C’est la première fois que Randy de Puniet nous fait l’honneur de débriefer un Grand Prix sur Paddock-GP, en l’occurrence Jerez. Nous espérons bien renouveler l’opération…
Randy, peux-tu nous raconter quelle est ta vision de la course MotoGP à Jerez?
Randy de Puniet: « les gens vont peut-être
dire que je suis pro-Rossi, mais je ne le suis pas du tout. Je suis
réaliste; le mec a fait un Grand Prix exceptionnel!
Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Rossi dominer un Grand
Prix comme ça. Il s’est juste fait doubler par Lorenzo l’espace
d’un virage, puis il l’a repassé tout de suite et c’était fini.
Franchement, chapeau! Il était dans le coup dès vendredi, samedi
matin, à la FP3, je ne sais pas ce qu’ils ont trouvé sur la moto,
mais en tout cas, il a passé un step. A la qualification, il
fait la pole; Rossi en pole, c’est déjà un petit événement. Et
dimanche, il domine tout le monde du début à la fin.
Que dire? Est-ce qu’il a trouvé quelque chose en plus, par rapport
aux autres? Je pense que oui, surtout par rapport à son coéquipier,
parce que là, il a fait en gros ce que fait Lorenzo
d’habitude. »
Luca Cadalora peut-il l’avoir aidé?
« C’est possible. C’était vraiment un pilote très très fin
et la clé, avec le Michelin avant, est de rouler beaucoup plus
propre et beaucoup moins agressivement qu’avec le Bridg des années
précédentes. Rossi à l’air de bien s’en sortir car il est très
coulé. Marquez tape beaucoup plus dans le pneu avant, et comme il
l’a dit lui-même, il a préféré être sage et finir troisième.
Un autre élément qui m’a surpris, c’est que Rossi a utilisé les
gros ailerons Yamaha (ndlr: depuis la FP4) en course. Il a dû y
voir un gain au niveau des wheeling, peut-être à la sortie du
dernier virage, la petite épingle avant la ligne droite.
Maintenant, je ne pense pas que ce soit ça qui l’ait fait autant
dominer le Grand Prix. »
Pour la première fois, on nous a parlé de patinage en ligne droite. C’est étonnant! As-tu déjà connu ça?
« Oui, j’ai déjà connu ça. Sous la pluie et sur le séchant, bien sûr, mais sur le sec, c’est normalement très rare. On peut avoir ça soit avec un pneu très dur qui patine avec une piste froide, ou alors un pneu qui s’est beaucoup usé sur la gomme de traction. En général, on patine en 1ère, 2ème et 3ème mais pas plus. A Jerez, sans doute à la sortir de l’épingle et à la sortie du virage avant la ligne droite de derrière car c’est vraiment un virage où on met beaucoup de charge sur le pneu. On redresse et on accélère en même temps donc, effectivement, il y a pu avoir du patinage à cause d’une usure de la gomme de traction. Après, ce qu’il faut voir, c’est qu’entre le samedi et le dimanche, il faisait beaucoup beaucoup plus chaud. A vérifier, mais une dizaine de degrés d’écart. Donc forcément, comme à Jerez , plus il fait chaud et plus ça glisse, ça n’a pas aidé pour ça. Cela faisait un paramètre en plus à gérer par rapport aux autres séances. De plus, depuis les problèmes avec les Ducati, Michelin a beaucoup augmenté la pression dans ces pneus arrière, et ça n’aide pas pour le grip et les performances. »
Mais ce patinage, l’électronique n’est pas censée l’éviter?
« En ligne droite, on accélère à fond, et au bout d’un moment, l’électronique se coupe. C’est à ce moment là que ça devait patiner. C’est nous qui gérons le moment où on a envie que l’électronique disparaisse. En général, c’est au moment où on redresse la moto et on commence à être sur la traction. Sur l’angle maxi, on en garde puis on la réduit au fur et à mesure quand on redresse la moto, et à un moment donné, elle disparaît complètement en ligne droite car, théoriquement, on n’en a pas besoin. Là, ils ont patiné en ligne droite, quand il n’y avait plus d’électronique. C’est effectivement très rare et il fallait doser à la main. »
Michelin nous sort des nouveaux pneus presque à chaque course. Les as-tu essayés?
« Je n’ai pas essayé les derniers et je vais le faire demain à Brno. Mais nous travaillons encore au développement de la moto et ne cherchons à tester la limite des pneus. Néanmoins, ce sera intéressant car on verra si ça nous permettra de passer des caps. »
Les Ducati qui n’arrivent pas à être aux avant-postes quand il n’y a pas de longues lignes droites…
« Oui, c’est un peu étrange. En plus, quand j’avais roulé
avec la Pramac à Jerez, en 2011, je crois que j’avais fait le 6ème
temps en qualification et la moto allait super bien sur ce circuit.
Depuis deux ans, ce n’est pas terrible. Barbera s’est mis en
évidence alors que pour Iannone, ça a été un désastre. Dovi a
réussi à sortir un quatrième chrono d’on ne sait où, mais je pense
qu’en course il n’aurait pas fait mieux que derrière les deux
Suzuki.
Donc effectivement, ils ne sont pas à leur niveau sur ce premier
Grand Prix européen.
Est-ce que la moto n’est pas maniable, est-ce qu’ils galèrent avec
le grip dans les virages lents? C’est possible, mais il ne faut
pas oublier que l’année dernière, il y avait l’histoire
de leurs pneus tendres, ce que tout le monde a tendance à oublier.
