Aujourd’hui, même si la quasi totalité des décisions sont prises à l’unanimité avec la FIM, la MSMA et l’IRTA, Dorna Sports, en tant que titulaire exclusif des droits commerciaux et de télévision du Championnat du Monde FIM des Grand Prix de Courses sur Route (MotoGP™) jusqu’en 2041, reste la structure principale en ce qui concerne le pinacle des courses motocyclistes. A sa tête, Carmelo Ezpeleta développe avec talent la compétition moto de vitesse malgré les évolutions sociétales de ces dernières décennies…
Quel est le parcours de Carmelo Ezpeleta, au début peu connu du monde des Grands Prix ?
Né en 1946 à Barcelone, le jeune Espagnol se passionne pour les sports mécaniques à l’âge de 5 ans, quand son père, ingénieur militaire, l’emmène voir Juan Manuel Fangio courir en Formule 1 sur la « Diagonale » du circuit de Pedralbes de la cité catalane.
En attendant de pouvoir s’acheter sa première moto (contre l’avis de son père mais avec l’aide de sa mère), Carmelo Ezpeleta s’adonne à la « cesta punta », où il atteint un niveau national, puis poursuit ses études d’ingénieur.
Sa carrière en moto a été très brève, ne comptant que quelques courses, les premières au guidon d’une Montesa 250.
On en retrouve par exemple trace en 1968 à Barcelone…
Pour l’anecdote, 50 ans plus tard, Hervé Poncharal et Guy Coulon lui offriront ce même modèle complètement restauré. C’est cette moto qui trône dans son bureau de Madrid, siège social de Dorna Sports.
Crédit photo : Manuel Casamayón
Rapidement, Carmelo Ezpeleta passe à la voiture, en l’occurrence une R8 TS ex-Antonio Zanini avec laquelle il participe à la Coupe en 1972 et 1973 : « J’étais bien meilleur en voiture qu’en moto ». Mais là encore, ce n’est pas le début d’une grande carrière, du moins directement, car cela sera indirectement un élément clé de son succès présent.
En effet, à cette époque, il n’y avait qu’un seul circuit permanent en Espagne, Jarama, près de Madrid. Or le jeune sportif remporte un stage de pilotage de Formule monoplace à Nogaro et découvre sur place qu’il existe en France des circuits plus modestes, sans tribunes, sans tour de contrôle et sans box. Il se met alors en tête d’en construire un, près de Barcelone, sans avoir la première peseta pour le financer…
C’est là, à 26 ans, qu’on découvre son talent d’entrepreneur : Un cousin lui donne un terrain inconstructible s’il finance le circuit et, pour cela, Carmelo Ezpeleta lance une souscription auprès des amateurs et des écuries de sports mécaniques des régions de Barcelone, Aragón, Valence et des Baléares, prêts à verser 20 000 pesetas.
Au final, 25 000 personnes répondront présentes et apporteront 9 millions de pesetas : à 150 kilomètres au sud de Barcelone, le circuit de Calafat sortira de terre en septembre 1974 !
Auréolé de ce premier fait d’armes qui lui a par ailleurs permis de dialoguer avec tout le monde des sports mécaniques espagnols, Carmelo Ezpeleta prendra ensuite la direction du circuit de Jarama au printemps 1978. Il y restera 10 ans et, pour l’anecdote, c’est durant cette période qu’il rencontrera sa femme mais aussi Carlos Sainz, en tant que directeur de toutes les activités sportives du Real Automobile Club d’Espagne (RACE), donc entre autre de l’équipe Ford-RACE qui a aligné Carlos Sainz dans le championnat du monde des rallyes en 1987 et 1988.
Carlos Sainz : « Peu de gens savent que grâce à Carmelo Ezpeleta j’ai pu faire mes premiers rallyes dans le Mondial. Sans son aide, sa détermination et sa confiance, je n’aurais probablement pas pu arriver là où je suis arrivé. Il était le directeur de l’équipe Ford quand j’ai fait mon premier Portugal, aujourd’hui nous avons la chance qu’il dirige Dorna, entreprise qui gère le monde du MotoGP. C’est toujours un exemple, tu apprends toujours avec lui. Cette photo est mon petit hommage à un grand ami. Merci beaucoup Carmelo ! »
Il sera également du côté de Bernie Ecclestone et des écuries britanniques réunies dans la FOCA (Formula One Constructors Association) lors du fameux Grand Prix d’Espagne « pirate » 1980 à Jarama, face à Ferrari, Renault et aux équipes officielles favorables à la FISA et Jean-Marie Balestre. En tant que directeur du circuit et représentant du RACE, il propose en vain de payer les amendes infligées aux pilotes qui boycottent le briefing pour protester contre la suppression annoncée des jupes aérodynamiques des F1.
