Lorsque PaddockGP s’est rendu à Carthagène, en décembre dernier, dans le cadre des essais privés organisés par Johann Zarco, nous avons eu la chance d’échanger avec de nombreux pilotes français. Parmi eux, Ludovic Rizza, un pilote au parcours atypique qui évolue dans le championnat de France de Superbike.
Pilote en FSBK et en Endurance, patron d’équipe et travailleur à temps plein en-dehors de la compétition moto, Ludovic Rizza alterne les casquettes pour se permettre de financer ses saisons en compétition moto. Âgé de 32 ans, il a commencé les courses lorsqu’il en avait 22, pour poursuivre un rêve qu’il n’avait pas été en mesure de réaliser plus jeune, faute de moyens.
Au cours de nos échanges, il évoque la débrouillardise et les solutions qu’il a trouvées pour pouvoir devenir pilote de moto en luttant conter les limites financières et les critiques quant à son âge.
Bonjour Ludovic Rizza ! On peut dire que de tous les
pilotes qui roulent ici à Carthagène, tu es celui qui a le parcours
le plus anormal… Tu peux nous expliquer ?
Passionné de compétition depuis tout petit, je n’ai jamais manqué
les Grands Prix à la télé. Aujourd’hui, j’ai 32 ans, cela fait dix
ans donc que j’ai commencé. En 2014, je participais à des trackdays
par mes propres moyens. Je n’avais pas la chance d’avoir des
parents qui pouvaient me soutenir dans ma démarche, donc j’ai
acheté un CB500 avec ce que j’avais. En ajoutant quelques frais
dessus, on avait une moto pour faire les Promosport 500 Cup. Ça
permettait de rouler avec pas beaucoup de moyens et de s’initier à
la course.
Malgré un âge avancé pour commencer la compétition, tu
ne voulais pas simplement rouler à moto.
Je voulais vraiment me mesurer aux autres, donc j’ai évolué deux
années de suite dans ce championnat, avant de passer au 600, plus
coûteux. De 2016 à 2019, je ne faisais que quelques courses par
saison. J’étais en train de me trouver professionnellement parlant,
alors que j’étais obsédé par ce besoin de faire de la moto. Une
fois ma situation pro stabilisée, j’ai franchi un cap. En 2020,
après une saison passée sur la touche à cause d’une blessure, j’ai
enfin pu rouler avec une moto neuve. J’avais acheté une Yamaha. En
Promosport, j’ai fait toutes les poles, j’ai vraiment bien roulé,
et j’ai décroché le titre en 600. Ça m’a permis de débloquer une
aide de Yamaha pour la saison suivante en 1000, avec une R1. Et
j’ai gagné aussitôt le titre. Ça m’a ouvert bien des portes, dont
l’Endurance.
L’Endurance, mais aussi le Superbike ?
Oui, j’ai attaqué le Superbike. La suite logique. J’ai obtenu une
dérogation pour la catégorie challenger, limitante au-delà de 28
ans. J’en avais déjà 29, mais j’ai expliqué que je n’avais pas eu
la chance de commencer tôt. Cela permet d’avoir accès aux primes de
manufacturiers, sans devoir se confronter au même classement
général que des pilotes qui sont là depuis quinze ans, et soutenus
par des structures officielles.
Tu as d’ailleurs monté ta propre équipe.
Il a fallu que je réfléchisse à un moyen de financer une saison
complète en Superbike. Pour être transparent, cela demande un
budget de 80 000 à 100 000 euros. Comment faire ? J’avais déjà pas
mal sympathisé avec François Speck, parce que j’utilisais les
amortisseurs EMC depuis mes débuts. Il voulait que je représente la
marque en Superbike. Désormais, c’est le sponsor n°1 du team. Il
nous fournit tous les pneus, et avec ce budget en moins à devoir
trouver, ça réduit le besoin. Donc on a acheté nos meubles et
embauché des mécanos. Ça fait deux ans que le team fonctionne en
Superbike.
En 2024, tu as franchi un cap supplémentaire avec Honda
?
En milieu d’année, j’ai eu l’opportunité de rejoindre un programme
Honda. Dès l’été, le soutien de Yamaha s’étant considérablement
affaibli, je voulais partir sur une autre solution. Au fil des
semaines, les choses se sont mises bout à bout pour que je
participe à la finale avec une Honda. Lors de cette finale, j’ai
rencontré les responsables de la marque, pour établir un dialogue,
et ils ont apprécié ma démarche. Ça leur a plu que j’achète ma moto
sans rien leur demander au préalable, et du coup le team EMC
développement va rouler avec Honda l’an prochain. On a obtenu deux
motos, et une énorme aide. Avec le team qui s’est établi en
Supersport mondial, on est aussi invité sur des Trackdays. Ici, on
est invités avec Johann. Pour moi, qui gère mon team, avec une
centaine de personnes qui me suivent, et trente qui me
sponsorisent, de s’associer à Johann Zarco, ça me rend sérieux.
Rouler avec Johann Zarco, c’est une motivation
supplémentaire ?
Oui, surtout dans mon cas. Avant d’être compétiteur, je suis fan de
moto. Johann, je le regardais en 2007 quand il faisait la Rookies
Cup. D’ailleurs, j’ai galéré quand je suis passé en Superbike en
2022, parce que je regardais les autres avec respect. Il a fallu
que je me dise : ‘aller t’es là, fais le truc’. Mais oui, c’est
galvanisant de voir qu’on essaie de nous tirer vers le haut. Ça
m’apprend énormément de choses. Et surtout, je me régale.
L’appui de Honda va t’apporter énormément ?
Oui, ça va être bien. Surtout que j’ai récupéré des gens compétents
pour m’entourer. J’ai amélioré la structure grâce au financement
que j’ai reçu. C’est une structure privée, mais une structure qui
n’a pas grand-chose à envier aux autres. Ça se met bien en place,
et l’objectif l’an prochain sera d’intégrer le top-8 régulièrement
en Superbike. Les six ou huit premiers, et puis continuer notre
chemin en Superbike. C’est vraiment cool de se sentir soutenu par
les marques, et de pouvoir être invité sur des journées pareilles.
À un moment, j’ai eu le syndrome de l’imposteur, ayant commencé
tard. Ce n’est pas vraiment le manque d’expérience qui me faisait
peur, mais ce que les gens me disaient. L’âge, ce n’est pas
limitant pour moi. Ce qui est limitant, c’est ma capacité à
maintenir un bon groupe de partenaires pour financer mes années.
L’âge, je m’en fous.
Il me semble que tu travailles à plein temps en
parallèle. Ce n’est pas trop ?
Ça a été trop, mais depuis cette année, je récolte les fruits de
mon travail. Combiner Endurance, Superbike, le boulot, et la
structure, c’était trop compliqué. Avec mon mécano, Anthony, on a
mis en place des choses pour me décharger, et me concentrer sur ma
tâche de pilote.
Et l’Endurance dans tout ça ?
C’est à voir. Je ne suis pas encore sûr. Ça a été un vrai chemin de
croix pour parvenir à mettre une structure au point. Donc je ne
sais pas encore si j’en ferai l’année prochaine. Le calendrier est
vraiment serré. Si je fais les 24H du Mans, je rentre chez moi le
lundi, à 800km, et le mardi je pars bosser. Et dès le jeudi de la
semaine qui suit, il faudrait que je sois ailleurs pour le
Superbike. Ça, plus la charge mentale, je me dis qu’il faut
peut-être mettre en pause l’Endurance. Je verrai quelles sont les
opportunités qui s’offrent à moi, mais je peux ronger mon frein
encore un peu là-dessus.