Cela leur permettait de bien se qualifier de temps en temps, car
cela faisait quand même une grosse grosse différence au niveau des
chronos, et sur certains circuits, ils ont pu les utiliser pour la
course, ce qui leur permettait de faire un Top début de course, et
même s’ils flanchaient aux 3/4, ils s’étaient mis à l’abri.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il va falloir voir s’ils
arrivent un eu à redresser la barre au Mans, même si ce n’est pas
un circuit très favorable pour eux. »
Aujourd’hui, la Suzuki apparaît comme excellente. Est-elle éloignée de la moto que tu as développée?
« Elle a évolué avec un moteur plus puissant, une boîte seamless et une électronique unique. Vinales a essayé un nouveau châssis le vendredi (le 2016) mais il est revenu à l’ancien, donc celui que j’ai utilisé pendant deux ans, le 2013/14/15 qui est le même, avec quelques évolutions. Donc à part les éléments cités, la moto est à 80% la même, avec un châssis au top . Elle manquait de puissance mais aujourd’hui ils en ont. Elle avait aussi un petit manque de grip sur l’angle maxi et, en discutant avec les gars, ils ont encore un peu ce souci là. »
Un coup de cœur?
« Un qui m’a surpris dans le bon sens, c’est Aleix Espargaro. Depuis le début de saison, il se faisait bien dominer par son coéquipier et il tombait. Bref, il n’était pas dedans. Là, il a repris confiance; à Austin, même s’i les fait battre par Vinales, il fait 5, et à Jerez, il finit devant son coéquipier. Donc il a bien redressé la barre et ce n’était pas facile, car tout le monde parle tout le temps de Vinales. Du coup, Aleix a morflé et je ne pensais pas qu’il allait redressé la barre aussi vite, donc tant mieux! »
Pour un pilote de haut niveau, le facteur psychologique peut se traduire par combien de temps perdu au tour?
« Je n’en sais rien, mais c’est énorme.
Aleix était soi-disant le pilote numéro 1. Depuis la mi-saison de
l’année dernière, ça devenait compliqué car Vinales prenait
l’ascendant. Depuis le début de cette saison, Maverick est tout le
temps dans le Top 3 pendant qu’Espargaro est au-delà du Top 10 et
tombe. Il perd confiance. Il se fait démonté lors des trois
premières, puis il arrive à réagir! Donc, franchement, c’est
bien!
Je connais parfaitement son équipe technique puisque c’est celle
que j’avais et ce sont des Top mecs. Ils ont donc réussi à le
remettre en confiance, et lui a réussi à se remobiliser, donc tant
mieux pour lui car ça pouvait vite partir vers une saison en
enfer.
Maintenant, rien n’est gagné, et il faut confirmer, d’autant que
Vinales s’est peut-être un petit peu perdu avec ses essais de
châssis, sans parler du ou des dixièmes que les tractations en
cours peuvent lui avoir retirés ce week-end. Ça ce joue parfois à
des petit trucs… »
A l’inverse, une déception?
« C’est vrai que Pedrosa est un cran en-dessous. Il m’a
surpris au départ, quand je l’ai vu partir et passer troisième. Je
me suis « tiens, il va être là. Tant mieux » et d’un
coup, il a explosé. Donc vraiment bizarre car je pensais qu’il
allait être plutôt pas mal avec les Michelin qui, à priori,
s’accordent bien avec son style de pilotage, et finalement, il
peine un peu.
Il va donc falloir voir, car en plus il se plaint du règlement, que
les motos sont nulles à piloter, qu’il n’y a pas de spectacle, etc.
Bref, il est toujours là, mais c’est vrai qu’il marque le pas par
rapport aux autres des « 4 fantastiques ».
Et puis il y a Bradley. L’année dernière, il a fait une saison
impressionnante, à laquelle je ne m’attendais pas.
Franchement, chapeau!
Mais là, c’est la même chose mais à l’envers. C’est étrange. Il a
du mal avec les Michelin, c’est sûr, mais à cause de sa signature
avec Ktm super tôt, il a sans doute aussi un peu moins le couteau
entre les dents. Je ne sais pas. Il dit qu’il n’a pas de feeling,
mais il ne tombe pas. Lundi, pendant les tests, c’était peut-être
l’occasion de se dire qu’il fallait y aller, du style « allez
hop, j’y vais, j’arrête de réfléchir! » mais pour l’instant,
ce n’est pas top top top… »
Après un début de saison dominé par Lorenzo au Qatar, puis par Marquez à Austin et par Rossi à Jerez, on arrive au Mans; si on te dit « faites vos jeux »?
« Je vois les Yamaha, bien sûr. De ce que j’ai pu voir en
bord de piste, la Honda a du mal à s’arrêter. Ils ont vraiment du
mal à stopper la moto. Alors est-ce que c’est le frein moteur ou la
conception de la moto, je n’en sais rien, mais en tout cas ils
peinent.
Les Yam ont toujours été bien au Mans. A Jerez, Lorenzo a pris un
coup dans sa fierté, donc il va être remonté à bloc. Rossi sort
d’une victoire… je vois bien le vainqueur parmi ces deux là, avec
un Marquez qui va essayer de sauver les meubles en attendant des
jours meilleurs, comme il l’a fait Jerez. A noter qu’il y est
resté sur ses roues, sans tenter n’importe quoi, et ça prouve que
le mec à réfléchi et s’est dit qu’il valait mieux prendre 16 points
que de se mettre au tas. C’est peut-être ce qui fera la différence
pour lui, sur la longueur du championnat… »
Nous tenons à exprimer un grand merci à Randy de Puniet et espérons renouveler l’opération prochainement!