Puis le RACE, propriétaire du circuit et organisateur, outrepasse la FISA et confisque à la fédération espagnole (affiliée à la FISA) ses prérogatives sportives et décrète que la course sera disputée sous le label FIA, ce qui contourne la menace de suspensions des licences évoquée par Jean-Marie Balestre. Pendant ces affrontements des instances dirigeantes, les pilotes et les mécaniciens jouent au football sur la ligne de départ…
En tant que passionné, Carmelo Ezpeleta n’a jamais vraiment
lâché la compétition et on l’a même vu en 1984 participer avec
Antonio Zanini à la Baja Monteblancos comme copilote d’une Peugeot
505 Turbo.
L’année suivante, c’est toujours avec le même pilote mais dans une
Ferrari 308 GTB Michelotto Groupe B
préparée pour l’occasion (abandon suite à des problèmes d’allumage
et de surchauffe dans l’habitacle) qu’il participe à ce rallye-raid
de 1000 kilomètres au départ de Saragosse.
En 1986, il rééditera cette expérience avec Antonio Zanini dans la Baja Monteblancos, cette fois dans une Ford RS 200 un peu plus adaptée que la Ferrari…
En 1987, il sera appelé pour superviser la création du célèbre circuit de Catalunya – Barcelona, à Granollers.
En 1988, on le retrouve avec Carlos Sainz à la Baja Monteblancos, toujours dans une Ford RS 200.
En mars 1991, Carmelo Ezpeleta intègre Dorna Promoción del Deporte pour gérer la partie moto de la société espagnole et doit tout de suite faire face à l’imbroglio FIM – Ecclestone – IRTA – Dorna au sujet des droits de télévision…
« Ecclestone est un gars très intelligent. Lorsqu’il s’est
présenté comme candidat pour prendre les droits de télévision de la
FIM, sachant que les relations entre la FIM et les chefs d’équipe,
qui sont associés à travers l’IRTA, n’étaient pas bonnes, il est
également allé voir l’IRTA et a acheté leurs droits. Il y avait
donc deux contrats FIM, l’un avec les équipes, qui impliquait
Ecclestone, et l’autre avec nous, à la télévision. Une chose ne
pouvait se faire sans l’autre. La première apparition de Dorna en
1991 à Jerez a été le chaos (voir plus haut). Tout le monde était
en faveur d’Ecclestone.
Mais nous avons eu un peu de
chance car le Grand Prix de Yougoslavie a été annulé en raison de
la guerre. Nous avons donc demandé à la FIM de nous laisser faire
un Grand Prix à Jarama pour le remplacer. Dorna l’a organisé. Et
nous l’avons très bien réussi. Les pilotes étaient contents. Pour
la presse, nous avions fait une grande tente climatisée. Et il leur
a semblé que nous étions moins mauvais… »
« Ensuite, durant tout l’été 1991, j’étais avec Ecclestone, que
je connaissais déjà, bien sûr. « Écoute, Bernie, tu as ça
et moi j’ai ça. Si nous nous affrontons, ce sera un gâchis. Ce sera
un combat sans fin. Vous êtes financièrement solide, mais Dorna a
Banesto derrière elle. Essayons de nous réunir ». Et nous
l’avons fait rapidement. Mais il fallait aussi convaincre les
partenaires de chacun, qui étaient des ennemis irréconciliables :
la FIM et l’IRTA. Nous avons argumenté jusqu’en décembre. Nous
avons finalement trouvé un accord et nous avons commencé en 1992,
un an avant l’heure prévue par la FIM. J’ai beaucoup appris de
Bernie. »
La suite de l’histoire, c’est une progression continue vers une gestion optimale des Grands Prix, jusqu’à obtenir l’organisation actuelle à quatre têtes qui rend la compétition moto aussi attractive pour le spectateur que pour l’investisseur : jamais les courses n’ont été si passionnantes et, hormis durant la pandémie mondiale, si rentables !
