La FFM a tout récemment présenté les nouvelles normes de bruit applicables en compétition et en entraînement en 2024. Lors d’une précédente interview avec le Président Sébastien Poirier, ce dernier nous avait fait part de sa volonté d’avancer dans ce domaine de la réduction des émissions sonores, face au danger qui menace le sport moto.
C’est donc pour éviter cela que la FFM a élaboré une feuille de route, comme nous le détaille ici Sébastien Poirier.
Sébastien Poirier : « Comme je l’avais indiqué dès mon élection à la présidence de la Fédération, j’avais constitué différents groupes de travail, et notamment un qui portait sur la réduction des émissions sonores. Ce groupe de travail est présidé par Jean-Marc Desnues, qui est premier vice-président, et qui a engagé toute une série de réunions, notamment avec les présidents de commissions de la fédération mais également avec les représentants des importateurs et certains accessoiristes. Il y a donc eu des échanges et en parallèle on s’est rapproché de la FIM pour voir exactement quelle était la feuille de route qui allait être définie par la FIM. J’avais personnellement indiqué de manière très claire dès le début de ma mandature que je voulais que, nous, Fédération Française de Motocyclisme, nous nous engagions sur une feuille de route pour faire en sorte de réduire nos émissions sonores.
Les émissions sonores constituent une épée de Damoclès pour les pratiques sur les circuits de vitesse comme de motocross. La liste est longue de tous les circuits de motocross qui maintenant depuis 10 ans ont disparu ou ont été amputés d’une bonne partie de leur activité, et de la même manière je ne vais pas lister les circuits de vitesse qui connaissent des difficultés liées aux émissions sonores. Ces dernières années, l’automobile et la FFSA ont fait un travail de réduction des émissions sonores, à tel point qu’aujourd’hui quand on est en réunion ministérielle pour les homologations des circuits, l’automobile a passé le cap, alors que nous concernant, lorsqu’il y a des difficultés c’est la moto qui est à chaque fois identifiée comme responsable de certaines difficultés avec le voisinage.
Donc fort de cela, je ne serai pas le président de la fédération qui voit que les circuits sont en difficulté et qui regarde ailleurs ! Je veux absolument qu’on puisse continuer nos pratiques, que l’on puisse sauver nos circuits et faire en sorte qu’ils puissent se développer. Cela passe inéluctablement par une réduction des émissions sonores. A l’inverse, ce que je dis aussi, et de manière positive, ce n’est qu’une fois que nous aurons réglé nos émissions sonores, alors on pourra sereinement se développer, continuer nos activités et envisager l’avenir de façon beaucoup plus radieuse.
Ce n’est pas nouveau, mais aujourd’hui c’est ça le débat, et j’ai envie qu’on accélère le mouvement car il y a un avant et un après Covid, et la direction juridique de la fédération traite aujourd’hui énormément de dossiers liés aux émissions sonores des machines. Il faut donc absolument que nous nous engagions sur une ligne directrice. Ça va être compliqué, c’est une évidence, et c’est pour ça qu’on est sur 2024. On a pris en compte ce dossier dès début 2021, en pleine crise Covid, et on va lancer, à compter de la rentrée en septembre, une communication très forte auprès de nos licenciés pour justement leur expliquer les enjeux, et leur dire pourquoi c’est collectivement que l’on va réussir à réduire les émissions sonores.
Ça passera par un meilleur entretien des systèmes d’échappement, ça passera aussi par une prise de conscience que le bruit est existentiel pour eux, et ça passera aussi par un temps de préparation et potentiellement un investissement à faire pour changer sa ligne d’échappement. Mais là-dessus, je crois qu’il ne faut pas qu’on soit faible, car ce n’est surtout pas pour embêter nos licenciés ou nos pratiquants, c’est justement pour faire en sorte que l’on puisse demain sereinement continuer à pratiquer et qu’on puisse aussi pouvoir envisager l’avenir de façon beaucoup plus positive. Je crois que je n’ai pris personne par surprise car c’est quelque chose que je porte depuis que je suis élu. En parallèle, on va lancer des appels à projets parce qu’il y a des disciplines qui souffrent plus que d’autres. Je pense notamment au Supermotard car aujourd’hui le Supermotard a énormément de difficulté pour utiliser des sites de pratiques comme les circuits de karting. Il faut absolument que l’on réduise le plus vite possible nos émissions sonores pour pouvoir continuer à s’entraîner. Il y aura donc un appel à projet qui sera lancé dans les prochaines semaines, et on est prêt à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire à imposer lors des compétitions de Supermotard un seul système d’échappement, s’il n’y a qu’un seul système d’échappement qui permet de réduire drastiquement nos émissions sonores.
