Au dernier Bol d’Or, le Suzuki Endurance Racing Team occupait le commandement avec toi Vincent Philippe, et tes coéquipiers Etienne Masson et Gregg Black, devançant le Honda Endurance Racing et le Team SRC Kawasaki France d’un tour après 8 heures de course. Puis vous étiez deuxièmes à la fin de la 19e heure derrière la Kawasaki SRC, mais un tour devant la Yamaha Wepol Racing et la Honda FCC TSR qui gagnera finalement l’épreuve. Le SERT a terminé 5e du Bol. Le fait d’être en tête du Championnat du Monde après 8 heures de courses ne peut que donner confiance ?
« On a été en tête dès le début de la course, en bagarre avec la Kawa. C’était jouissif parce que ça faisait longtemps qu’on attendait ça, qu’on n’avait pas vécu ça aux avant-postes à jouer des coudes pour viser la gagne. Donc, au-delà des 8 heures, on a été à l’attaque pour la première place tout le temps. »
Vous vous sentiez plus compétitifs que vous ne l’aviez été lors des courses précédentes ?
« Carrément. Même durant la semaine de course, on ne s’attendait pas à être si bien. On a eu pas mal de petits soucis de réglage et de développement, plus quelques chutes aussi pendant les essais. Il est clair qu’on avait prévu une course un peu plus sage que ça, en attendant notre heure. Et puis on s’est senti pousser des ailes dès le départ, car la moto donnait confiance et on a pu jouer devant. Donc du coup on s’est pris au jeu ! On n’était pas là pour faire deuxième… »
Vous avez eu plusieurs petits pépins, comme le repose-pied gauche cassé, une petite chute sans gravité, un problème d’embrayage le dimanche matin, puis nouvelle casse du repose-pied gauche, Malgré ces quelques ennuis, quel est le bilan final de la première course du mondial dans le Var ?
« On va dire que le bilan est très positif parce que nous avons montré notre nouveau visage avec cette nouvelle moto. On a retrouvé de la performance, de la confiance, tout le monde dans l’équipe a goûté à nouveau à la saveur proche d’une victoire. Maintenant, on reste toujours sur notre faim parce que le résultat n’est pas là.
« Au Championnat on n’est pas loin, on reste au contact* et c’est tant mieux pour nous. Mais le bilan de l’année (si je parle de l’année civile 2018) n’est pas satisfaisant. On a beaucoup travaillé, mais peu roulé donc tous nos problèmes ressortent en course. On a maintenant besoin du résultat final concret, au-delà de la performance éphémère. On a la compétitivité, on veut le résultat. »
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Quels ont été vos adversaires les plus redoutables ? Et quels seront-ils pour le Championnat ?
« L’endurance a atteint un niveau qu’on n’a jamais connu. Chaque équipage de pilotes est redoutable. Chaque équipe a beaucoup travaillé. Je pense que le SERT a été beaucoup copié à un moment donné, et maintenant toutes les motos engagées officiellement sont capables de gagner. Le niveau est assez exceptionnel, ce qui n’était pas le cas il y a quelques années.
« La compétition au niveau des pneumatiques donne du piment car chaque moto dispose d’un grand choix, ce qui rend les choses encore plus intéressantes. Il y a une grosse bagarre avec les pneus selon les conditions qu’on peut rencontrer en endurance parce qu’on a du froid, du chaud, de la pluie ou de l’humidité partielle. En fonction des conditions, certains sont avantagés, après ce sont d’autres, ce qui relève le niveau de compétition. On est obligés d’être en permanence en train de faire du développement pour être performants. Toutes les équipes actuelles qui ont des motos officielles sont capables de gagner. »
Est-ce une complexité pour votre Suzuki de rouler en Dunlop au Bol d’Or, quand la Suzuki officielle roule en Bridgestone à Suzuka?
« Oui. C’est un de nos points faibles depuis le début, mais pas le seul. Il y a quelques années, le SERT recevait dans ses ateliers au Mans une moto de route ultra-sportive pour la transformer en moto de course, avec la supervision de l’usine. Plus récemment, on a reçu une moto de Superbike, préparée par Yoshimura et destinée à la vitesse, pour en faire une moto d’endurance. Ça a été très compliqué pour nos mécanos qui n’avaient pas la mainmise sur l’ensemble de la machine. Ils étaient complètement dépendants du Japon, de Yoshimura.
« Cette moto est rapide, mais fragile. Ce n’est pas sa base profonde qui est fragile, mais de nombreuses petites pièces périphériques, qu’on n’a pas eu le droit de toucher pendant un an, alors qu’on savait qu’on aurait des problèmes. Par exemple le cale-pied, on en a cassé une dizaine. Donc au bout d’un moment, on sait qu’il va casser.
« Pour en revenir à ta question, cette moto a été développée avec des Bridgestone par des Japonais, et on ne peut pas bénéficier du développement de cette moto – notamment de l’électronique – parce qu’on roule avec d’autres pneus. Les Dunlop nous ont aidés à gagner une multitude de Championnats du Monde, car ils ont toujours été très bons.
« Donc ça va bien pour tous les pilotes, dans toutes les conditions, mais le problème c’est qu’aujourd’hui on en est arrivé à des motos capricieuses, très pointues au niveau de l’électronique, or on doit avoir pendant la course un pic de performance que pour le moment on a du mal à trouver et à avoir. C’est notre difficulté. Au Bol d’Or tout fonctionnait bien, la moto étaient extrêmement rapide au niveau du moteur, les Dunlop se comportaient très bien, donc on était compétitifs. »
Vous avez effectué des tests pneumatiques à Mireval pour préparer 2019 mi-novembre. Ces essais hivernaux de 2 jours ont été légèrement perturbés par l’humidité du matin, mais ont-ils finalement donné satisfaction ?
« On a surtout avancé sur la compréhension de la moto. Cette année on a très peu roulé. Le SERT manquait un peu de personnel. Les budgets sont de plus en plus limités, or cette moto a coûté très cher. Chaque séance d’essai est importante. Pour nous, chaque course était presque une séance d’essais grandeur nature.
« Donc le but de ces essais était de tout bien finaliser pour être prêts pour 2019 à tous les niveaux. On a enfin trouvé du matériel pour résoudre le problème des cale-pieds, donc là normalement (?) on ne devrait plus s’arrêter au stand pour cette raison. Le problème d’embrayage n’était pas fondamental, il était causé par les vibrations de cette machine à haut régime. Ça a été réglé aussi. Pour l’électronique, on continue d’essayer de comprendre : le pilote demande un réglage au mécanicien, qui a beaucoup de mal à le trouver car les possibilités de l’électronique sont infinies. On n’a pas tout résolu, mais 2019 sera bien meilleur que ce qu’on a pu vivre cette année. »
Rendez-vous pour savoir comment Vincent voit l’ère post-Dominique Méliand, l’avenir du SERT, ainsi que l’implication en mondial de Suzuki et des autres marques, dans la deuxième partie de son interview.
2 vidéos (SuzukiRacingNews) pour le plaisir :
SUZUKA 8-HOUR SHAKEDOWN TESTING
2018 SUZUKI TEAMS AT SUZUKA 8 HOURS RACE
Photos © Suzuki, David Reygondeau (Good shoot), Automobile-Club de l’Ouest et France Télévisions