Durant ces trois décennies, il y a bien sûr eu aussi des moments difficiles, tant sur la piste avec des décès malgré l’énorme amélioration de la sécurité, qu’en dehors de la piste avec par exemple le passage forcé de Banesto à Banco Santander lorsque la banque centrale d’Espagne découvre que le président de la banque partenaire, Mario Conde, a dissimulé à ses actionnaires près de 4 milliards d’euros de pertes.
En 1998, pour une somme estimée à 80 millions, CVC (Filiale de la Citibank) achète 71% de Dorna Promoción del Deporte, qui perd de l’argent, et renomme la société espagnole en Dorna Sports. Carmelo Ezpeleta en devient le CEO et un des actionnaires.
En 2006, CVC Capital Partners achète SLEC, propriétaire de Formule 1, mais la Commission européenne pourrait alors estimer que gérer les deux disciplines constitue une situation de monopole. En conséquence, CVC vend Dorna Sports à Bridgepoint pour une somme estimée entre 400 et 500 millions d’euros.
En 2012, Bridgepoint cède 39% de la Dorna au fond de pension canadien CPPIB (Canada Pension Plan Investment Board).
En 2019, la participation initiale de Bridgepoint dans Dorna a été acquise par un autre fond Bridgepoint.
Aujourd’hui, Dorna Sports est le titulaire exclusif des droits commerciaux et de télévision du Championnat du Monde FIM de Grand Prix de Courses sur Route (MotoGP™), ainsi que du Championnat du Monde MOTUL FIM Superbike (WorldSBK), du FIM CEV Repsol, de l’Idemitsu Asia Talent Cup, de la Northern Talent Cup et de la British Talent Cup. Dorna est également coorganisateur de la Red Bull MotoGP™ Rookies Cup depuis sa création en 2007, depuis 2019 de la Coupe du Monde FIM Enel MotoE™ et tout récemment du MiniGP Word Series.
Dorna Sports, qui dispose d’un contrat avec la FIM, est détenteur des droits du MotoGP™ jusqu’en 2041 et des droits du Superbike jusqu’en 2036.
Actuellement, les principaux actionnaires de la société sont donc des fonds gérés par Bridgepoint Capital et l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, mais Dorna Sports est concrètement gérée par 4 hommes, Carmelo Ezpeleta, son CEO, Enrique Aldama, Chef de l’exploitation et des finances, Manuel Arroyo, Directeur général, et Carlos Ezpeleta, Directeur sportif, avec l’aide de 280 employés à temps plein et 300 autres professionnels à temps partiel.
Toutes les décisions sont quasiment prises à l’unanimité par la Commission Grand Prix qui réunit Dorna Sports, la FIM, la MSMA et l’IRTA.
« Nous avons de nombreuses réunions, et nous avons créé la Commission Grand Prix, où se trouvent toutes les parties. Je suis le président et j’ai une voix prépondérante, et en parvenant à un accord avec un autre membre, nous pourrions changer ce que nous voudrions. Mais je ne l’ai jamais utilisé. J’aime négocier. Je préfère trouver un accord plutôt que de gagner et décevoir beaucoup de gens. »
Aujourd’hui, malgré deux années de crise sans précédent du
Covid-19 puis bientôt une année d’un environnement mondial très
tendu, grâce à cette organisation solidaire souhaitée par
Carmelo Ezpeleta, l’histoire des Grands Prix peut
continuer et même se développer avec plus de manches et
l’apparition des courses sprint, sous le regard acéré de l’homme de
78 ans qui se déplace en personne sur tous les Grands Prix aux
quatre coins de la planète : Respect !
Le bateau est donc barré de main de maître par un capitaine qui
peut également pleinement compter sur son son fils, Carlos
Ezpeleta, pour continuer pendant longtemps à nous faire
vibrer un dimanche sur deux…
Sources et/ou crédit photos :
https://www.xlsemanal.com/personajes/20170430/carmelo-ezpeleta-bernie-ecclestone-espanol.html
https://www.abc.es/archivo/periodicos/blanco-negro-19890618-56.html
https://www.girardo.com/car/1983-ferrari-308-gtb-michelotto-group-b_0/
https://www.cycleworld.com/2015/05/06/cycle-world-interview-carmelo-ezpeleta-dorna-ceo/
https://www.leblogauto.com/2020/06/retro-f1-1980-grand-prix-espagne-pirate.html
https://web.archive.org/web/20060527132622/http://www.speedtv.com/commentary/20935/
http://hemeroteca.lavanguardia.com/preview/1989/07/02/pagina-26/33750451/pdf.html