Donc oui, nous sommes sur une politique volontariste mais je crois que c’est pour le bien de tous. Je comprends parfaitement que ce soit difficile et anxiogène pour les pilotes, mais je ne veux pas que l’État nous dise que l’avenir de la moto passe obligatoirement par l’électrique. Je crois à l’avenir du thermique, je crois encore au bruit sur nos motos, il n’y a aucun sujet là-dessus, mais c’est à nous de le réduire. Je rappelle que lorsque qu’on réduit d’une dizaine de dB sur une moto, on divise par deux l’impact sonore : chaque dB gagné est fondamental ! Donc ce ne sera pas simple mais je sais aussi pouvoir compter sur nos pilotes parce que la très grande majorité des pilotes ont bien compris qu’il y avait une difficulté. Ils sont confrontés eux-mêmes à des difficultés techniques, par rapport à leur échappement, mais je crois que nous, en tant que fédération, il faut qu’on marque un temps, qu’on marque une feuille de route et qu’on marque aussi la volonté très claire de réduire les émissions sonores pour aider les circuits français, notamment de vitesse, à faire en sorte qu’ils puissent se développer sereinement. Les circuits attendent des fédérations qu’elles fixent les règles et qu’elles fixent un cap, parce qu’ils ont aussi besoin de nous pour se développer. »
Sentiez-vous des menaces précises sur le thermique au
niveau gouvernemental, au cas où vous n’auriez pas bougé
?
« A chaque fois qu’on parle de bruit, on me
parle de l’électrique ! C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’il
y a un problème, en préfecture ou au ministère, on me dit « et
l’électrique ? ». Sous-entendu « lorsque vous serez à
l’électrique, il n’y aura plus de problème de
bruit ». Ce qui est vrai pour le coup, car c’est le
grand avantage de l’électrique, mais ce qui est terriblement un
problème pour nous, fédération sportive, parce que pour le coup, et
c’est la réponse que j’apporte au ministère et aux élus nationaux,
je leur dis « écoutez, notre difficulté c’est que nos
spectateurs viennent aussi pour entendre quelque chose.
L’environnement sonore fait aussi partie du spectacle.
Ce que je crois, c’est qu’aujourd’hui on peut et on doit revendiquer un droit au bruit lors des compétitions, car il peut y avoir une acceptabilité comme il y a une acceptabilité sur les concerts, mais dans une pratique régulière d’entraînement il faut absolument réduire les émissions sonores. Nous, fédération, on doit tirer de la compétition des règles pour l’entraînement, et je crois qu’une fois qu’il y aura une appropriation de tous les circuits, on aura gagné la bataille. Mais il faut qu’on gagne cette bataille là, parce que si on ne s’inscrit pas dans une feuille de route et qu’on ne règlemente pas, et bien oui, en effet, la solution de facilité pour le gouvernement est de dire « voilà, telle est la norme » ou « tel est le projet, c’est l’électrique ! ». Il y a déjà des pays, comme en Hongrie au Hungaroring, où la loi a déjà limité le niveau sonore autorisé sur le circuit. Donc il faut absolument que l’on s’approprie cette problématique car si on ne fait rien on va nous imposer les choses, et je préfère qu’on soit responsable, qu’on s’inscrive dans une feuille de route et qu’on puisse avoir un discours construit auprès des pouvoirs publics pour qu’ils nous laissent le temps de passer cette période, et que d’ici plusieurs années on puisse pérenniser notre pratique de vitesse à 95 dB sur les circuits, et aussi répondre à l’attente des riverains des circuits. Aujourd’hui, il y a des gens qui roulent sur la voie publique avec des motos qui n’ont pas accès sur un circuit de vitesse car les circuits de vitesse se retrouvent dans l’obligation d’interdire des motos qui sont autorisées à rouler sur la voie publique, parce que ces motos font trop de bruit à partir du moment où les valves d’échappement s’ouvrent à partir d’un certain régime moteur. Donc il y a aussi une prise de conscience des constructeurs, des importateurs et des accessoiristes et il faut que l’on soit tous responsables, Je crois beaucoup aux accessoiristes : ils ont un rôle à jouer, ils ont même un devoir par rapport au développement de leur pratique, et c’est aussi auprès d’eux qu’il faut se tourner. »