles. On fonce pour ça ».
Est-ce que ces petits errements des essais te mettent la pression avant le début du week-end ?
« Non, ça ne me met pas la pression parce que tout de suite
après Le Mans, c’était un sentiment de vengeance : « j’ai
raté Le Mans et il faut se refaire au Mugello ». Et
là, à tout prix vouloir gagner ou être parmi les 3 premiers tout le
temps, ça m’a complètement desservi par ce que le Mugello ne se
présentait pas comme ça, et cela m’a mis encore plus dedans
mentalement. Après, Barcelone et Assen, ça rectifiait déjà le
Mugello. Et là, finalement, vu les conditions de course, je garde
la lueur de la victoire, mais quand je sens le potentiel de pouvoir
peut-être gagner, ou être parmi les premiers, ou de pouvoir
améliorer le chrono d’une seconde, quand j’ai cette sensation que
l’on pourrait faire beaucoup mieux mais que ça ne vient pas, je
m’énerve. À Assen, j’ai compris qu’il fallait que je souffle par
rapport à ça.
Donc ici, j’attaque le sujet avec du recul et je ne veux plus
m’énerver. Ça c’est sûr. Je me suis énervé deux courses ou trois,
mais c’est terminé. En fait, il faut plus se dire que la victoire
viendra quand elle viendra. Si tu es premier durant tous les
essais, c’est bon signe que tu peux gagner le dimanche. Tu n’es pas
premier pendant les essais, ce n’est pas non plus mauvais signe. Ce
n’est pas grave si tu ne gagnes pas, mais sache que sans t’énerver,
tu seras peut-être 5, 4 ou 3, mais pas 8 ».
Tout est lié, le mental et la technique ?
« D’abord, ça part de l’aspect mental et ça me fait donner des moins bonnes informations à Guy. Le dimanche matin, j’ai donné une information claire et j’ai dit « je veux pouvoir me bagarrer en début de course ». Et il a su faire ! Donc quand tu donnes une info claire à ton équipe, tu vois qu’elle sait très bien faire. C’est pour ça que c’est toujours une expérience de vie et de course, et je suis content de la passer maintenant ».
Tu dirais que quelque part, tu avais un peu perdu ta clairvoyance ?
« Oui… je pense que je pilotais d’une manière où je créais des problèmes, et je demandais de les résoudre. On aura vraiment la réponse d’ici 2 ou 3 courses, mais c’est mon sentiment après Assen. Cela m’a donc vraiment procuré de la joie et de la motivation pour la suite ».
Tu avais vraiment changé ta manière de piloter ?
« Oui, j’ai essayé d’être presque trop soft dans le pilotage. Surtout dans les entrées de virage. Et en fait, cela m’a desservi. C’est difficile à expliquer mais je créais des problèmes ».
Il fallait un peu plus de niak ?
« Je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu vraiment passer très vite en virage, et c’est plutôt cela qui m’a créé des problèmes ».
Tu as voulu faire du Lorenzo ?
« Oui, en visuel, oui. Mais même en application, Lorenzo ne fait pas exactement ça. On croit qu’il fait ça. J’ai voulu faire ce que je voyais de Lorenzo, mais j’ai mal traduit ce que j’ai vu ».
Et faire du Folger au Sachsenring ?
« Et bien, c’est la clé pour le Sachsenring. L’an dernier, dès le 3e virage, il est passé dans l’herbe car il s’est fait bousculer. Ça lui a mis la rage et il a remonté tout le monde avec le record de piste. Et il a joué la gagne. Ici, il a été performant tout le week-end, et ça aide. Donc c’est vraiment possible et je suis content d’avoir ses données et de savoir où je me trouve par rapport à ses données. Une fois que ça, c’est validé dans la tête, on se fait plaisir en moto. J’étais chez moi et j’ai regardé les séances, et j’étais content de venir ici, comme si c’était un cadeau de Noël : « ah, je vais pouvoir monter sur la moto ! ». Je suis bien motivé et ça fait du bien ».
Ce « reset », tu l’as eu vraiment juste après Assen ?
« Oui, oui, oui. C’est devenu très clair ».
La retraite de Pedrosa ?
« Étonné ! Je pensais vraiment qu’il allait continuer. On a regardé ça tous les 2 avec Hafizh, et c’était presque émouvant, parce que tu te dis que c’est quand même un mythe. Et ça y est, c’est fini. La vie continue. C’est fini pour lui, mais pour moi ce n’est que le début. C’est comme ça que je le vois ».
Tu as appris quelque chose en piste, en le regardant ?
« C’est un vrai pilote de course. La manière dont il conduit les motos, je ne sais même pas si cela aurait fonctionné en Moto2, parce que c’est un vrai pilotage de motos de course. Et en Moto2, je crois qu’à un moment donné il faut avoir un certain compromis. C’est un joker mais il est vraiment conçu pour rouler sur des motos de course. Quand il conduit là Honda, une fois que tout va bien, il est très fort. C’est ce qu’il m’a appris : son style propre, avec des trajectoires à la Lorenzo mais un poil différent, c’est le secret de la longévité en MotoGP ».
Tu veux dire que c’est une sorte de puriste ?
