Lors du Grand Prix de France 2016, nous avons eu le privilège de pouvoir interviewer monsieur Jacques Bolle, Président de la Fédération Française de Motocyclisme.
Comme nous le faisons de façon assez régulière avec lui, nous avons pu aborder différentes facettes du sport moto de vitesse qui nous tiennent à cœur, qu’il s’agisse de ses pilotes d’élites ou de son accession par le plus grand nombre.
Monsieur le Président, à l’occasion de ce Grand Prix de France au Mans, pouvons-nous faire un point de la situation quant au sommet de la pyramide de la compétition vitesse moto française, puisque, hier en tout cas (ndlr : interview réalisée le samedi), nos représentants se sont tous mis en évidence ?
« Je ne suis pas personnellement surpris ou étonné de
ces performances prometteuses. J’ai toujours dit que l’on avait un
niveau, qui certes n’est pas celui des Espagnols et cela sera sans
doute encore le cas pendant un certain nombre d’années, mais qui
est un très bon niveau global. Je dois régulièrement rappelé
que l’on est Champion du monde sortant en Moto2, que l’on a été
Champion du monde en Superbike il y a deux ans et que l’on est
Champion du monde d’Endurance chaque année.
Donc en fait en vitesse, et dans les autres disciplines comme
le motocross ou l’Enduro où l’on gagne tout depuis de nombreuses
années, les pilotes français ont un très bon niveau. Et la relève
est là.
Bien entendu, il faut que toutes les conditions soient réunies pour briller, mais on voit bien que Jules Danilo, dont peu de personnes pensaient qu’il serait capable de faire de bonnes performances, est aux avant-postes de ce Grand Prix. Il était troisième temps, hier, à la fin de la journée. Il faudra bien sûr qu’il le confirme, mais ça démontre qu’il a le potentiel. En tout cas, il est visiblement capable de faire beaucoup mieux que ce que certains pensaient.
Pour Fabio Quartararo, je dirais que c’est un petit peu l’inverse. Tout le monde pensait qu’il allait tout casser… Il faut lui laisser le temps ! Le potentiel est là ! Ce sera un grand champion, c’est quasiment certain. Attendons un petit peu car on s’est un peu trop précipité. C’était en tout cas mon avis l’année dernière car je considérais qu’on allait trop vite ; demander à un garçon de tout juste seize ans, voire moins, de tout gagner ou d’être aux avant-postes instantanément, c’était à mon sens trop demander. On va lui laisser une ou deux années de plus et il fera une très belle carrière.
Ce n’est pas non plus vraiment une surprise pour Loris Baz. On sait qu’il a un très bon potentiel. Il a une meilleure moto cette année, et il a tout de suite gravi une marche.
Et si on parle d’Alexis, qui est une valeur sûre aujourd’hui, à l’évidence il n’a pas actuellement une machine suffisamment performante. Si celle-ci s’améliore, et il semble que l’on commence à voir une évolution positive, ce sera mieux. Il a clairement besoin d’une machine avec un meilleur potentiel et il a démontré, encore l’année dernière, qu’avec une bonne moto il pouvait remporter un Grand Prix.
On va terminer par Johann qui ne fait que confirmer ce que l’on savait déjà de lui. C’est un garçon qui nous permettra peut-être demain de remporter notre première victoire française au Mans dans une autre catégorie que 125cc ou Moto3. «
Ça semble déjà s’annoncer comme un grand succès populaire…
« C’est un grand succès populaire. Je peux vous dire que l’on sait, grâce aux billets pré-vendus, qu’il y a déjà plus de public que l’année dernière. «
Est-ce lié au fait que le Grand Prix se déroule sur quatre jours ?
« Je ne suis pas sûr que ce soit fait exprès ; ce
n’est pas nous qui plaçons le jeudi de l’Ascension…
Ca s’est passé comme ça et je ne suis pas persuadé que ce soit le
jeudi de l’Ascension qui ait apporté du public en plus. Je pense
que celui-ci est venu plus tôt, mais je pense qu’il y aurait eu
autant de monde si ce n’avait pas été le cas. Ce qui a sans doute
un petit peu joué, c’est le temps qui est plutôt agréable, mais de
toute façon les ventes étaient déjà à un niveau clairement
supérieur à celles de l’année dernière, il y a un mois. Et il y a
un mois, personne ne connaissait la météo.
Je crois donc que, globalement, c’est une tendance lourde à
l’augmentation, qui bénéficie peut-être en plus de paramètres
positifs supplémentaires, mais ce ne sont que des paramètres
marginaux. La tendance lourde est de toute façon à la hausse.
«
Dans cette tendance à la hausse, nous sommes obligés de parler de l’initiative de la diffusion du Grand Prix sur une chaîne publique. Pouvez-vous nous éclairer sur qui est à l’origine de cette initiative ?
« Non, car la Fédération n’y est pour rien. Mais
nous constatons qu’une chaîne grand public, l’Equipe 21, a
commencé, notamment à travers la Fédération, qui a soutenu la
production de diverses diffusions de reportages, à se rendre compte
que les résultats de la moto étaient très bons. A tel point
qu’aujourd’hui, l’Equipe 21 couvre tout le Championnat du monde de
Motocross. Pour les passionnés de la discipline, c’est un
évènement ! Et visiblement, dans le milieu audiovisuel, on
commence à dire que, finalement, la moto ce n’est pas mal, au
niveau part de marché.
Alors c’est peut-être cela qui a décidé les gens de France
Télévisions de revenir, car il faut se souvenir qu’ils étaient
présents sur les Grands Prix moto au début des années 2000. A
l’époque, ce n’avait pas été un grand succès en termes d’audimat.
Je me souviens que la programmation avait été modifiée en
conséquence et qu’à la fin, il fallait se lever à six ou sept
heures du matin pour voir un Grand Prix qui s’était déroulé la
veille au soir. Il n’était plus question de les mettre dans les
plages horaires à forte audience.
Cette initiative est donc positive car elle va permettre à
certain de découvrir le sport moto, mais elle ne va pas changer
fondamentalement la perception du sport moto qu’ont les
Français ; il ne faut pas s’attendre à des miracles. NT1
l’a fait pendant deux ou trois saisons, et ils ont arrêté. Je
suppose que ce n’est pas parce qu’ils avaient trop de
téléspectateurs…
Soyons clairs ; depuis que je suis là, je passe constamment
mon temps à répondre à des gens qui me demandent « mais
comment se fait-il qu’il n’y ait pas plus de télévisions ?
C’est un sport spectaculaire, à comparer avec la Formule 1,
etc ». Et je leur réponds « c’est tout simplement parce
qu’il n’y a pas assez de téléspectateurs, les parts de marché ne
sont pas bonnes. » Les chaînes de télévision ne demandent que
ça, de mettre un produit qui fait de l’audimat. «
Si l’on regarde maintenant l’autre bout de la pyramide, celui de l’accession au sport moto, est-ce que les expériences comme celles de l’école itinérante, ou la mise en route de la catégorie Pré-GP au sein du Championnat de France, sont des succès ?
« Oui. L’école itinérante fonctionne bien. On a créé cela car il y a visiblement une forte demande ; à chaque fois que l’école se déplace quelque part, il y a de nombreux jeunes et très jeunes, filles et garçons, qui sont au rendez-vous. On va donc développer cela car ça fonctionne bien, à tel point qu’aujourd’hui, il y a une structure au Creusot, qui a pris la décision de se transformer en structure permanente. Les deux fois où l’école s’est rendue chez eux, cela a été un vif succès, avec beaucoup plus de demandes que ce que à quoi l’on pouvait répondre. Donc ils se sont dit qu’ils allaient essayer de transformer ces essais et faire en sorte que l’école devienne permanente. Donc si on arrive, en démontrant qu’il y a un potentiel, et derrière, un modèle économique, on pourrait avoir quelques écoles réparties sur le territoire. Disons trois ou quatre dans un premier temps. Sachant, soyons clairs, que si en Motocross, ça fonctionne si bien aujourd’hui en France, c’est parce que le maillage y est départemental, voire cantonal ; où que vous soyez en France, vous avez un terrain ou un club de Motocross dans un rayon de 20 kilomètres autour de chez vous ! On en est loin pour les circuits de vitesse, même en comptant les petits circuits qui peuvent accueillir des opérations comme l’école itinérante… »
Venons-en maintenant aux catégories d’entrée en Championnat de France, Pré-GP et Pré-Moto3, en fonction de l’âge. Une première épreuve a eu lieu. Est-ce un succès ?
« On considérait que si on commençait une première
année aux environs de quinze participants, ce serait un succès.
C’est pour le moment le cas. On ne s’attendait donc pas à un
raz-de-marée d’autant que de fausses informations ont été répandues
sur les réseaux sociaux, selon lesquelles le Championnat
n’aurait pas lieu ! On a donc perdu quelques compétiteurs mais
je pense qu’à terme, il y a un potentiel de vingt ou vingt-cinq
pour l’année prochaine.
Rappelons que l’on parle ici de vraies motos de course, pas de
motos de série, à la fois très abordable et très faciles à
entretenir. Ce sont, certes des motos de course simplifiées,
basiques, mais des motos de course quand même. Or plus on monte
vers « l’élitisme », par définition moins on touche de
personnes. Mais on se devait d’avoir quelque chose, puisque
là, il y avait clairement un trou à combler et je pense qu’on l’a
comblé. «
A la fin de cette interview, il nous apparaît que le sport
moto de vitesse est plutôt dans une bonne mouvance en France.
Certes, nous ne sommes pas près d’atteindre les chiffres italiens
ou espagnols, pays dans lesquels la moto est encore profondément
ancrée dans les gênes de leurs populations, mais, aujourd’hui en
France, on peut relativement facilement accéder à la moto de
vitesse pour tenter sa chance de ressortir par le haut de la
pyramide. Et ce, un peu plus qu’hier!
Par les temps qui courent, cela représente déjà une excellente
nouvelle.
Et si le public est davantage au rendez-vous, comme ce fut le cas
lors de ce Grand Prix de France, nul doute que les milieux
médiatico-commerciaux ne laisseront pas passer ce marché, ce qui in
fine ne pourra qu’être bénéfique pour le sport lui-même.
Avec tous nos remerciements à monsieur Jaques Bolle, Président de la Fédération Française de Motocyclisme.
Photo : D.R.