« Oui, et c’est ça que j’ai pu apprendre : son style. Comme j’ai appris de Rossi de ne pas forcer, parce que lui, à cause de son gabarit, cela veut dire que durant toutes ces années il a été obligé de rouler presque sans forcer. Il ne peut pas compenser la moto par son corps, et pourtant il a gagné beaucoup de courses ».
Sa façon d’accélérer en redressant très vite la moto en sortie de virage, c’est quelque chose qui t’a inspiré en Moto2 ?
« Oui. De toute façon, cela reste logique. Après, sur la Yamaha, cela la fait parfois plus bouger qu’autre chose si on la relève trop. Mais c’est la base : se placer pour bien accélérer. Et on voit, même encore maintenant, quand je le suis, même si on se bagarre pour la 6e place, ça reste sa technique. Après, il n’a plus l’entrée de virage comme peut faire Márquez ».
C’était inconcevable qu’il aille en Superbike ?
« Oui. À mon avis, il ne l’aurait pas fait. En fait, je ne sais pas car il peut s’adapter à tout ».
Quand est-ce que tu remontes sur ta 450 d’entraînement ?
« On a mis les suspensions en révision pour faire un gros step. Et même en moteur. Donc peut-être pendant l’été ».
Honda a gagné pendant 8 saisons au Sachsenring. Les Yamaha peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ce week-end ?
« Contre un Márquez, je ne sais pas s’il manque quelque chose à Yamaha, ou plutôt s’il nous manque quelque chose pour l’atteindre. C’est vraiment la référence. Lui, c’est le 100 % du MotoGP maintenant, alors qu’on est tous peut-être vers 80 %. Est-ce que ces 20 %, c’est la moto où le pilote qui les donne ? Celui qui battra Márquez ici et au Texas, il peut avoir des grosses options pour un titre mondial (rires) ».
Rossi a dit que Márquez était intouchable et qu’il fallait viser la 2e place au championnat. Tu es d’accord avec ça ?
« Oui ! Je suis d’accord. Rossi est 2e et moi 4e, donc ce serait bonnard que les 3 Yamaha se battent pour la 2e place, en restant 2,3 et 4 ».
As-tu gardé des contacts avec Folger ?
« Non. J’ai son numéro mais on ne sait pas parler depuis longtemps. J’ai su qu’il revenait (pour le test Moto2). S’il revient en Moto2, à mon avis, il a ce talent pour aller très vite. Il a peut-être aussi fait de l’ordre dans sa vie et dans sa tête, et comme il est jeune, il pourrait reprendre un titre en Moto2 pour revenir plus fort en MotoGP. S’il revenait, je pense ce serait bien qu’il revienne en MotoGP car il en a le talent. Mais peut-être que lui préfère revenir à marcher avant de savoir courir ».
Tu parles de la tête. Tu penses donc que c’était le problème le plus important ?
« Non, il y a aussi le corps. Mais de toute façon, c’est lié. On sait que c’est quelqu’un de très émotif, dont je pense qu’il a eu besoin de se poser un moment car il se sentait vidé, que ce soit physiquement ou mentalement. Après, c’est dur de remettre le couvert ».
Tu penses vraiment qu’il peut revenir ? Car il a toujours eu des problèmes…
« Via le Moto2, sûrement ! Il a quand même cette âme de pilote de course : c’est sa vie ! Donc moi j’y crois ».
Le guidon qu’on voyait pour Pedrosa, il va aller à qui ?
« J’ai demandé et on m’a répondu Bautista ou peut-être même Quartararo. Quartararo sur la Yamaha, ça serait bien ! Le connaissant, il se dirait « Jojo a fait ce qu’il a fait sur la Yamaha, et je peux faire au moins pareil ». Ça pourrait être bien, ça serait top ! ».
Pour Quartararo, ça te paraît bien d’enchaîner tout de suite ? Ce n’est pas du tout ton style de carrière…
« Non. Mais mon style n’est pas le sien. Et la manière dont il est managé, ça serait fort possible qu’il lui dise « prend cette occasion en MotoGP maintenant avant même d’avoir un titre en Moto2 ». Après, s’il gagne encore 5 courses, c’est comme s’il avait le titre et là ça vaut le coup de monter. Ce qui n’est toujours pas notre mentalité, mais ce qui serait quand même le signe qu’il est capable ».
Ça te ferait plaisir qu’il y ait deux français en MotoGP ?
« Oui, je pense, parce que ce serait bon pour la France. Et même pour moi, il prendrait peut-être des places importantes au niveau français, mais c’est ça la compétition. Et tant mieux ! Il faut savoir voir grand, et si on peut faire évoluer le monde moto en France, c’est en ayant de la compétition entre nous ».
Tu as regardé ses courses durant les 2 derniers week-ends ?
« Non. Pour la victoire à Barcelone, j’ai regardé le début de course, puis je me suis endormi (rires) et quand je me suis réveillé, il était loin devant et il ne restait que 4 tours. Et pour Assen, c’est à peu près pareil : je n’ai pas dormi mais j’ai éteint pour me mettre dans ma bulle, et quand j’ai allumé la télé, il était 2e alors qu’il était 6e quand je l’avais éteinte (rires). Mais c’est cool. C’était une belle manière de confirmer la victoire d’Assen ».